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ENTREPRISE
 
07/12/2005

François Barrault (BT International)
Le changement est un mal nécessaire pour survivre

Le jeune patron français de BT International a piloté de nombreuses fusions-acquisitions et participé activement à la refonte managériale du géant britannique des télécoms. Ses leçons de management.
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Concrètement, comment BT a-t-il fait évoluer sa culture d'entreprise ces dernières années ?
François Barrault. L'essor d'Internet, le poids des dettes, l'arrivée de concurrents et de nouvelles régulations ont poussé des entreprises centenaires comme Bristih Telecom, Deutsche Telekom ou France Télécom à évoluer profondément. Il a fallu transformer la culture d'entreprise et passer du "job for life" à une pression sur les coûts et une nouvelle dynamique d'innovation. En 2001, BT, ce n'était que 89.000 lignes DSL mais 20 milliards de livres de dettes et une R&D au point mort. La raison de cette situation ? La compagnie, comme la plupart de ses homologues dans le monde, s'était focalisée sur les infrastructures et non sur les applications. Maintenant, le groupe est transformé avec une nouvelle ambition : devenir le leader mondial d'un "global digital network". Concrètement, cela passe par beaucoup de communication et en positivant le message, en trouvant un projet qui fédère les individus. La première règle a été de ne plus considérer les gens comme des numéros ou des usagers mais comme des clients. Ensuite, BT a lancé une politique d'innovation importante, liée à une réduction des coûts. Et puis, il ne faut pas se le cacher, cela passe aussi par du sang neuf. BT s'est dotée en 2002 d'un nouveau patron, Andy Green, et de nombreux nouveaux managers, dont moi en mai 2004. Reste qu'il ne faut pas perdre de vue que le changement n'est pas un business en soi mais un mal nécessaire pour survivre et se développer.

A votre niveau, comment ce changement de culture s'est-il traduit ?
J'ai fait quelques road shows au début, pour expliquer nos nouveaux objectifs. Et j'utilise au maximum tous les outils de communication : tout le monde peut m'écrire sur mon adresse mail interne et j'essaie de répondre à tous les messages, soit environ 200 quotidiennement. Puis tous les quinze jours, j'enregistre un message audio de trois à quatre minutes que les salariés peuvent écouter par téléphone ou sur l'Intranet. Je m'exprime soit sur notre stratégie, soit sur un point d'actualité lié à notre marché. Enfin, je réalise régulièrement des conférences téléphoniques et, lors de chaque visite dans un pays, je m'oblige systématiquement à six ou sept étapes de communication. Je rencontre toujours quelques clients et partenaires ainsi que les pouvoirs politiques. Je fais aussi un point avec le management, les médias et, parfois, avec l'ensemble des salariés d'une filiale. Enfin, j'organise systématiquement une rencontre d'une heure avec huit ou dix employés, sans aucun encadrement. C'est l'occasion pour eux de s'exprimer librement et de faire remonter des informations intéressantes. Ainsi, lors d'une réunion avec des salariés français, l'un d'eux m'a fait part du long délai entre la commande d'un service et sa livraison. Une donnée qui n'était jamais remontée jusqu'à moi. Dans les deux jours qui ont suivi, j'ai initié un programme mondial pour faire le point sur ce sujet et régler le problème.


La stratégie industrielle prime lors d'une fusion-acquisition."

Vous avez une longue expérience dans le domaine des fusions-acquisitions. Quelles leçons avez-vous retenu des dossiers que vous avez initiés ou subis ?
Quelle que soit l'acquisition, il faut toujours avoir une vision, une stratégie. Pour cela, avant de se lancer dans une opération, il faut se poser, regarder l'avenir de son entreprise à plusieurs années et voir en quoi la société que l'on convoite entre dans le projet. Autre élément important : avoir une stratégie industrielle. C'est ce qui prime lors d'une fusion-acquisition. Et il ne faut pas croire que, parce qu'on achète une société, on est plus malin qu'eux. Ils peuvent eux aussi avoir des choses à nous apprendre. Par ailleurs, il faut savoir précisément ce qu'on achète et mettre en place une stratégie pour protéger le prix de l'acquisition. Il est également utile de faire appel à plusieurs personnes pour gérer l'intégration. Ce sont elles qui verront comment on intègre chaque pôle de l'entreprise achetée dans la nouvelle entité, eux qui décideront quels produits sont conservés ou non, etc. Mais le plus important lors d'une fusion-acquisition est de beaucoup communiquer avec les salariés car c'est une vraie période de stress pour eux. C'est pour cela qu'il faut être clair dès le départ et ne pas mentir sur la stratégie choisie, même si celle-ci passe par une lourde politique de réduction des prix. Même si c'est dur à entendre, on préfère toujours savoir la vérité.

