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ECONOMIE
 
13/09/2006

Edouard Barreiro (Admeo)
Le secteur automobile en route vers de vraies délocalisations

Si les contructeurs automobiles disposent depuis longtemps de sites de production à l'étranger, le secteur passe peu à peu à la vitesse supérieure. Explications.
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Alors que sur le secteur automobile, l'implantation à l'étranger d'unités de production s'inscrivaient plutôt dans une logique commerciale de conquête de nouveaux marchés, la situation actuelle laisse présager un changement significatif de stratégie. Il faut s'attendre à des délocalisations de grande envergure dictées par la baisse des coûts de production.


Une segmentation de marchés
A l'origine, l'implantation de sites de production dans des pays émergents ou en transition (Europe de l'Est, Chine, Iran, etc.) visait essentiellement à répondre aux nouvelles opportunités de débouchés qu'offrait l'ouverture de ces pays. La proximité de la production permettait de produire des véhicules adaptés aux spécificités prix et techniques du marché visé. Il s'agissait plus précisément de véhicules peu coûteux (car intégrant des technologies relativement basiques et construits au moyen d'une main d'œuvre bon marché), polyvalents et robustes. Par ailleurs, produire localement permettait aux constructeurs de bénéficier d'une image très positive auprès des consommateurs qui interprétaient cet investissement comme une implication dans le développement du pays.


Dans un deuxième temps, les véhicules produits dans les pays émergents deviennent éligibles à la vente dans les pays à plus hauts revenus."

Lors de cette première phase, il existe donc une segmentation régionale, dans la mesure où les véhicules produits dans ces pays sont destinés à une vente localisée. N'étant pas adaptés aux besoins des consommateurs européens, il est peu profitable de les exporter vers l'Ouest. Par ailleurs, à ce premier stade de la transition économique, la faible productivité des pays émergents et le différentiel dans la qualité de production laissent apparaître un coût unitaire des véhicules plus faible dans les pays à plus hauts revenus d'Europe de l'Ouest .


Une segmentation de gammes
On constate que lors d'une deuxième phase, les véhicules produits dans les pays émergents deviennent éligibles à la vente sur le marché des pays européens à plus hauts revenus. La première amorce à ce mouvement est apparue avec Fiat, qui a vendu en Europe de l'Ouest quelques exemplaires de sa voiture mondiale réservée aux pays émergents et produite en Chine : la Fiat Palio. La Renault Logan (badgée Dacia), d'abord destinée exclusivement aux marchés émergents, traduit, elle aussi, l'affermissement de ce type de stratégie. La confirmation de cette évolution vers une segmentation en terme de gammes a été apportée par la mise sur le marché de deux véhicules dits "à faibles coûts" : la petite voiture produite par l'alliance PSA-Toyota (appelée C1 chez Citroën, 107 chez Peugeot et Aygo chez Toyota) et la Fox vendue par Volkswagen, les premières étant produite en République Tchèque et la seconde au Brésil.

A ce stade, on ne peut pas encore parler de délocalisation. En effet, il ne s'agit pas de déplacer des lignes de production existantes mais bien de créer de nouveaux produits qui répondent à une nouvelle demande automobile, c'est-à-dire de créer de nouveaux segments de marché.


Une segmentation d'activités qui favorise les vraies délocalisations
Cette dernière étape témoigne d'une nouvelle division du travail où les activités productives sont localisées là où elles sont les plus rentables. Logiquement, les activités intensives en travail peu qualifié trouvent leur place dans les pays émergents où la main d'œuvre est bon marché. A l'heure actuelle, les relocalisations de lignes de production sont encore assez timides, mais la fermeture de Ryton annonce ce type de mouvement. En effet, il ne sera pas difficile pour PSA de relocaliser cette production en Europe de l'Est, où le constructeur possède déjà d'importantes structures de production dont la capacité excède les besoins locaux. Une partie de la production de 2007 est ainsi d'ores et déjà réalisée à Trnava en Slovaquie.

