Transitions écologique et numérique des collectivités locales : même combat ?

Une tribune co-redigée avec Clément Julien, directeur associé Secteur Public de BearingPoint.

Les collectivités locales pourraient capitaliser sur l’expérience acquise à l’occasion de leurs grands projets de transformation numérique, pour certains entamés il y a près de dix ans. On apprend toujours des difficultés rencontrées… Malheureusement, la transition écologique ne peut pas attendre ! Cinq axes de travail sont donc à mettre en œuvre dès maintenant.

En 2023, plus de cent communes françaises ont été privées d'eau potable au cours de l’été. L’heure n’est donc plus aux tergiversations : à l’ère du réchauffement climatique, des menaces sur la biodiversité et de la raréfaction des ressources, accélérer la transition écologique des collectivités locales constitue un impératif vital. Et pour réussir cette gageure, il faut éviter de reproduire les erreurs passées et respecter scrupuleusement cinq impératifs. 

1. Adopter une approche systémique et en finir avec le « bricolage »

Pendant longtemps, les services informatiques des collectivités locales ont été isolées et n’avaient ni le positionnement ni les moyens d’embrasser des projets de transformation numérique d’envergure. Elles déployaient du matériel ou mettaient à disposition des logiciels, isolées et sans capacité de conseil des directions métiers. Résultat ? La transition numérique a été ralentie dans sa mise en œuvre par ce manque de vision transverse.

Dès lors que les directions informatiques sont devenues des directions du numérique, évoluant vers des métiers d’appui à la transformation de toute la collectivité, la transition numérique a pris un nouvel essor. Aujourd’hui, c’est malheureusement encore un peu la même chose avec la transition écologique, les directions de l’environnement étant souvent isolées. Elles travaillent au coup par coup, sans forcément le bon niveau de commanditaire sur le sujet, ce qui se traduit par des transformations bien trop lentes eu égard à l’urgence climatique !

La direction de l’environnement devrait au contraire avoir la capacité de contribuer de manière holistique à l’ensemble des politiques publiques sur tous les périmètres de la collectivité, sans exception. Certaines collectivités sont certes contraintes à une obligation réglementaire de réalisation d’une politique globale de transition écologique, notamment les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de plus de 20 000 habitants. Mais cela concerne à ce jour à peine 700 collectivités et ces plans ne font malheureusement pas l’objet d’une intégration suffisante des enjeux écologiques dans toutes les politiques sectorielles : schémas directeurs immobilier, eau potable, mobilité, plan local d’urbanisme...

2. Disposer d’une vision incarnée

C’est un fait. La transition écologique gagnerait grandement à être incarnée par le directeur général des services lui-même ou par un élu situé au plus haut niveau de la collectivité. Car la question « qui porte le sujet ? », on l’aura compris, est cruciale. L’organigramme des collectivités est à ce titre révélateur des arbitrages réalisés et de l’intention réelle de prendre le sujet à bras-le-corps.

La comparaison avec la transition numérique est à nouveau parlante – la transformation du chef de service informatique en Directeur du numérique, ayant sa place au comité de direction, au même titre que n’importe quelle politique publique a permis d’intégrer la vision numérique à l’ensemble des prises de décisions essentielles.

Certaines collectivités avancent, l'organisation des services de la métropole de Grenoble acte le positionnement d’une « direction Climat Transitions et Contractualisations » rattachée directement à la direction générale. Il s’agit là d’une concrétisation de la volonté de de cette collectivité d’inscrire l’ensemble de son action publique au regard des enjeux climatiques. Et c’est malheureusement encore assez rare en France pour devoir être mentionné comme une exception.

3. Repenser les métiers de la collectivité

A l’occasion de leur transformation numérique, il a fallu repenser les métiers au sein des collectivités locales. L’ajout de compétences numériques a concerné une majorité de métiers, notamment la maitrise d’outils informatique avancés mais a aussi accéléré la disparition de certains qui n’avaient plus de sens avec la dématérialisation.

L’utilisation des données dans le cadre de leur activité est devenue habituelle – cela a nécessité de forts investissements en formation tout en ouvrant à de nouveaux profils les recrutements. Il va falloir en faire de même avec la transition écologique et ajouter de nouvelles compétences à celles qui existent déjà.

De nouveaux métiers voient progressivement le jour au sein des collectivités, tels que « Gestionnaire de la performance écologique », « Chargé de mission décarbonation », « Responsable sobriété des achats », « Analyste de données climatiques », « Urbaniste de la transition écologique » ou « Conseiller en dé-mobilité ». L’enjeu consiste à construire un vrai plan de transformation et de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). A la clé : l’anticipation de ces nouveaux métiers et surtout pour les agents de la fonction publique des compétences « augmentées » leur permettant d’appréhender l’urgence des enjeux écologiques et d’en tenir compte dans la mise en œuvre opérationnelle des politiques.

4. Réaliser des choix budgétaires éclairés

Comment identifier les projets vertueux d’un point de vue environnemental ? Quels types de dépenses entraînent quels impacts sur le climat ? Comment calculer le ROI carbone des projets ? Les questions relatives aux « performances vertes » du budget d’une collectivité sont nombreuses et restent souvent sans réponse…

Pour les grands projets d’investissement – la construction d’une ligne de tramway par exemple – il existe de nouvelles méthodes qui permettent de caractériser leur performance écologique en prenant en compte plusieurs indicateurs. C’est ce que propose le guide publié par l’institut I4CE qui permet notamment de questionner les arbitrages budgétaires des collectivités pour les orienter le plus possible vers la transition climatique.

L’exemple de la région Grand Est est également significatif : elle a fait le choix d’utiliser l’analyse climat, une méthodologie au service d’un budget durable. Les résultats lui permettent d’identifier les dépenses bénéfiques pour le climat et celles qui ont des effets négatifs mais surtout d’orienter ses politiques en accentuant l’intégration des données climatiques dans ses projets d’investissement.

Au sein des collectivités, l’orientation de budgets significatifs dans les programmes de transformation numérique transverses aux collectivités, portés par des directeurs du numérique, s’appuyant sur de nouveaux métiers a permis de concrétiser l’ambition.

5. Faire converger les transitions pour accélérer la mise en œuvre

Le numérique et particulièrement les outils d’analyse des données pourraient contribuer largement à l’accélération de la transition écologique des collectivités. Dans la relation aux usagers du territoire, par exemple, en leur fournissant des informations précises et contextualisées qui leur permettraient d’agir individuellement sur les enjeux climatiques, à l’instar des outils de mobilité disponibles aujourd’hui.

Demain, des « seuils d’alerte écologiques » pourraient tout à fait compléter les vigilances canicule, verglas ou orage de Météo France. Les technologies sont disponibles et les collectivités manipulent énormément de données, même si elles ne savent pas toujours quoi en faire. Les outils numériques pourraient tout à fait dans ce contexte accélérer la transition écologique. Mais attention à faire du numérique responsable dès l’origine en prenant en compte leur empreinte environnementale : le numérique est responsable de 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde et 2,5 % de l’empreinte carbone nationale.