Qarnot : ce cloud français qui met les supercalculateurs dans les chaudières

Qarnot : ce cloud français qui met les supercalculateurs dans les chaudières Portant haut l'étendard du cloud souverain et écologique, la société de Montrouge combine puissance de calcul et chauffage. Un an après une levée de fonds de 6 millions d'euros, elle fourmille de projets.

A la croisée de la transformation digitale et de la transition écologique, Qarnot cible les stratégies RSE des entreprises qui souhaitent réduire l'empreinte carbone de leur activité numérique. Fondée en 2012, l'entreprise française propose d'utiliser la chaleur émise par les micro-processeurs pour chauffer des bureaux, des logements sociaux ou des collèges. Résultat : Qarnot valorise la chaleur fatale, c'est-à-dire la chaleur produite par une activité humaine dont le but n'est pas la production de cette chaleur.

Qarnot a commencé par concevoir un radiateur ordinateur, baptisé QH•, d'une puissance calorifique de 650 watts, avant de développer une chaudière numérique (QB•1). Composée de 24 processeurs, elle peut chauffer de l'eau à plus de 60°C, que ce soit pour les sanitaires ou le chauffage hydraulique. A date, la société a déployé 1 500 ordinateurs radiateurs et une quarantaine de chaudières numériques en France et en Finlande. Elle s'adresse à des gestionnaires d'immeubles tertiaires, des bailleurs sociaux ou à des collectivités locales sachant qu'un minimum d'une vingtaine d'unités est nécessaire pour constituer une grille de calcul. Car Qarnot entend proposer avant tout de la puissance de calcul haute performance (HPC) en ciblant des banques, des studios d'animation 3D ou des laboratoires de recherche.

BNP Paribas et Société Générale comme clients

"Qarnot est d'abord une entreprise informatique qui propose, en plus, du chauffage, et pas l'inverse", confirme Quentin Laurens, directeur des relations extérieures et internationales de la société. "Notre effectif est composé aux deux tiers d'ingénieurs informaticiens."

Composée de 24 processeurs, la chaudière numérique de Qarnot peut chauffer de l'eau à plus de 60°C. © Qarnot

Toute l'intelligence de la solution se niche dans l'orchestrateur de l'éditeur, Qware, qui fragmente les demandes en puissance de calcul et les répartit au sein de l'infrastructure distribuée. Un concept qui a séduit BNP Paribas, Société Générale et Natixis. Des banques qui ont notamment besoin de HPC pour réaliser les simulations de type Monte-Carlo visant à estimer le risque d'une décision financière. Côté studios d'animation, l'offre a été retenue par Illumination Mac Guff (à l'origine du film Les Minions 2) ou encore par Tu Nous ZA Pas Vus (Les Légendaires). Autres références : la start-up Iconem qui numérise les sites du patrimoine en péril, ou l'Hôpital Necker à qui Qarnot fournit de la puissance de calcul pour la recherche dans les maladies génétiques rares.

Via sa cellule d'innovations Q.Lab, Qarnot prévoit de s'étendre aux segments des prévisions météorologiques, de la recherche médicale et pharmaceutique ou encore de la mécanique des fluides. "La demande est très forte pour les traitements de type big data ou pour l'intelligence artificielle", poursuit Quentin Laurens.

En 2019, Qarnot a créé une coentreprise avec le groupe Casino. Baptisée ScaleMax, elle a pour vocation d'installer des infrastructures de calcul dans les entrepôts du distributeur laissés vacants avec l'essor du e-commerce. Déjà fibrés et sécurisés, deux sites en Seine-et-Marne et dans la Loire ont été reconvertis. Par ailleurs, Qarnot a investi le champ du smart building avec Oasis. Cet agrégateur de données se présente comme l'OS du bâtiment. Une plateforme où viennent se greffer des applications dédiées à la gestion énergétique, à la qualité de l'air, à l'occupation des salles ou à la maintenance. Le constructeur a aussi des ambitions dans la smart city où il pourrait intervenir sur les réseaux de chaleur avec son actionnaire Engie.

"Une puissance de calcul de 2 à 4 fois moins chère"

Au-delà de son approche numérique responsable, Qarnot entend mettre avant le facteur prix. "Notre puissance de calcul est de 2 à 4 fois moins chère que celle proposée par des providers de cloud public comme AWS, Microsoft Azure ou OVHCloud", avance Quentin Laurens. "Nous n'avons pas les mêmes coûts d'infrastructure puisque celle-ci est financée par nos clients. Et si le coût de nos chaudières est plus élevé que les modèles traditionnels, le chauffage est ensuite gratuit. C'est un modèle vertueux pour tous."

Les grands providers de cloud auraient par ailleurs une vision étriquée de l'efficience énergétique en retenant pour principal indice le PUE (pour power usage effectiveness) qui reste focalisé sur le système de refroidissement et l'alimentation électrique. Qarnot entend aller plus loin en retenant, lui, l'ERE (energy reuse effectiveness) qui intègre l'énergie produite et réutilisée par le datacenter, telles la chaleur. Sa plateforme se présente toutefois davantage comme une offre complémentaire à un datacenter plutôt qu'une alternative. L'infrastructure répartie n'offre pas le délai de latence requis pour le calcul temps réel, mais prend parfaitement en charge les calculs distribués et le batch computing.

Enfin, Qarnot joue la carte de la souveraineté numérique. Basée à Montrouge (dans le 92), il se présente comme une société 100% française avec un capital aux mains d'actionnaires français et de ses deux cofondateurs, Paul Benoit et Miroslav Sviezeny, respectivement PDG et directeur général.

Répondre aux exigences de l'IA

Pour nourrir ses ambitions, Qarnot a levé 6 millions d'euros en mars 2020 auprès de la Banque des Territoires, d'Engie, de Casino et du fonds A/O Proptech. La société avait déjà réalisé des levées de fonds en 2014 et 2016, respectivement à hauteur de 2 et 2,5 millions d'euros. Fort de cet argent frais, elle prévoit d'étoffer ses équipes commerciales. Malgré la crise sanitaire, 17 personnes ont été embauchées entre mars et fin 2020, et le prévisionnel porte cette année sur une trentaine de création de postes. Fin 2021, l'effectif devrait alors atteindre 70 et 80 collaborateurs. Mettant en avant sa qualité de vie au travail (label Best Places to Work France 2021), Qarnot n'a semble-t-il pas de problèmes d'attractivité.

La levée de fonds sonne par ailleurs le début de l'internationalisation. Qarnot a déjà noué un partenariat en Finlande. L'Allemagne constitue un marché cible mais les regards se portent aussi sur les pays d'Europe du Nord compte tenu de leur appétence pour les énergies renouvelables et leurs conditions climatiques favorables.

Côté R&D, Qarnot entend renforcer la scalabilité de son infrastructure afin de répondre aux exigences de l'IA. La société mettra l'accent sur sa chaudière pour élargir sa base installée. Par ailleurs, elle développe Carbon Facts, un outil taillé pour mesurer l'empreinte carbone d'une organisation à la granularité particulièrement fine puisqu'il descend au niveau de la tâche informatique.

Enfin, Qarnot a démarré un programme baptisé Sadi pour Studio agile et distribué. Il s'agit de proposer des postes de travail virtuels aux professionnels de la 3D, une sorte de "Shadow" pour les tâches gourmandes en calcul. Sa sortie est prévue pour courant 2022. Plus généralement, le fabricant prévoit de diversifier ses processeurs. Très présent sur le CPU, il souhaite se positionner sur les GPU (processeurs graphiques), notamment pour son nouveau concept de bureau virtualisé ou pour les applications d'IA.