L'urgence de la transition vers des data centers à faible consommation d'énergie

L'UE souhaite imposer aux opérateurs de data centers de viser la neutralité carbone d'ici 2030. Retour sur les défis que cela implique.

L’UE souhaite imposer aux opérateurs de data centers de viser la neutralité carbone d'ici 2030, date à laquelle ils devraient consommer 30% d'énergie supplémentaire. Face à ces défis, comment les architectes de ce numérique en pleine expansion peuvent-ils concevoir des centres de données qui répondent aux besoins croissants tout en protégeant l'environnement et notre avenir climatique ?

Ne nous voilons pas la face, la quantité de données générées par les entreprises augmente et, avec elle, la demande de capacité de calcul pour en extraire de la valeur ainsi que la consommation énergétique. Depuis plusieurs années d’ailleurs, le secteur numérique est pointé du doigt comme l'un des plus gros émetteurs de carbone, et notamment les data centers qui représentent 25 à 30% de la consommation énergétique globale du secteur numérique(1).

Mais la loi de Moore touchant à sa fin, la cadence à laquelle nous produisons des processeurs plus efficaces se ralentit. Tout cela signifie que la demande énergétique de nos centres de données va tendre à croître de plus en plus vite si nous ne faisons rien pour améliorer radicalement leur efficacité énergétique et réduire leur empreinte carbone. Les acteurs du secteur sont invités à adhérer à certaines bonnes pratiques et à rivaliser d'ingéniosité dans la conception des infrastructures. Heureusement, des technologies sont déjà disponibles, de la pile informatique complète à l'infrastructure des centres de données, pour optimiser l'ensemble de la chaîne.

Connaître et appliquer des pratiques responsables

Le bon sens et les pratiques responsables devraient généralement guider les décisions de la vie quotidienne. Cela vaut également pour le monde de l'informatique. Étant donné que le taux d'utilisation de nombreux serveurs reste inférieur à 30%(2), la mutualisation des ressources ou la mise en commun des infrastructures, qui consiste à exploiter toutes les capacités possibles des serveurs pour augmenter les taux d'utilisation, est généralement un moyen très efficace de réduire l'impact énergétique et environnemental des centres de données.  On estime que la consommation d'énergie d'une tâche donnée sera environ 25% inférieure sur des infrastructures fortement consolidées par rapport à un centre de données sur site. On pourrait donc penser qu'il est plus facile pour les exploitants de centres de données et les fournisseurs de services de cloud public d'augmenter les taux d'utilisation et de réduire l'empreinte énergétique grâce aux économies d'échelle.

Mais les choses ne sont pas toujours aussi simples. Selon une étude de 2017(3), 25 à 33% des investissements dans les centres de données sont encore liés à des serveurs et des machines virtuelles "comateux" ou inutilisés. A tel point que des dizaines de milliards de dollars ne génèrent aucun retour financier. De plus, IDC(4) estime que 71% des entreprises pourraient revenir à des solutions sur site pour certains cas d'utilisation en raison de problèmes liés à la réalisation d'objectifs de niveau de service tels que la performance, la sécurité et la souveraineté des données, ou simplement en raison d'un coût financier plus élevé que prévu. En somme, ces entreprises perdent finalement les avantages des économies d'échelle.

Repenser la façon dont nous concevons et exploitons nos environnements informatiques est essentiel pour relever les défis à venir. En fin de compte, quel que soit l'endroit où se trouve leur infrastructure, les opérateurs doivent se concentrer sur quatre piliers clés pour accroître l'efficacité de l'ensemble du paysage informatique :

  •  L'efficacité des équipements, soit réaliser un maximum de tâches avec les ressources disponibles en éliminant les équipements zombies et en augmentant leur utilisation.
  •  L'efficacité énergétique, qui consiste à utiliser le bon équipement pour la bonne charge de travail. Ces améliorations réduisent la consommation d'énergie nécessaire à l'accomplissement des tâches informatiques, réduisant ainsi les coûts OPEX pour l'énergie et le refroidissement, aidant les opérateurs à atteindre leurs objectifs de réduction de carbone ou d'énergie.
  •  L'efficacité des ressources, afin d’en utiliser le moins possible pour fournir une même charge de travail, qu'il s'agisse du refroidissement du centre de données ou d'autres ressources auxiliaires.
  •  L'efficacité des logiciels, c’est-à-dire utiliser des logiciels optimisés pour l’infrastructure actuelle en utilisant l'intelligence artificielle ou l'apprentissage automatique pour améliorer l'efficacité, réduire les temps d'arrêt et améliorer les pratiques de gestion.

Le monde est hybride

Avant de prendre une décision architecturale, les organisations doivent tenir compte de la nature même de leurs besoins informatiques et des données générées en cours de route. Le voyage vers une modernisation axée sur les données commence dès la phase de conception, en partant des besoins de l'entreprise pour concevoir une stratégie de bout en bout.

Bien que le cloud public offre des avantages en termes de durabilité, toutes les applications et les données ne peuvent pas y être placées. Selon IDC, 70% des applications n'ont pas été écrites pour fonctionner dans le cloud. Leurs données doivent ainsi rester dans les centres de données, les colocations ou en périphérie pour des raisons telles que les besoins de faible latence, les politiques de gouvernance des données, la souveraineté, la conformité ou les applications enchevêtrées typiques de l'informatique traditionnelle.

