Free a-t-il commis des actes de publicité trompeuse en prétendant fournir un accès à internet sans restriction ?

Une intense polémique est née le 3 janvier 2013 avec la décision du fournisseur d'accès Free de bloquer par défaut la publicité sur le réseau via une mise à jour de son boîtier de connexion, la Freebox Révolution.

Vécue par certains internautes anti-pub comme une libération, la fonction, qui pouvait être désactivée par l'utilisateur de manière assez laborieuse a fini par être neutralisée par Free le 7 janvier 2013, a suscité entre-temps une véritable levée de boucliers par tous les exploitants de sites qui vivent de la publicité sur le réseau ainsi que par les défenseurs du principe de neutralité du réseau.

Au-delà des motivations commerciales et stratégiques de la société créée par Xavier Niel, dont on connaît le contentieux ouvert avec Google, il est intéressant de se pencher sur la licéité du procédé. Free pouvait-elle décider unilatéralement de bloquer ce type de contenus publicitaires ? 

Au préalable, il importe de relever que les conditions générales de vente de Free ("CGV") font obligation à l'abonné d'accepter les mises à jour de la Freebox soumises par l'opérateur. En effet, l'article 11.7 des CGV stipule que, parmi les engagements de l'abonné, figure notamment celui consistant à ne pas empêcher la mise à jour du terminal : "Afin de garantir la permanence des Services et les perfectionner, Free pourra à tout moment demander à l'Abonné d'effectuer d'éventuelles mises à jour logicielles de l’Elément de Réseau.
A défaut, l'Abonné sera seul responsable des interruptions et/ou dégradations éventuelles des Services qui en résulteraient. L’Abonné autorise Free dans le cadre d'un service de maintenance à distance à accéder à l'Elément de Réseau
[c'est-à-dire la Freebox] et à y opérer les modifications nécessaires."

Sous le vocable euphémique de "demande", Free incite donc très fortement (voire contraint) ses abonnés à appliquer les mises à jour de son boîtier, qui sont présentées par l'opérateur comme un moyen de continuer à bénéficier du service d'accès à internet de manière complète. A rebours, c'est l'absence de mise à jour qui, selon les CGV, peut entraîner des dégradations du service. C'est donc exactement l'inverse de ce qu'il s'est produit la semaine dernière, puisque la mise à jour soumise par Free a résulté en un accès à un internet amputé d'une partie des contenus circulant sur le réseau. Car la publicité est effectivement un contenu, de nature promotionnelle, qui, du point de vue du fournisseur d'accès, ne représente objectivement qu'une certaine quantité de données au même titre que des contenus éditoriaux.
Ce point préalable éclairci, l'on se réfère à la loi des parties, c'est-à-dire les conditions contractuelles d'abonnement, Free ne peut pas bloquer par défaut les contenus publicitaires sur Internet. En effet, les conditions générales de vente de Free précisent bien que cette dernière s'engage à fournir à l'abonné un accès à internet, entendu de manière générale comme "le service permettant aux Abonnés d'accéder au réseau Internet et à ses différents services (courrier électronique, consultation de services en ligne, échange de fichiers et, plus généralement, échange de données à travers le réseau)." (Article 1er des conditions générales de vente de Free).
Dans ses CGV, Free promet donc un accès à internet, sans restriction, et ce 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Les seuls cas dans lesquels l'opérateur peut suspendre la fourniture des services concernent, "à titre exceptionnel", des opérations de maintenance ou de mise à jour (article 12.3 des CGV). Il est intéressant de relever que Free prévoit la faculté pour elle de suspendre tout ou partie des services "pour des raisons visant à améliorer les Services délivrés à l’Abonné", mais ce cas n'est pas applicable au filtrage de la publicité, d'abord parce qu'il ne consiste qu'en une suspension du service (ce qui suppose un rétablissement dans les 24 heures selon le contrat, ce qui n'a pas été le cas ici) et qu'en tout état de cause, rien ne permet d'affirmer que la suppression de la publicité soit réellement une amélioration de la fourniture d'accès au réseau. En tout cas, ce n'est pas à l'opérateur d'en décider.

En somme, les CGV de Free ne permettent pas à l'opérateur de filtrer les communications internet et d'opérer une quelconque distinction entre les contenus qui doivent parvenir à l'utilisateur et les autres. En intégrant une telle fonction par défaut, Free a non seulement engagé sa responsabilité vis-à-vis de ses abonnés (article 15.1 des CGV), mais il a également manqué à son obligation de délivrance conforme telle qu'énoncée à l'article 1603 du Code civil.

Free a également commis des actes de publicité trompeuse en prétendant fournir un accès à internet sans restriction, alors qu'il était en réalité amputé de certains contenus (article L. 121-1 du Code de la consommation) alors que seuls les contenus "manifestement illicites" peuvent être filtrés par un fournisseur d'accès, le cas échéant sur notification conformément à l'article 6.I.V de la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004, ou les contenus d'une particulière gravité comme l'apologie de crimes contre l'humanité, l'incitation à la haine raciale ou la pornographie enfantine.
Enfin, Free aurait dû prévenir ses abonnés de "l'existence de moyens techniques permettant de restreindre l'accès à certains services ou de les sélectionner et leur proposent au moins un de ces moyens" (article 6.I.1 de la Loi pour la confiance dans l'économie numérique), ce qui supposait une information préalable et, surtout, s'opposait à une activation par défaut de cette fonctionnalité.

Dans ces conditions, avec l'intégration de cette fonction, Free aurait peut-être marqué un grand coup de force et suscité une grande discussion, ce qui était sans doute l'effet recherché, mais en violation des règles applicables à la fourniture des services d'accès à Internet.