Ne craignez-vous pas dans ce cas une forte démotivation ?
Personnellement, je pars toujours du principe que si les gens se comportent mal, c'est la faute du système et du management. N'importe quel salarié a envie de bien faire, d'apporter de la valeur à son entreprise. Si elle refuse de contribuer, c'est que nous ne sommes pas capables de lui donner un environnement ou des objectifs propices à cela. Après, il est certain que, quels que soient les choix pris lors d'une telle opération, il y aura toujours des mécontents. En conséquence, il faut bien faire en sorte d'expliquer ses choix et de les prendre rapidement. Dans de telles situations, le temps est l'ennemi du bien. Il faut agir très rapidement, en quelques semaines tout au plus, en s'appuyant sur les leaders d'opinion et en leur confiant les clés de l'intégration. Ensuite, les gens s'adaptent.


J'ai un rôle de chef d'orchestre."

Quels sont vos grands principes de management ?
J'ai plutôt un rôle de chef d'orchestre. Je ne réfléchis pas en termes d'organigramme mais plutôt de table ronde : qui j'aimerais avoir autour de la table avec moi. Mais ce que je regrette, c'est que je n'arrive pas à embaucher suffisamment de femmes pour travailler à mes côtés. Aujourd'hui j'en compte trois sur un total de 25 collaborateurs. C'est un vrai problème car je crois profondément qu'elles apportent une vision du monde qu'on ne retrouve pas chez un homme. Le hic, c'est que gérer différents pays tout en jonglant avec des responsabilités familiales, c'est souvent compliqué... Par ailleurs, je travaille avec un système de trois clignotants : le vert est quand je donne toute ma confiance à la personne. Je passe à la couleur orange quand je remarque quelques erreurs. J'ai par exemple la chance d'être très intuitif. Sur un rapport de vingt pages, je vais immédiatement remarquer le chiffre qui est erroné. Mais je peux comprendre car j'apprécie les entrepreneurs qui prennent des risques. En revanche, je ne pardonne pas la malhonnêteté et le manque d'intégrité et quand arrive la couleur rouge, je peux être assez cassant. Quand je m'aperçois qu'une personne ne convient pas, qu'elle n'est pas à la hauteur ou qu'elle joue avec le système, alors je n'attends pas pour terminer une relation.

Quels critères vous sont primordiaux lorsque vous recrutez quelqu'un ?
J'évite toujours de me projeter, de rechercher des accointances. Au contraire, je vais plutôt aller rechercher des qualités ou des compétences complémentaires. Lors de l'entretien, je me pose deux questions : quel est le job que je propose et comment est-ce que je veux que cette personne l'incarne. Parmi les qualités que je recherche, il y a l'intégrité, un style simple et direct et une certaine intelligence humaine, une qualité primordiale quand on atteint un certain niveau de management. En revanche, je n'aime pas les gens monolithiques et ceux qui jouent avec le système pour leur propre compte. D'une manière générale, quand je recrute quelqu'un, je fais comme si j'allais travailler toute ma vie avec la personne. C'est pourquoi j'essaye de recruter des personnes meilleures que moi, qui pourront me remplacer. Enfin, j'aime poser des questions ouvertes du type : quelle est votre relation à l'argent, comment vous positionnez-vous dans le triptyque argent, pouvoir, reconnaissance, etc.

Comment a été perçue l'arrivée d'un 'frenchie' chez British Telecom ?
L'accueil a été un peu froid au départ. D'une part parce que j'étais Français mais aussi parce que j'étais assez jeune et que je prenais la tête d'une zone de croissance. Il faut dire aussi que j'ai un peu été nommé par surprise alors que d'autres personnes dans le groupe étaient pressenties. Et puis, certains étaient étonnés que je veuille encore travailler alors que j'ai gagné suffisamment d'argent en revendant ma société et que je n'ai plus besoin de travailler pour vivre. En réalité, j'ai fait un vrai break quelques temps pour m'occuper de mes trois enfants. J'ai vécu une période où je n'ai rien fait mais je prends vraiment plaisir à travailler. Aujourd'hui, j'ai une très bonne relation avec mon équipe proche, et c'est le principal.

Parcours

Depuis mai 2004 : Président de BT International
1999-2004 : Président de Lucent Mobility International
Président et CEO de Lucent Europe Middle East and Africa (EMEA)

Senior vice-président d'InterNetworking Systems chez Lucent
1994 : Stratus Computer (achetée par la société Ascend Communications, acquise à son tour par Lucent)
Précédemment : Computer Vision (10 ans) et IBM (il y a débuté sa carrière en 1984)

Formation : Ecole centrale de Nantes. Doctorat en robotique, intelligence artificielle et technologies avancées
François Barrault a 43 ans, il est marié et père de 3 enfants âgés de 7 à 17 ans.


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