Web Summit 2023, victime collatérale du conflit israélo-palestinien ?

Web Summit 2023, victime collatérale du conflit israélo-palestinien ? L'édition 2023 du Web Summit, qui débute ce 13 novembre, a été ébranlée par la démission de son fondateur dont les commentaires sur le conflit au Proche-Orient ont conduit à une série d'annulations.

L'édition 2023 de la grande messe du numérique Web Summit qui débutera le 13 novembre prochain à Lisbonne ne ressemblera à aucune autre. Depuis ses modestes débuts en 2009 qui avaient rassemblé 150 participants à Dublin, Web Summit s'est imposé au fil des années comme un événement mondial incontournable de la tech. Ses organisateurs ont même lancé plusieurs déclinaisons à travers le monde : Web Summit Rio en Amérique du Sud, Collision en Amérique du Nord, Web Summit Qatar au Moyen-Orient, ou encore RISE en Asie.

Alors que cette édition 2023 semblait très attractive, faisant la part belle à l'IA, les commentaires du fondateur du Web Summit Paddy Cosgrave sur le conflit israélo-palestinien ont bouleversé son déroulement et entraîné la démission du dirigeant. Rappel des faits :

7 octobre : l'attaque terroriste du groupe armé palestinien Hamas en Israël fait plus de de 1 400 morts côté israélien. Paddy Cosgrave se trouve alors au Qatar au moment des faits pour préparer la future édition du Web Summit dans le pays. Il publie ce même jour sur le réseau social X (ex-Twitter) une statistique comparant le nombre de pertes humaines côté israéliens et côté palestiniens entre 2008 et 2023. Un chiffre qui ne prend pas en compte les victimes du 7 octobre. Si la publication a été supprimée depuis, son contenu a été rapporté par Techcrunch.

Le 13 octobre, suite aux frappes aériennes mortelles d'Israël sur la bande de Gaza en représailles aux attaques du Hamas, le fondateur du Web Summit écrit sur le réseau X que "des crimes de guerre demeurent des crimes de guerre, même lorsqu'ils sont commis par des alliés".

© Capture d'écran Twitter

Cette déclaration met le feu aux poudres. Plusieurs acteurs du secteur technologique regrettent ce post. A l'image de David Marcus, qui reproche à Paddy Cosgrave une prise de position "peu nuancée" sur ces événements, dans un tweet du 15 octobre. L'ancien président de Paypal et VP au sein du groupe Meta promet dans la foulée de ne plus jamais participer à ses évènements que ce soit en tant que participant, conférencier ou sponsor. L'influent investisseur Keith Rabois, general partner de Founders Fund, déclare : "Je refuserai de travailler avec toutes les personnes qui donneront une conférence au Web Summit Qatar pour tout le reste de ma carrière".

© Capture d'écran Twitter

Le 16 octobre : Plusieurs autres investisseurs annoncent parallèlement boycotter la conférence à l'image du VC français Philippe Botteri, associé chez Accel, ou encore Garry Tan, Président et CEO de l'incubateur Y Combinator. Le hashtag "Cancelwebsummit" est lancé sur X et une page sur Notion "Tech Condemning Terror" est créée pour suivre toutes les annulations.

Ce même jour, Paddy Cosgrave exprime son soutien à l'égard des victimes à travers le réseau social X et se dit "dévasté" par la mort des victimes civiles en Israël et à Gaza. Il affirme condamner les attaques du Hamas et espère une réconciliation dans la paix. Josh Kopelman, fondateur du fonds de capital-risque First Round Capital, a réagi en indiquant ne pas être convaincu par ces mots. Il diffuse le lien d'un Google Doc répertoriant plusieurs tweets critiquant Israël qui auraient été likés par le fondateur du Web Summit.

© Capture d'écran Twitter

Le 17 octobre, Paddy Cosgrave présente officiellement ses excuses via un communiqué. "Je comprends que ce que j'ai pu dire, le timing et la manière avec lequel j'ai pu le faire aient pu blesser beaucoup de personnes", écrit l'entrepreneur, après avoir rappelé son soutien aux entrepreneurs israéliens au fil des années à travers sa conférence Web Summit mais aussi via ses investissements personnels. Ces excuses ne semblent pas réussir à endiguer les annulations qui s'enchaînent, alors que des géants de la tech à l'image de Google, AWS, Intel, Meta ou encore Stripe confirment leur retrait.

Le 22 octobre, Paddy Cosgrave annonce finalement sa démission. L'Irlandais, qui détient 81% de Manders Terrace Ltd (la société détentrice du Web Summit), justifie son retrait dans un communiqué en indiquant que ses commentaires personnels "sont devenus une distraction pour l'évènement".

Le 30 octobre, Web Summit annonce la nomination de Katherine Maher au poste de directrice générale. L'ancienne CEO de la Wikimedia Foundation (l'organisation derrière Wikipédia) préside également la plateforme de messagerie Signal Messenger. Le Web Summit nomme aussi Damian Kimmelman, un serial entrepreneur basé à Londres, en tant qu'administrateur non exécutif.

Que faut-il attendre de cette édition 2023 ?

C'est la grande question que se posent les participants. Le 23 octobre, un porte-parole de l'événement avait déclaré attendre 70 000 participants, contre 71 000 l'an passé, et avoir ajouté près de 50 nouveaux speakers après la démission de Paddy Cosgrave. Outre les géants de la tech qui ont annulé leur participation, plusieurs speakers de renom ne figurent plus sur la liste des participants. Parmi eux, le JDN a par exemple remarqué l'absence du médiatique professeur Scott Galloway, de l'acteur Joseph Gordon-Levitt ou encore de Tim Berners-Lee, fondateur du World Wide Web. Difficile d'affirmer si ces annulations sont liées ou non aux commentaires du fondateur du Web Summit.  Au moment où le JDN rédige cet article, les organisateurs peuvent néanmoins toujours compter sur la présence de plusieurs speakers à l'instar d'António Costa (premier ministre du Portugal), Kuo Zhang (président d'Alibaba), mais aussi les fondateurs de Bolt, Canva, Tezos, etc. De nouveaux conférenciers ont été également ajoutés à la liste à l'image de Jimmy Wales, fondateur de Wikipedia.

Le conflit israélo-palestinien n'épargne pas le monde des affaires. La prestigieuse université d'Harvard s'est retrouvée, elle aussi, menacée de boycott par certains de ses donateurs reprochant à sa direction de se montrer trop complaisant envers les manifestants propalestiniens au sein de son établissement. De son côté, Elon Musk a déclaré le 28 octobre dernier être prêt à fournir un accès à Internet à la bande de Gaza actuellement sous blocus, grâce au système de communication par satellite de Starlink. Cette déclaration a fait réagir le ministre israélien des communications, Shlomo Karhi, qui a indiqué que son pays empêcherait "par tous les moyens" l'application de cette décision.

Malgré les répercussions des tensions au Proche-Orient, le Web Summit veut faire bonne figure et affiche un optimisme résolu pour cette édition 2023. Ses organisateurs ont ainsi déclaré dans un communiqué du 30 octobre s'attendre à accueillir un "nombre record" de 2 600 startups provenant de 85 pays, mais aussi 800 investisseurs, 2 000 médias et 300 partenaires. "Notre tâche immédiate est de recentrer notre attention sur ce que nous faisons de mieux : faciliter le dialogue entre toutes les personnes impliquées dans le progrès technologique", a déclaré Katherine Maher lors de sa prise de fonctions.