Le mouvement brownien d'un projet est inversement proportionnel à la qualité de la collaboration [2]

Comme s'il suffisait d'avoir un vernis digital pour améliorer la qualité des échanges dans un projet. Pourquoi les contributeurs ne se font-ils plus confiance ? Comment rétablir des échanges sereins?

Voici le second épisode de notre série "Ne confondons plus le MVP avec le MDP : Minimum Viable Product vs Maximum Dirty Poc" en quatre volets.

Comme s’il suffisait d’avoir un vernis digital pour améliorer la qualité des échanges. Sur Ms-Teams, j’ai reçu le chat suivant d’un DEV : "Mais Edmond, c’est normal d’avoir des anomalies en test ! C’est pour ça que les recetteurs sont payés ! Fais nous confiance ! Oooops, pourquoi les contributeurs ne se font-ils plus confiance ? Comment rétablir des échanges sereins sans pointer les autres collaborateurs ? 

Fig.#1 Mouvement Brownien d'un projet vs. Trajectoire idéale © Operae Partners

Ainsi, la deuxième composante de la direction de projet est consacrée à la manière d’appréhender la collaboration entre la core team, les équipes, contributeurs ponctuels, internes et externes, et les utilisateurs avertis. Les quatre raisons d’une collaboration chaotique dans un projet sont un excès de management top-down, des objectifs confus, un système en silos empêchant le partage d’informations, une surcharge de travail associée.

Fig..#2 : Causes de l’échec de collaboration dans projet © Operae Partners

❶ Top down. La rengaine du management : "Ce projet coûte assez cher pour n’autoriser aucune interruption ni ralentissement de l’activité. Les collaborateurs feront ce qu’on leur demande.""

Les ennuis commencent.

❷ Avancer à marche forcée dans le brouillard : le meilleur moyen pour se prendre rapidement le mur.

Ainsi, il vaudrait mieux attribuer et démarrer des tâches, mêmes floues, indéfinies ou obscures (de ce fait les recommencer trois fois), plutôt que de risquer le seul péché mortel d’après Frederick Taylor(1) : laisser des “ressources“ (des collaborateurs) inoccupées. Celui-là même affirmait : "dans le passé l’homme était le plus important, dans le futur, le système doit être le plus important." Dans le système tayloriste qui segmente les tâches, les managers réfléchissent ou du moins croient réfléchir, et les autres exécutent. Au XXIe siècle, est-ce cela l’alignement dans l’usine digitale ?

Fig.#3: Frederick Winslow Taylor (1856-1915), Ingénieur promoteur de l’organisation scientifique

❸ Une usine digitale segmentée en silos : "avec une bonne gouvernance de projet, chacun sait ce qu’il a à faire."

Les gouvernances informatiques et de données abondent au sein des DSI très organisées de grands groupes.

Pourtant, le manque, pour ne pas dire l’absence, de coordination régulière entre "équipes domaine produit", aboutit à ce type d’échanges bien réels quand ce n’est pas à une situation de crise :

  • Lucas (Expert du domaine référentiel) : "J’ai mis en commentaire une ligne de code dans le programme source gérant le référentiel de données du groupe."
  • Léa (Experte du domaine transferts) : "?!#&,*§$£ !? Tu aurais pu m’en parler avant de la désactiver. Cela a planté la mise à jour des statuts des opérations et l’envoi des transferts internationaux groupés en production depuis hier."

