Dossier Start-up : comment réussir son pivot ?

"Savoir quand pivoter, c'est tout un art", assure Jean-Baptiste Rudelle, CEO de Criteo. "Si on le fait trop tôt, on ne donne pas vraiment sa chance à l'idée initiale. Si on le fait trop tard, on va dans le mur. La fenêtre de tir se situe entre six et 18 mois." Lui n'a pas hésité à pivoter plusieurs fois. A ses débuts, en 2005, Criteo était un service de recommandation de films. En 2006, alors que la start-up lève 3 millions d'euros auprès, notamment, d'Eleia Partners et d'ID Invest, Criteo pivote vers la recommandation de produits pour sites marchands. "Le site B2C générait un trafic bien trop faible, il n'y a pas eu de grosses discussions." Deux ans plus tard, nouveau bouleversement : à l'occasion d'une nouvelle levée de 7 millions d'euros auprès d'Index Ventures, le business model est modifié et se tourne vers le CPC Ad (cost-per-click advertising). "On a eu la chance qu'Index Ventures connaisse très bien le modèle au clic, parce qu'ils l'avaient déjà expérimenté avec Kelkoo. Même si le changement n'est pas évident, ils ont tout de suite compris ce qu'on voulait faire. Et Criteo a tout de suite décollé."

Quelques mois pour décoller

Jamais Criteo ne s'est vraiment retrouvé dans l'impasse. Alors pourquoi avoir décidé de pivoter ? "Quand ça ne marche pas du tout, il est plus facile de se résoudre à changer le modèle. Le problème, c'est quand ça marche plus ou moins. C'était notre cas. Nous étions dans une zone grise, avec quelques clients et un peu de revenus. Mais on sent au fond de soi que ça ne va jamais vraiment décoller. Il faut avoir le courage du changement", commente Jean-Baptiste Rudelle. Aujourd'hui, Criteo est passe de s'introduire sur le Nasdaq pour une valorisation estimée de plus d'un milliard de dollars.

Même discours du côté de Guillaume Decugis, co-fondateur et CEO de Scoop.it. Il lance Goojet en 2007, sous la forme d'un widget sur mobile puis d'un lecteur de news social, type flux RSS, avant de créer la première version de Scoop.it en tant que site web, en 2010. "On a passé trop de temps sur Goojet. C'est très difficile de voir que ça ne marche pas. On a toujours envie d'être optimiste quand on est entrepreneur." Avec le recul, Guillaume Decugis aurait aimé pivoter plus tôt : "Ce qui marche bien, marche bien dès le début. On aurait dû se donner trois mois, pas deux ans et demi."

Elaborer un modèle de croissance

Mais qu'est-ce qui montre concrètement qu'il est temps de pivoter ? "Le modèle de croissance", assure Guillaume Decugis. "Peu importe la métrique. Pour nous, c'était le trafic. Avec Goojet, nous n'avions pas de perspectives, alors que sur Scoop.it, l'utilisateur est média publisher et alimente les réseaux sociaux. Il a une croissance virale et nous amène d'autres utilisateurs." Ce qui a freiné le pivot de Goojet, c'est une levée de fonds de 8,3 millions d'euros, explique-t-il. "C'est confortable, mais du coup on a été moins enclins à changer de modèle. Mon conseil : commencer avec peu de fonds, jusqu'à être sûr d'avoir trouvé le modèle qui marche."