Covid-19 : l'Art en ligne se transforme sous l'impulsion des jeunes collectionneurs

Privé de son public pendant une grande partie de l'année 2020, l'Art, qu'il soit ancien ou contemporain, classique ou avant-gardiste, présenté par des institutions renommées, des galeries ou des maisons de vente, a été obligé de se réinventer pour continuer à exister.

Face à la crise, le marché en ligne, dont la croissance semblait stagner ces dernières années, a su avancer à marche forcée et assurer une continuité d’activité. Ses ventes ont été une planche de salut pour un écosystème fragile, dépendant de ses foires et grands événements.

Or, en même temps que le modèle économique se transformait, le public se renouvelait. La seconde partie du rapport Hiscox sur le Marché de l’Art en ligne, parue début décembre, fait ressortir plusieurs grands enseignements sur le comportement des acheteurs pendant la pandémie, leur influence sur le marché et les enjeux pour l’après-Covid-19.

1.     Les millenials, nouveaux acteurs majeurs de l’Art en ligne 

Le confinement a créé une parenthèse inédite que certains ont mis à profit pour explorer le web à défaut d’explorer les galeries. En se tournant vers le digital, l’Art a rencontré un nouveau public. Ainsi 82 % des nouveaux collectionneurs (moins de 3 ans) et 70 % des millenials acheteurs d’Art ont réalisé des acquisitions en ligne pendant la période. Ils n’étaient respectivement que 36 et 40 % l’année précédente ! La percée du mobile, déjà identifiée ces dernières années, est un indice révélateur de l’appétence de ce nouveau public : alors qu’ils étaient confinés chez eux, avec un grand nombre d’outils à disposition, 38 % des millenials ont réalisé des achats sur téléphone en 2020.

2.     Instagram devient incontournable

Qui dit millenials, dit Instagram. L’influence du réseau social ne cesse de prendre l’ampleur : plus de deux tiers des amateurs le désignent comme plateforme préférée pour les activités relatives à l’Art. Les artistes eux-mêmes y tirent leur épingle du jeu : en parlant directement à leur public, sans autre forme d’intermédiation, ils évincent les galeries dans leur rôle de facilitateur et de prescripteur. 73% des collectionneurs considèrent que les artistes ont désormais un rôle d’influenceur majeur. Le succès mondial de l’initiative Tussen Kunst & Quarantaine, lancé par 3 instagrameuses néerlandaises et consistant à reproduire chez soi des toiles célèbres, semble emblématique de cette inversion des rapports de force. Les institutions muséales n’ont eu ici qu’un rôle de suiveur et d’amplificateur.

3.     L’Art en ligne profite aux acteurs historiques et aux grandes plateformes

L’avènement du marché en ligne est aussi celui de la génération du "scrolling" : en ligne le sentiment de fidélité est moindre et la clientèle beaucoup plus volatile : 47% des collectionneurs confessent changer très régulièrement de plateformes.

Cette évolution a deux conséquences. D’une part une forme d’« uberisation », où les prescripteurs traditionnels, comme les galeries, s’effacent au profit de plateformes plus larges et moins spécialisées sur lesquelles l’offre et la demande se rencontrent. D’autre part, la poursuite de la consolidation du marché : la pandémie a d’abord profité aux acteurs historiques qui ont su déployer des dispositifs aguerris pour assurer les ventes en ligne. Au premier rang, les maisons de ventes aux enchères, Christie’s, Sotheby’s et Philips dont le cumul de ventes s’élève à 597 millions de dollars (contre 168 millions en 2019). Aucun acteur ne s’est positionné en leader absolu, aucun nouvel entrant n’est venu chambouler l’ordre établi.

4.     Acheter en ligne en temps de pandémie : un acte engagé

Dernière observation : en achetant en ligne les collectionneurs – et en particulier les millenials – ont souhaité témoigner de leur soutien à ce secteur très durement touché par la crise. 76% acheteurs de moins de 35 ans indiquent que soutenir les acteurs du marché était une de leurs principales motivations lors de leurs achats sur la période. Face aux fermetures, l’art émotion, l’art passion s’est mué en une forme de mécénat revisité. En outre, ces achats en ligne n’occultent pas le désir, bien réel, de l’expérience physique : 48 % des collectionneurs ayant acheté en ligne ont exprimé leur envie de retrouver les galeries et salles de vente.

En redynamisant un marché en ligne qui avait atteint une certaine maturité, la crise a présenté un semblant d’opportunité pour une partie du monde de l’Art avec l’appui de collectionneurs engagés. Mais le comportement des acheteurs montre aussi que le rapport à l’objet reste irremplaçable. Tout le défi de demain pour les acteurs du marché sera de conserver la clientèle nouvellement acquise. Pour cela, il leur faudra être capable d’aller encore plus loin dans la qualité de l’expérience digitale : faire preuve de crédibilité en matière de cyber sécurité, d’originalité dans la sélection des œuvres, savoir compenser l’absence d’expérience « physique » par une expérience utilisateur irréprochable, afin de gagner définitivement la confiance des nouveaux collectionneurs.