Michael Jackson (Mangrove Capital) "Nous aimons investir à contre-courant des tendances"

Ancien du secteur des télécoms et ex-COO de Skype, Michael Jackson est Partner chez Mangrove Capital depuis 2007. Il décrypte la stratégie du fonds d'investissement.

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Michael Jackson, Partner chez Mangrove Capital. © b&w

JDN. Comment est structuré Mangrove Capital ?

Michael Jackson. Notre société de capital-risque a été créée en 2009. Nous avons plus de 500 millions de dollars en gestion, à travers trois fonds distincts. Nos souscripteurs sont divers investisseurs institutionnels américains et européens. Nous préférons en général investir tôt dans les start-up, mais nous avons à la fois créé des sociétés, investi en amorçage, et investi plus tard, dans des entreprises plus matures. Cela dépend beaucoup des dossiers que nous dénichons. Bien que nous ayons une préférence pour le early stage, nous ne nous limitons à aucune montant d'investissement ou aucune phase.

Quels secteurs vous intéressent ?

De manière générale, les TIC. On adore ce qui touche aux communications et au mode freemium... et toute start-up qui présente un grand potentiel ! Nous sommes attachés à prendre de grands risques et nous refusons de nous contenter de suivre la tendance. Pensez à Skype, par exemple : qui aurait voulu investir dans deux ordinateurs qui communiquent entre eux en 2003 ? Ou à Wix : qui aurait voulu investir dans un énième constructeur de site en 2006 ? Ces deux investissements représentent deux énormes succès pour notre société.

Ce sont en effet vos deux plus grandes réussites... Skype a été revendu pour à eBay pour 4,1 milliards de dollars (Mangrove a récupéré 100 fois sa mise de départ), tandis que Wiz vient de s'introduire en bourse...

La revente de Skype a été une opération exceptionnelle pour Mangrove. Cela a montré à la société ce que veut dire le mot "succès". On ne tolère pas la médiocrité, et on sait qu'on a la capacité de bâtir des sociétés mondiales. Ces six dernières années, nous avons appliqué la même attitude et stratégie utilisée pour Skype avec Wix.com. Elle vient d'entrer en bourse avec une valorisation de 750 millions de dollars. Sans notre prise de risque et notre coaching, qui consiste à viser le plus haut possible, cela aurait pu tourner de manière complètement différente.

Comment un entrepreneur peut-il vous convaincre d'investir dans sa start-up ? Qu'est-ce qui, pour vous, est rédhibitoire ?

En général, il n'y a pas d'entre deux. Soit on apprécie les fondateurs, soit le courant ne passe pas. Il n'y a pas de raison particulière, mis à part que le succès de toute société dépend des forces derrière elle. Si on ne vous apprécie pas vraiment, on n'investira pas. Peu importe l'idée.

Combien d'investissements avez-vous déjà effectué ?

Plus de 100. Parmi nos plus grands succès : Skype, Brands for friends et Wix. Pour évaluer la réussite –ou non- d'un investissement, le seul paramètre que nous considérons est le retour aux investisseurs. C'est notre raison d'être.

Avez-vous investi dans des start-up françaises ?

Oui, plusieurs fois [Dans Zlio et Jamendo notamment, ndlr], mais aucun de ces investissements n'a encore été couronné de succès, si l'on prend en compte le retour aux investisseurs uniquement. Ce n'est pas pour autant que nous ne nous intéressons plus aux start-up françaises. La plupart des Partners parlent français, certains vivent en France...

Que pensez-vous de l'écosystème français ?

La France compte des entrepreneurs d'exception. Je pense par exemple à Tariq Krim (Lire la biographie : "Tariq Krim, le héraut du Web français", du 08/07/13) ou Pierre Lefèvre, d'Induct.

Quels sont les pays les plus innovants en Europe ?

Difficile à dire. Nous cherchons des petits groupes de personnes avec des capacités d'exécution et de vente hors du commun, et ils peuvent venir de n'importe où. Mangrove Capital investit partout en Europe, en Russie et en Israël. Nous n'avons pas de pays "favori", même si, actuellement, nous investissons probablement principalement en Israël.

Mangrove Capital est aussi très actif en Russie. En quoi le pays est-il favorable aux investissements ?

Parce qu'on y trouve de très grands entrepreneurs, déterminés à réussir, même si les risques sont énormes pour eux et leurs employés. Sauter le pas de la création de start-up est plus facile pour quelqu'un qui n'a pas de sécurité sociale, pas de vacances et pas de perspectives dans son travail actuel. C'est le contraire en France : les cinq semaines de vacances, le "shutdown" au mois d'août et des conditions de travail agréables maintiennent trop de gens en dehors du marché entrepreneurial.

Quelles sont les principaux problèmes rencontrés par les jeunes pousses ?

Le problème, c'est qu'aujourd'hui démarrer une start-up est facile, parce que les barrières à l'entrée sont négligeables. Mais continuer et lever des fonds est difficile. A moins d'avoir une idée tellement bonne que la levée ne posera pas de soucis, il faut une très bonne équipe dès la création du projet pour bien l'exécuter. Autre difficulté : les start-up ont tendance à créer des produits "parce qu'elles le peuvent", pas parce que c'est une bonne idée. Il faut aller sur le terrain et pitcher aux vrais clients. Pas à sa mère ou ses amis.

Considérez-vous que les VC européens sont en crise ?

Notre société n'a pas connu de problèmes, et d'autres fonds européens à succès non plus. Nous sommes en compétition sur un marché global, donc nous devons nous hisser parmi les meilleurs du monde. Par contre, beaucoup de fonds récents, qui n'ont pas encore engrangé de rendements de calibre mondial, connaissent bien sûr des difficultés. De la même manière qu'une start-up qui n'a pas encore fait ses preuves a du mal à trouver des clients, embaucher ou lever des fonds, un VC qui n'a pas encore fait ses preuves souffre aussi.

Après 25 années passés dans les télécoms, durant lesquelles il a travaillé pour ou créé une douzaine de sociétés, dont Tele2, Michael Jackson devient le COO de Skype en 2004. En 2007, il rejoint Mangrove Capital.