Journal du Net > Management >  Stéphane Waller (Meltis)
CHRONIQUE 
 
07/09/2005

La chronique de Stéphane Waller (Meltis)
La formation va passer du communisme au capitalisme

  Envoyer Imprimer  

Site
  Meltis
Comment le DIF fait passer la formation dans l'entreprise d'un système communiste à un système capitaliste

Heureux événement pour les uns, source de stress pour les autres, le DIF (Droit individuel à la formation) a été perçu par la majorité des entreprises principalement sous ses aspects financiers et organisationnels. Ces aspects constituent cependant la partie émergée de l'iceberg. En fait, il y a fort à parier que le DIF va profondément changer la façon de faire de la formation en entreprise, et sera bien à l'origine d'une véritable révolution du domaine.

Ce sera une révolution à l'envers, dans la mesure où la formation qui se situe aujourd'hui, si l'on ose tenter l'analogie, dans un modèle de type communiste (ou d'économie dirigée), va s'engager dans un modèle de type capitaliste (ou d'économie de marché). Ce sera l'occasion pour les DRH et les responsables de formation, de redéfinir leurs rôles et de reprendre la main face à un système qui avait tendance à se scléroser et dont le salarié utilisait les travers pour servir des objectifs propres et non plus en phase avec la stratégie de l'entreprise.

Afin de bien servir mon propos, je vous propose une petite histoire de la formation revisitée à ma sauce, caricaturale sans doute, mais pas si loin de la vérité.

La formation, un système communiste
Au début de la formation, il n'y avait pas de formation. Le salarié se formait sur le tas, tout seul ou épaulé par son manager ou ses collègues. Puis, très rapidement, les entreprises ont voulu rendre leurs troupes plus productives et les aider à s'adapter aux évolutions du monde du travail. Elles ont donc mis en place des plans de formation qui permettaient d'organiser et de distribuer la formation aux salariés (on notera au passage cette notion significative de plan, même mot que pour les célèbres plans quinquennaux).


Ils suivent la ligne du parti, jusqu'au jour où le salarié perçoit les failles du système..."

Ensuite arrive l'idée de performance. Il s'agit alors pour la formation d'adapter la ressource humaine pour générer toujours plus de performance, de productivité, de rentabilité. La formation devient un moyen au service de cette performance. Des objectifs sont fixés et la formation est un des moyens d'atteindre ces objectifs. C'est l'ère du stakhanovisme.
Mais ce sont toujours les managers, DRH et responsables de formations qui décident de ce qui est bon pour le salarié. Ils lui distribuent les formations ainsi selon leurs moyens et/ou leur bon vouloir. Ils suivent la ligne du parti. Jusqu'au jour où le salarié commence à percevoir les failles du système… et à essayer d'en tirer profit à son avantage. Quelques exemples de dérives :

Le salarié souffre très fortement de la pression croissante qu'on lui impose. La formation peut devenir pour lui un moyen d'échapper au dur labeur et au stress : c'est un temps off déconnecté du travail quotidien.

La formation (ou plutôt son absence) peut être également un moyen pour lui de justifier son incapacité à atteindre des objectifs : il n'a pas été suffisamment formé pour remplir sa mission. Tout cela étant très subjectif, le manque supposé de formation devient un prétexte qui le protège.

La formation n'étant pas distribuée à tous de façon équitable, elle tend à devenir une sorte de cadeau, d'avantage qu'on s'arrache. Le salarié devient revendicatif, essayant d'en tirer le plus à lui au détriment de l'intérêt collectif.

Le salarié voit dans la formation un moyen de développer son employabilité sur le marché du travail, plus que son adaptation à son poste actuel.

Le salarié évite la formation qu'il juge inadaptée à son besoin réel car décidée en haut lieu d'une pyramide qui a perdu contact avec la réalité du terrain. Son manque de motivation réduit donc l'efficacité de la formation.

Devant l'uniformisation de la formation en interne (car le parti a tendance à uniformiser ses solutions pour se simplifier la tâche) ou la pénurie (malgré les bonnes intentions, tout le monde n'ayant pas droit à la même quote-part de formation) se crée un marché parallèle qui échappe à l'entreprise, le salarié allant chercher chez des prestataires extérieurs ce qui ne le satisfait pas en interne.

La révolution culturelle du DIF
Le DIF remet en cause ce système d'économie dirigée et centralisé où c'est l'Etat (la direction RH, la direction de la formation..) qui distribue la formation selon son plan.


Le salarié devient un consommateur de formation"

C'est une logique de marché qui s'installe. Le DIF introduit une monnaie qui permet à l'offre et la demande de se rencontrer. Cette "monnaie", ce sont les vingt heures auxquelles le salarié a droit par an, et qu'il peut dépenser à sa guise ou même épargner si bon lui semble. Le salarié devient alors un consommateur de formation. Certes aujourd'hui les salariés sont encore très attentistes face au DIF, mais ils vont vite comprendre comment en tirer leur parti. Il y a même des articles dans les journaux féminins expliquant aux salariées comme optimiser leur DIF.

Les formateurs vont donc devenir des offreurs de formation. Alors qu'ils géraient la pénurie (ou la surproduction selon les aléas du système), ils vont devoir raisonner dans une logique de marché, en élaborant des produits attractifs, en essayant de les distribuer au mieux, en communicant sur ces produits de façon offensive. L'enjeu pour eux est maintenant d'éviter que le salarié aille consommer ailleurs.

Le risque est triple car le salarié peut :
Changer d'enseigne : si une autre entreprise se révèle plus séduisante sur le plan de la formation, un employé peut très bien décider de changer d'entreprise...
Changer de produit : plutôt que prendre la formation recommandée par son entreprise, il va s'intéresser à des formations qui correspondent plus à ses centres d'intérêts personnels ou à ses velléités de reconversion.
Changer de circuit : il retrouve alors le "marché parallèle de la formation" en allant chercher chez un prestataire extérieur ce qu'il ne trouve pas dans son entreprise (avec une incidence de coût et de qualité pour celle-ci)

DRH et responsables de formation doivent donc apprendre à maîtriser le marché. De la même façon que les marques ont aujourd'hui repris le pouvoir face aux consommateurs en sachant créer les besoins, dicter les modes, assurer leurs marges, il s'agit pour les responsables de la formation en entreprise de prendre le pouvoir sur le marché vis-à-vis des consommateurs

Seul le marketing de la formation peut les aider à cela. Nous verrons comment dans une prochaine tribune...

Parcours

Stéphane Waller est le fondateur et directeur de Meltis, cabinet spécialisé dans la formation stratégique. Il a commencé sa carrière en 1992 au Canada, au sein du groupe Accor, en tant que responsable marketing B to B. En 1994, il devient responsable marketing d'Esthederm avant de rejoindre, en 1996, Novartis en qualité de chef de produit. En 1999, il fonde Meltis.



JDN Management Envoyer Imprimer Haut de page

Sondage

Penserez-vous à votre travail pendant les fêtes de fin d'année ?

Tous les sondages