Emin Alaca (Group Label) "Nos e-boutiques de niche réaliseront 40 millions d'euros de CA cette année"

A la tête de sept sites marchands, Emin Alaca mise maintenant sur sa locomotive pour s'imposer online… et offline. Découverte d'un groupe discret mais ambitieux.

JDN. Group Label est très discret sur la scène de l'e-commerce français mais réalise une belle croissance. Qui êtes-vous ?

Emin Alaca, fondateur et PDG de Group Label. © S. de P. Group Label

Emin Alaca. Nous avons démarré en 2010 avec un site marchand de kits de motorisation de portails : Label-habitation. La première année, nous avons réalisé 2 millions d'euros de chiffre d'affaires en étant rentables, au lieu des 850 000 euros prévus. Au fil des ans nous avons lancé d'autres sites : Motorisation Plus, Télécommande Online et Radiateur Plus en 2011, Coffre-Fort Plus en 2012, Poêle-à-bois Maison en 2013 et Mister Menuiserie en 2015. En parallèle, notre chiffre d'affaires a progressé régulièrement pour atteindre 22 millions en 2016. Nous enregistrons 124% de croissance au premier trimestre 2017 et ferons 40 millions de chiffre d'affaires cette année. Depuis nos débuts nous avons refusé de réaliser une croissance folle mais non rentable. Notre marge d'Ebitda a toujours dépassé 12%.

Aujourd'hui nous opérons donc sept marques de façon à toujours apparaître, aux yeux du consommateur, comme les spécialistes que nous sommes. Par exemple s'il cherche un portail, sur Mister Menuiserie il sait qu'il est arrivé au bon endroit.

Vous faites donc partie des e-commerçants qui développent une galaxie de sites aux opérations mutualisées, comme Karine Schrenzel chez ShopInvest ou, à une autre échelle, Marc Lore chez Quidsi puis Walmart…

Oui, tout est mis en commun. Par exemple, nos équipes logistiques ne savent pas que nos stocks alimentent plusieurs sites marchands, ou en tout cas n'en tiennent aucun compte, car des logiciels rassemblent tous les flux de nos sites Magento. Le CRM, les outils d'analyse, les équipes sont mutualisées, à l'exception des services client qui sont cloisonnés et constitués d'experts sur chaque métier. Côté clients, pour qui la spécialisation du vendeur est très importante, un site équivaut à un thème. Ensuite, lorsqu'un visiteur achète sur l'un de nos sites, c'est qu'il a un projet d'habitat. Nous le retargetons donc pour nos autres activités via tous les leviers marketing pertinents : e-mail, asilage des colis, pushs divers…

L'un de vos sites marchands rencontre-t-il plus de succès que les autres ?

Oui, Mister Menuiserie. Pour son premier exercice complet en 2016, il a réalisé 7 millions d'euros de ventes. Nous nous sommes rendu compte que ce marché était énorme. En France il pèse 17 milliards, dont Leroy Merlin et ses concurrents ne prennent que 2 milliards. Sur la menuiserie, il y a surtout beaucoup d'artisans et de microsociétés. Autrement dit, nous avons un boulevard devant nous. C'est donc Mister Menuiserie que nous poussons.

De quelle manière ?

Nous avons déjà créé trois magasins, connectés bien sûr, à Mérignac, à Quincy-sous-Sénart dans l'Essonne et à Saint-Marcel dans l'Eure, à côté de notre siège. Cela tourne très bien. Par exemple, au bout de deux mois, celui de Mérignac avait déjà remboursé tous ses frais de l'année. Nous ouvrirons encore une trentaine de points de vente en 2017, c'est notre grand chantier de l'année. Les localisations de quatre d'entre eux sont déjà validées.

Par ailleurs, nous commençons à décliner le modèle à l'étranger. Depuis trois mois, Mister Menuiserie existe aussi au Royaume-Uni, où il s'appelle Mister Gates Direct. Fin 2017, l'Allemagne suivra avec Mister Tore Direkt. Des magasins connectés y sont également prévus.

Finalement, au cœur de votre stratégie, le développement de Mister Menuiserie est en train de remplacer le concept de galaxie de sites mutualisés…

La galaxie de sites compte moins aujourd'hui, c'est vrai. Mais c'est en procédant ainsi au début que nous avons identifié l'activité qui s'impose aujourd'hui comme notre locomotive. C'est aussi ce qui nous a permis de comprendre ces marchés et les meilleures méthodes pour les attaquer. Prenez les radiateurs : le marché appartient en fait à quelques familles seulement. Enfin, c'est cette expérience qui nous a conduits à constater l'énorme danger que recèle la comparaison des produits d'un site marchand à l'autre. D'où l'idée de créer, en quelque sorte, notre propre Décathlon. Je me suis associé dans une usine pour bénéficier des atouts d'une intégration verticale et aujourd'hui nous disposons de notre marque de portails : Emalu.

"Au fil du temps, les marketplaces vont baisser en qualité"

Finalement, tout chez nous est conçu à l'inverse d'un modèle de marketplace. Dans un modèle de place de marché, on sacrifie le consommateur car on n'a aucune maîtrise de l'opérationnel. Au fil du temps, les marketplaces vont baisser en qualité car elles ne peuvent grossir qu'en volume de ventes et vont voir leur marge s'amenuiser. Pour notre part, nous maîtrisons toute la chaîne du début à la fin, jusqu'à notre plateforme logistique, à Cholet, qui livre les commandes en cinq jours. Sinon, nous remboursons deux fois les frais de livraison.

Par quel mécanisme exactement les marketplaces vont-elles selon vous décliner ?

Plus la concurrence s'intensifie, plus les commissions baissent. C'est mécanique et on l'observe sur tous les marchés. Il y a quatre ou cinq ans, on parlait en moyenne de 14% de commission. Aujourd'hui on est plutôt à 12%. Dans trois ans on tombera peut-être à 6%. Et pendant ce temps-là, les salaires ne diminuent pas. Donc les compétences qu'on consacre aux marketplaces et le service qu'elles apportent aux clients se détériorent. Même les business qui tournent sur des fortes marges, disons à 40% ou 50%, peuvent se réorganiser un peu pour tourner à 30% ou 35%, mais ils n'ont pas la marge de manœuvre nécessaire pour faire plus. Finalement, une marketplace peut grossir pendant six ou sept ans mais au bout d'un moment, c'est le client qui impose sa réalité et choisit le marchand en fonction de la qualité de l'expérience, du suivi, de l'expertise... Quand on est bon sur l'opérationnel, comme Amazon, tout va bien. Mais ce n'est pas pour rien que Rueducommerce n'a jamais atteint 500 millions d'euros ou que Menlook a fait faillite.

Combien êtes-vous chez Group Label ?

Nous sommes 70 et recruterons encore 40 personnes d'ici décembre. Les équipes travaillent surtout depuis notre siège de Saint-Marcel et le marketing et l'export sont à Paris.

Comment êtes-vous financé, comment est réparti votre capital ?

J'ai créé la société avec un associé qui était à l'époque majoritaire. Quand il est sorti, je suis devenu majoritaire et le groupe Technitoit, spécialisé dans la rénovation de maisons, a repris le reste de ses parts. Puis Group Label a levé 2 millions d'euros fin 2015 auprès d'un fonds d'investissement, mais nous venons de racheter sa participation pour 2,2 fois sa mise. Etant donné la croissance qui s'annonce, nous avons préféré remonter au capital. Aujourd'hui Technitoit possède 30% de Group Label et moi 70%.