Logiciel : le revendeur, même sans contrat, n'est pas contrefacteur.

Un distributeur de logiciels est-il contrefacteur au motif qu'il vend le programme à de nouveaux clients sans régler la facture de l'éditeur ? La Cour d'appel de Bordeaux a répondu par la négative à cette question.

Par un arrêt du 10 mars 2016, la Cour d'appel de Bordeaux a rendu un arrêt intéressant dans une affaire opposant deux anciens partenaires contractuels, qui avaient noué leurs relations autour d'un logiciel de gestion de contenus sur internet. L'éditeur du logiciel avait demandé à son cocontractant, développeur de sites, de distribuer le programme en l'installant chez des clients dans le cadre d'une offre complète, en contrepartie du paiement d'une redevance. 

Quelques années après avoir conclu cet accord, les relations entre les parties s'étaient envenimées car l'éditeur avait constaté que son logiciel était utilisé chez certains clients finaux sans qu'il en ait été informé et sans que la redevance correspondante ne lui ait été versée. Le distributeur soutenait qu'il n'utilisait plus le logiciel en question car il avait développé sa propre solution de gestion de contenus.

L'éditeur a alors engagé une procédure judiciaire, notamment pour contrefaçon au motif que la licence de distribution qu'il avait accordée avait été violée. Il soutenait également que le logiciel prétendument développé par son ancien partenaire était une contrefaçon de son propre programme.

L'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux est riche de deux enseignements en particulier. 

D'une part, les juges indiquent que le fait, pour le distributeur, de ne pas avoir réglé la commission due à l'éditeur n'est pas en soi un acte de contrefaçon de logiciel, alors même que le logiciel a été installé chez des clients sans que l'éditeur en ait été préalablement informé. Selon l'arrêt, les parties avaient conclu un contrat de mandat autorisant le distributeur à installer le logiciel chez ses clients. Le fait de ne pas payer la redevance correspondante rendait le distributeur simplement débiteur vis-à-vis de son partenaire.

C'est ce que dispose l'arrêt en ces termes : "dans ce type de relation contractuelle et à défaut d'écrit, sauf dénonciation expresse et justifiée, le revendeur de la licence avait le droit de faire procéder à l'installation du logiciel sous la seule condition de s'acquitter de la facture ; le défaut de paiement n'est pas, en soi, un acte de contrefaçon". L'éditeur aura donc tout intérêt à bien encadrer contractuellement les modalités de revente de la licence et prévoir notamment une obligation d'information à la charge du distributeur, afin que le concédant soit régulièrement informé des clients chez qui le logiciel est installé. À défaut d'information et de règlement de la commission en temps utile, alors le contrat pourrait être résilié, de sorte que le distributeur deviendrait ipso facto contrefacteur.

D'autre part, l'arrêt est intéressant car il statue sur une autre demande au titre de la contrefaçon de logiciel. L'éditeur soutenait que son programme avait été copié par son ancien distributeur, qui proposait à ses clients une nouvelle solution. Une expertise informatique, réalisée en cours de procédure à la suite d'opérations de saisie-contrefaçon, avait révélé que les deux logiciels partageaient 18.200 lignes de code, sur les 75.000 lignes du logiciel original, représentant, selon l'évaluation de l'expert, entre 200 et 500 (!) jours de développement. L'expert avait considéré que le coeur fonctionnel du logiciel avait été reproduit à 50 %.

La Cour est donc entrée en voie de condamnation, même s'il est apparu que le logiciel reposait notamment sur des parties de logiciel libre, qui ne concernaient apparemment pas le coeur du logiciel. L'éditeur dans la même situation pourra toutefois réfléchir avant d'engager une procédure judiciaire qui, ici, a duré plus de quatre ans, dès lors que le contrefacteur, placé entre-temps en liquidation judiciaire, a été condamné à seulement... 15.000 euros de dommages et intérêts. L'effet dissuasif des condamnations reste un vaste chantier.