Un modèle as a service peut apporter une expérience plus agile et un mode d'exploitation en libre-service des données où qu’elles se trouvent ; grâce à un paiement selon l'utilisation réelle, la possibilité d’en augmenter ou d’en diminuer l'échelle suivant les besoins et en confiant la gestion à un spécialiste. Cela permet de réaliser des économies, des gains d'efficacité tout en optimisant l’utilisation, autant d’avantages clés en matière de durabilité pour les organisations. L'augmentation de l'efficacité et la réduction des coûts font également progresser le profil de durabilité, en aidant les clients à réaliser des économies de coûts énergétiques. Si l'on compare un modèle d'investissement et un modèle de service sur un cycle de vie de cinq ans, les clients peuvent réaliser des économies de 30%(5) tout en réduisant les émissions de carbone, la consommation d'énergie, l'utilisation de matériaux et les déchets.

Optimiser la conception et la durée de vie des infrastructures

Chaque génération de processeur nécessite moins d'énergie que la précédente pour fournir la même puissance de traitement. Par conséquent, le passage d'une génération à la suivante peut soit augmenter les performances, soit réduire la consommation d'énergie de 10 à 20% . De plus, la combinaison d'un modèle d'exploitation as a service avec une stratégie de colocation est un autre excellent moyen d'accroître les avantages en matière de durabilité. Les principaux fournisseurs de services de colocation peuvent en effet utiliser l’énergie plus efficacement en investissant dans des infrastructures de refroidissement naturel ou liquide et d'alimentation ultra-efficiente qui contribuent à la diminution de l’empreinte carbone. L'utilisation généralisée du refroidissement liquide direct des serveurs permet à elle seule d'économiser jusqu'à 40% si elle est associée à des principes de conception optimisée des centres de données, comme le confinement des allées froides et chaudes ou l'utilisation du free cooling pour générer un flux d'air frais depuis l'extérieur. Il s'agit d'un avantage réel si l'on considère que l'infrastructure de refroidissement peut représenter jusqu'à la moitié de la consommation d'énergie d'un centre de données.

Enfin, la combinaison de réseaux privés, que ceux-ci s'appuient sur la 5G ou sur des architectures plus traditionnelles, avec des unités de stockage modulaires et des infrastructures de périphérie permettra de traiter les données plus près de leur lieu de résidence, de limiter les déplacements inutiles de données, de maximiser l'utilisation des capacités et d'accroître l'efficacité énergétique. Grâce à ces techniques, seule une petite partie des données transitera sur le réseau internet longue distance, ce qui entraîne de facto des économies de bande passante réseau et une meilleure performance énergétique globale.

Les améliorations technologiques susmentionnées ne doivent pas faire oublier les avantages potentiels en termes de durabilité de l'allongement du cycle de vie des infrastructures informatiques et de la généralisation des équipements de deuxième, voire de troisième vie et de revente. Par exemple, un serveur qui, après trois ans, ne répond plus aux besoins des applications modernes et intensives de son propriétaire, pourrait bien trouver une seconde vie dans une autre entreprise ayant des besoins informatiques moins intensifs, ou dans des environnements non dédiés à la production critique.

La décarbonisation doit provenir d'approches disruptives

Indépendamment de ce que les entreprises choisissent de faire, elles peuvent toutes revoir certaines de leurs pratiques pour réduire les impacts carbone et énergétique de leurs données. Chaque domaine d'optimisation apporte une pièce au puzzle, et elles sont nombreuses et peuvent être combinées. Parmi les principes de base qui peuvent offrir des gains rapides, citons l'attention portée à l'impact énergétique des codes sources et des langages de programmation utilisés, chacun impliquant une consommation différente, la réflexion sur la mise en place d'outils de suivi en temps réel des paramètres opérationnels, afin d'optimiser les rendements énergétiques des installations et d'anticiper les dérives (jumeau numérique), ou encore l'optimisation des couches logicielles pour éviter les redondances inutiles.

Pour aller plus vite et plus loin, la décarbonation des futurs centres de données nécessitera des approches ambitieuses et disruptives visant à utiliser des sources d'énergie locales, autonomes, plus vertes et à faible coût, partout où cela est possible. Comme par exemple des centres de données offshore, situés sur de petites barges flottantes alimentées par des turbines pélagiques à la dérive et refroidies par l'océan environnant. Encore plus innovants ; des centres de données en orbite haute alimentés par des panneaux solaires et thermorégulés par le vide spatial. Le projet ASCEND (Advanced Space Cloud for European Net zero emission and Data sovereignty) est une étude de faisabilité de centres de données en orbite, qui fait partie du vaste programme de recherche européen Horizon Europe. Il pourrait contribuer à atteindre l'objectif du Green Deal européen, à savoir la neutralité carbone d'ici 2050, et constituerait également un développement sans précédent de l'écosystème spatial et numérique européen.

(1) ICT Impact study, FINAL REPORT, By VHK and Viegand Maagøe for the European Commission, July 2020

(2) Uptime global survey of it and Data centre managers 2022

(3) ZOMBIE/COMATOSE SERVERS REDUX, A report by Koomey Analytics and Anthesis from Jonathan Koomey and Jon Taylor

(4) "Servers and Storage Workloads Survey H1 2021", August 2021, IDC

(5) Forrester, Total Economic Impact of HPE GreenLake, 2020