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TRIBUNE
 
18/05/2005

Jean-Michel Le Roux
Itinéraire d'un PhD en recherche d'emploi

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A la lumière de mon parcours, je constate que la combinaison doctorat / MBA n'est pas valorisée par l'entreprise, que la mobilité s'avère un handicap et que la différence n'est pas recherchée.

L'expatriation idyllique, aux Etats-Unis

1995, les portes du rêve américain s'ouvraient à moi. A l'époque, peu de personnes semblaient - en France - s'intéresser à mon parcours et à mon doctorat en physique accompli dans le secteur privé en collaboration avec une grande société française. Les seuls contrats d'embauche que je pouvais trouver depuis ma thèse - fin 1994 - étaient dans le domaine de la prestation de services. Finalement, grâce à une connaissance personnelle et un suivi professionnel, mon CV s'était acheminé de Boca Raton (Floride) à New-York. Après de multiples entretiens avec des responsables d'IBM en France et aux Etats-Unis, me voici à la douane américaine. Le fonctionnaire du service de l'immigration me reçut froidement au départ. Mais une fois qu'il comprit où j'allais travailler, il m'accueillit les bras ouverts. J'étais embauché par IBM en tant que post-doctorant au centre de recherche privé mondialement connu "T.J. Watson Research Center".


Mon manager me qualifie de 'Top Notch'"

Les bonnes surprises ne s'arrêtèrent pas là. Les sociétés américaines savent recevoir. Elles vous donnent le temps et les moyens de vous installer, vous aident à trouver un logement via un organisme indépendant. Mon salaire doublait tout simplement dans la transaction malgré mon statut de post-doctorant. Mon pouvoir d'achat augmentait encore plus. Je me plongeai tout de suite dans le bain en participant à une réunion pluri-hebdomadaire pour le transfert de technologie entre la recherche "avancée" et notre groupe qui réalisait le noyau dur du produit. Je tombais en plein développement du nouveau système de reconnaissance de parole d'IBM qui à l'époque s'appelait VoiceType 3.0. Tout le monde était sur le pont pour assister à l'avènement de ce produit sur le marché.

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Après quelques mois, mon manager me confiait la tâche d'incorporer une "particularité française" dans le système. Je n'avais que quelques mois pour accomplir cette mission avec l'aide d'une doctoresse française détachée par IBM France depuis deux ans et le support de l'équipe en France. C'était un réel challenge. Cette expérience s'avéra un franc succès, suivi de multiples retombées personnelles. Ma réputation était construite et mon manager me qualifia de "Top Notch" (excellent). Ainsi je devins permanent avec la position fortement convoitée de "Research Staff Member" doublée par la suite de "Team Leader". Mes sept années d'expatriation aux Etats-Unis ne furent qu'une suite de satisfactions professionnelles et personnelles.

La courte transition, en Suisse


Malheureusement, la société dut fermer"

Dans un tel environnement, il est facile de s'endormir sur ses lauriers. Mais, par goût du challenge et pour des raisons personnelles, je choisis de partir à la quête de nouvelles expériences. Après une recherche relativement rapide, je répondis à deux annonces : la première pour une start-up française - restée sans réponse - et la deuxième pour une start-up suisse qui me proposa immédiatement un rendez-vous. Après deux jours d'entretien avec les principaux interlocuteurs de la société incluant une présentation orale et l'appui de références comme il est d'usage dans ce milieu, le directeur scientifique me proposa le poste, que j'acceptai.

Je devins alors responsable du département de bioinformatique en plein développement. Ma rémunération, légèrement inférieure restait acceptable et le déménagement était de nouveau inclus dans le "package" ainsi que des stock-options. L'intégration se passa bien et je fus rapidement impliqué dans l'organisation technique de l'entreprise. Je proposai une nouvelle organisation qui fut acceptée par la direction et remporta un vif succès. Je devins directement rattaché au président directeur général et pris en charge un deuxième département, celui de l'instrumentation. Malheureusement, la société dut fermer pour des raisons principalement financières, comme beaucoup d'entreprises dans le secteur des biotechnologies durant cette période.


Je me sentais plein d'énergie pour un retour optimiste au pays"

J'utilisais alors cette opportunité, avec l'appui moral du PDG, pour suivre une formation d'un executive MBA dans une des "business school" mondialement reconnue qui se situe justement à Lausanne. Cela faisait longtemps que je voulais doubler ma formation scientifique par une formation "business", l'occasion m'en était finalement donnée. Fort de ces nouvelles compétences, de mon expérience internationale et du pragmatisme nécessaire acquis dans une entreprise en difficulté, je me sentais plein d'énergie pour un retour optimiste au pays.

La réconciliation impossible, en France

2005, les portes françaises se ferment. J'ai la très mauvaise impression d'être revenu dix ans en arrière et pire car maintenant l'âge joue contre moi. Il ne me semble pas nécessaire de détailler ma recherche d'emploi en France. Je préfère essayer d'extraire quelques points clefs basés sur mon expérience et pouvant se généraliser pour en déduire intrinsèquement quelques propositions :

Le doctorat, du fait de notre organisation napoléonienne, n'est pas reconnu et même inconnu dans notre pays contrairement au reste du monde. La combinaison doctorat / MBA empire la situation car cela ne correspond pas à l'image préconçue de la formation par la recherche, comme si, en France, il n'était pas possible d'évoluer.


Le manque de personnalité devient même un atout"

La mobilité devient un handicap car en vous expatriant de façon indépendante vous perdez votre réseau. C'est pourtant aujourd'hui le seul moyen efficace pour retrouver un emploi. Il est beaucoup plus prudent de rester dans son secteur d'activité au même endroit, quitte à perdre son ouverture d'esprit.

L'incident de parcours n'est pas dans notre culture ; contrairement à d'autres cultures qui considèrent toutes expériences comme un moyen d'acquérir de nouvelles connaissances et de progresser cela devient chez nous une marque honteuse et indélébile.

La diversité n'est pas à l'ordre du jour. Le "copier coller" est devenu une pratique courante. Il faut avoir accompli exactement la même tâche dans une autre entreprise de la même taille ; être prêt à diviser son salaire par trois, sans avantages supplémentaires, ne change rien. La personnalité n'a plus aucune importance. Le manque de personnalité devient même un atout. La sclérose du marché ne fait qu'empirer par ces pratiques.

Triptyque respect - responsabilité - risque


Décroître le sentiment de peur et de culpabilité symptomatique de notre société"

Que faut-il faire ? J'ai dernièrement dîné avec un banquier suisse qui se plaignait du manque de prise de risques de la part de ses clients, un comble ! Le risque, un risque calculé certes mais risque tout de même, est à la mode, me direz-vous. Très bien alors allons plus loin. En tant que manager comment pouvons-nous encourager la culture du risque ? Contrairement à la tendance actuelle, il faut diminuer les contrôles pour décroître le sentiment de peur et de culpabilité symptomatique de notre société.

Dans le même temps, il faut augmenter la prise de responsabilité de chacun pour augmenter la motivation de tous. La conséquence immédiate est alors un plus grand respect de soi et par là même des autres. Cette confiance retrouvée permet d'inverser la spirale infernale, on est alors prêt à prendre plus de risques. La diversité, les "incidents de parcours", la mobilité et les parcours multiples deviennent des valeurs reconnues indispensables à la créativité source d'emplois futurs. Ce nouvel état d'esprit associé à un réel esprit de groupe nous redonnera finalement l'énergie des bâtisseurs indispensable à notre survie !


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