Dfinity, vers la naissance d'un nouveau géant du cloud décentralisé ?

Dfinity, vers la naissance d'un nouveau géant du cloud décentralisé ? La licorne américano-suisse entend ni plus ni moins réinventer Internet. Son concept ambitieux d'Internet Computer basé sur un réseau de datacenters indépendants vise à proposer une alternative à l'offre des GAFAM.

Ambitieux ou fumeux ? Disruptif ou utopique ? Les avis sont partagés à l'écoute du discours tenu par Dominic Williams, multi-entrepreneur britannique, qui entend ni plus ni moins réinventer Internet. Les investisseurs adhèrent en tout cas au discours. Créée en 2015, sa start-up Dfinity est devenue une licorne, valorisée au dernier pointage 1,8 milliard de dollars. Au total, elle a levé près de 167 millions de dollars auprès notamment de fonds spécialisés dans la cryptographie comme celui d'Andreessen Horowitz ou encore de Polychain Capital.

Avec Dfinity dont le siège social est basé à Zurich en Suisse et la R&D à Palo Alto au nord de la Silicon Valley, Dominic Williams place la barre très haut. Ce diplômé du King's College de Londres construit ce qu'il appelle l'"Internet Computer", un réseau décentralisé et non propriétaire permettant d'exécuter la prochaine génération d'applications loin de l'hémogénie des GAFAM. L'Internet Computer s'appuie sur un protocole décentralisé et "mathématiquement sécurisé" baptisé ICP (pour Internet Computer Protocol), reliant différents data centers indépendants à travers le monde. S'il est considéré à tort comme une blockchain, il se présente comme une évolution de la technologie de chaîne de blocks.

Un réseau d'ordinateurs blockchain

S'inspirant davantage du concept d'"ordinateur blockchain", Dfinity offre les mêmes garanties de sécurité que les contrats intelligents (smart contracts). A la différence de ces derniers, il fait reposer son mode de sécurisation non pas sur le minage de crypto-monnaies mais sur la puissance de calcul fournie par des centres de données indépendants. Baptisé Threshold Relay, le dispositif en question repose sur un système de signature de seuil cryptographique. Dominic Williams a co-écrit un document décrivant son mode de fonctionnement particulièrement complexe.

"Lors de leur IPO, Uber, Lyft, Pinterest, Slack, Spotify ou Zoom ont cité, comme facteur de risque, leur trop grande dépendance envers les clouds centralisés"

Pour rejoindre l'Internet Computer, les data centers devront obtenir un DCID (pour Data Center Identity). Dfinity fait pour cela appel à un système de gouvernance algorithmique, baptisé Network Nervous System, qui joue un rôle sensiblement analogue à l'Icann, l'autorité de régulation d'Internet. Après avoir obtenu le sésame, le data center pourra mettre à disposition des serveurs qui seront autant de nœuds supplémentaires pour le réseau. En échange, il reçoit une rémunération sous forme de jetons qui lui permet de participer aux décisions du réseau de façon démocratique. Dfinity précise qu'Internet Computer a été conçu pour intégrer des millions de nœuds.

Dfinity entend aider les entreprises à sortir de la dépendance aux géants du numérique. A ses yeux, Amazon Web Services, Microsoft Azure ou Google Cloud fournissent non seulement des services cloud commerciaux mais aussi divers composants comme des bases de données, des pare-feu, des technologies de virtualisation ou des plateformes de développement, tous conçus comme des points d'adhérence visant à rendre les entreprises captives. "La nature hautement personnalisée de ces systèmes et la complexité qui en résulte supposent des compétences spécifiques pour les maintenir et obligent à entretenir une relation étroite avec les fournisseurs", estime Dominic Williams, fondateur, président et chief scientist de la start-up, qui pose également la question de la réversibilité des applications.

Dominic Williams est fondateur, président et chief scientist de Dfinity. © Dfinity

Avec l'Internet Computer, Dfinity entend offrir une alternative à l'Internet "monopolistique et fermé" créé par les GAFAM. Ce cloud 3.0 réduirait les coûts d'infrastructure côté entreprises tout en donnant des garanties aux utilisateurs sur la façon dont leurs données sont traitées.

La prédominance des GAFAM sur le marché du cloud serait aussi un frein à l'innovation. "Lors de leur introduction en Bourse, Uber, Lyft, Pinterest, Slack, Spotify ou Zoom ont cité, comme facteur de risque, leur trop grande dépendance envers les grandes plateformes de cloud", rappelle Dominic Williams. "Zynga par exemple dépendait de l'accès aux APIs de Facebook, et lorsque Facebook a changé ses règles, Zynga a perdu 85% de sa capitalisation boursière." A cet égard, il estime que l'Europe, en retard sur les États-Unis et l'Asie en termes de licornes, pourrait bénéficier des nouvelles règles du jeu introduites par l'Internet Computer.

Pour donner corps à sa vision, Dfinity a présenté lors du dernier forum de Davos, LinkedUp, une déclinaison ouverte de LinkedIn permettant à des développeurs de l'enrichir de nouveaux services. De la même manière, il serait possible, selon la start-up, de créer des versions ouvertes de WhatsApp, Facebook, TikTok ou Zoom.

Lancement commercial prévu d'ici fin 2020

En novembre dernier, Dfinity a lancé Motoko, un langage spécifiquement optimisé pour sa plateforme conçu par le co-créateur de WebAssembly. Depuis, quatorze versions publiques du kit de développement (SDK) du langage ont été publiées. La start-up indique toutefois qu'Internet Computer peut prendre en charge d'autres environnements logiciels.

Dominic Williams estime que l'Internet Computer s'adressera prioritairement aux start-up à valeur ajoutée et aux grands comptes qui exploitent des systèmes informatiques complexes. "Il leur permettra de réduire leurs coûts tout en gagnant en sécurité et en souveraineté", argue Dominic Williams. Pour asseoir le développement de Dfinity, le fondateur mise sur l'Europe et tout particulièrement sur la France "qui associe, en nombre, grandes entreprises, entrepreneurs et ingénieurs".

La prochaine étape sur de la feuille de route sera le lancement commercial d'Internet Computer d'ici la fin de l'année. Il s'appuiera sur un réseau mondial de centres de données indépendants. Le marché pourra alors trancher.