Cette stratégie annonce une nouvelle répartition des activités. La production dans son ensemble serait ainsi délocalisée dans les pays à faibles revenus et seules les activités à haute valeur ajoutée, comme la R&D, le design ou encore la production de véhicules très haut de gamme, demandant une main d'œuvre très qualifiée, seraient maintenues dans les pays d'Europe de l'Ouest.

Cette tendance qui se dessine aujourd'hui ne peut que s'intensifier et cela pour plusieurs raisons. Tout d'abord, ces sites récemment construits disposent d'équipements modernes et sont très compétitifs, ce qui n'est par exemple pas le cas du site de Ryton, en dépit de l'investissement de 250 millions d'euros qui auraient été nécessaires à la mise en place de plates-formes modernes. Ensuite, l'homogénéisation progressive des marchés [1] conduit à créer des épicentres industriels destinés à alimenter des zones géographiques de plus en plus étendues. La République Tchèque ou la Slovénie semblent être les candidats idéals pour ce type de concentration, puisqu'elles sont à l'interface des pays "riches" de l'Ouest et des économies émergentes de l'Est. Cet impératif géographique est renforcé par l'augmentation des coûts de transport, qui rend profitable la localisation sur le même site des différentes activités productives. Il paraît donc raisonnable d'envisager que les constructeurs déplacent progressivement leurs sites à proximité de leur unités de production réalisant des composants. On peut également supposer qu'ils se rapprochent des fournisseurs qui ont déjà fait le choix de la délocalisation pour répondre à leurs exigences en termes de coûts.


Tandis que les marchés de l'Ouest stagnent, les nouveaux marchés constituent les principaux pôles de croissance de la production automobile."

Les entreprises automobiles sont également fortement incitées à s'implanter dans les pays émergents, dans la mesure où leur arrivée est généralement accueillie avec l'octroi d'un certain nombre d'avantages, notamment des subventions [2]. Renault, par exemple, a reçu 38 millions d'euros du gouvernement de Bucarest pour produire, dès 2008, près du site de Dacia, des transmissions à six vitesses destinées aux véhicules Renault mais également Nissan et Samsung. Le groupe français serait donc bien inspiré de continuer à renforcer sa présence en Roumanie, d'autant plus que la marque Renault est, après Dacia, la préférée des Roumains.

Il ne faut pas non plus négliger, dans ce processus, le rôle négatif de l'augmentation du coût des matières premières, comme l'aluminium ou le platine, qui va obliger les constructeurs à compresser les coûts de production et les inciter encore davantage à relocaliser leur production vers les sites les plus productifs.

Les phénomènes de localisation et de délocalisation sont donc étroitement liés. En effet, puisque les constructeurs disposent de sites performants dans les pays émergents, il devient rationnel de déplacer les productions les moins rentables vers ces derniers. Ce phénomène d'interaction est appelé à se renforcer, car tandis que les marchés de l'Ouest stagnent, les nouveaux marchés constituent les principaux pôles de croissance de la production automobile. Dans cette perspective, le développement de sites de production dans ces régions devrait continuer de se renforcer et constituer autant d'opportunités de relocalisation... et de délocalisation.


[1] La Renault/Dacia Logan est à ce titre un exemple frappant. D'abord destinée aux pays émergents, elle semble également trouver une demande dans les pays plus riches d'Europe de l'Ouest. Ce qui signifie qu'il existe un marché mondial pour certains types de produits.

[2] Bien sûr, ces aides, dans la mesure où elles introduisent une distorsion concurrentielle entre les entreprises des pays membres de l'Union européenne, sont encadrées par la Commission européenne.


Parcours

Edouard Barreiro est doctorant en économie et membre de l'ADMEO, une association regroupant des docteurs et doctorants en droit, économie et gestion du GDEDEG/CNRS et de l'université de Nice Sophia Antipolis. Créée en 2000, cette association anime le site de l'Ecole doctorale marchés et organisations.


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