Grossièrement et vu de loin, un process est découpé en 4 ou 5 grandes étapes, c’est plus ou moins vrai. En détail et vu de près, il arrive fréquemment que certains contributeurs clés ignorent non seulement l’enchainement précis du flux de données et la manière de réaliser les workflows, de les connecter. Il n’est pas rare qu’ils ne maitrisent même pas les process sur lesquels ils sont eux-mêmes mobilisés, même sur certains projets démarrés depuis 18 mois… :

  • Gérald : ”Ah mince, je n’avais pas compris que c’était à moi de le faire…” Le SIPOC (de l’anglais : Supplier, Process, Output, Client) est l’un des outils lean de clarification du processus, des étapes détaillées (encore !) et du rôle de chacun sur ses étapes. Le Nemawashi (terme japonais: action de préparation en douceur d’un changement) en est un autre.
  • Hicham : "un point restreint hebdomadaire, voir mensuel, avec les quelques managers et team leaders concernés en charge de remonter les problèmes et de répercuter les arbitrages, cela me permet d’éviter de gaspiller le temps de toute l’équipe."
  • Alexandre : "Vous imaginez le coût faramineux d’un point quotidien de 30 minutes auquel participeraient 150 personnes, même réparties par équipes ? Presque 11 ETP par mois, ce serait ridicule, non ?"

Non.

Le ridicule serait d’imaginer que le directeur de programme ou le manager, et ses N-1, à eux seuls, en sauraient plus que 150 personnes réunies. Ils ne seraient donc qu’une poignée d’hommes capables de lever, une fois par mois, chaque obstacle qui se dresse quotidiennement devant 150 personnes. Ils seraient aussi les seuls capables d’arbitrer en lieu et place de leur collaborateurs.

Non.

Le ridicule serait d’imaginer que le directeur de programme ou le manager, et ses N-1, à eux seuls, en sauraient plus que 150 personnes réunies. Ils ne seraient donc qu’une poignée d’hommes capables de lever, une fois par mois, chaque obstacle qui se dresse quotidiennement devant 150 personnes. Ils seraient aussi les seuls capables d’arbitrer en lieu et place de leur collaborateurs.

❹ L’épuisement par le stress du "Best effort" :

  • Quentin : "mieux vaut charger à 110% les équipes au cas où on aurait surestimé la difficulté à faire. Quant aux problèmes, on les résoudra comme d’habitude : en 'best effort'."
  • La bonne blague, non ?

Malheureusement, l’expérience prouve que le “Best effort is no effort”, surtout lorsque l’on est déjà au taquet depuis 18 mois et qu’on rapporte du travail à la maison. Collaborer signifie-t-il passer 80% de son temps en réunions stériles, au téléphone ou à répondre aux mails qui s’accumulent ?

Le Lean résume la répartition de son activité par une formule simplissime :

Job = Work + Kaizen

Comme on le montre en classe de troisième, cela équivaut :

Kaizen = Job - Work= collaborer autour de la résolution de problème

En bon Français, l’amélioration dépend directement du temps restant une fois retirée la durée de production à la durée totale du travail. Les collaborateurs réfléchissent enfin et résolvent ensemble un problème durant ce temps sacralisé. La direction et le management choisissent délibérément de ne pas produire durant cette période.

Le standard est simple : 10% du temps est consacré au Kaizen (deux termes japonais kai et zen qui signifient respectivement "changement" et "meilleur" souvent traduit par amélioration continue) réalisé ensemble. Une demi-journée par semaine et par personne pour collaborer autour de la résolution de problèmes. Et oui, chaque semaine.  

C’est le travail du manager de libérer ce temps, et d’en faire bon usage. Le rôle du chef de projet est de manager des collaborateurs et de leur libérer le temps nécessaire pour résoudre ensemble les problèmes.  En aucun cas, la planification des tâches ne fait partie de ses attributions. Le manager Lean crée par sa présence sur le terrain les conditions de la réussite de ses équipes, et de la collaboration en pratiquant les cinq attitudes : le challenge, le "go and see", le respect, l’engagement et le soutien.

Fig.#4 : Clefs pour mieux collaborer dans un projet © Operae Partners

Le Lean leur propose d’organiser un système apprenant, dans lequel la montée en compétence des collaborateurs est tirée par le Kaizen et la résolution de problèmes techniques.

Dans notre prochain article, nous aborderons un sujet au combien important : la qualité !