Tim Armstrong (Fondateur de Flowcode) "Flowcode permet aux marques de se connecter directement à leurs clients grâce aux QR codes"

Après avoir passé 10 ans chez Google et dirigé le groupe AOL, Tim Armstrong dévoile au JDN Flowcode, sa start-up spécialisée dans les QR codes, et évoque l'impact de l'IA sur le secteur des médias.

JDN. Quel est le concept de Flowcode, la start-up que vous avez lancée en 2019 et qui mise sur le développement des QR codes ?

Tim Armstrong est le fondateur et CEO de Flowcode et l'ex-CEO d’AOL © Flowcode

Tim Armstrong. Flowcode est une plateforme qui permet aux marques d'établir des connexions entre le monde réel et le monde virtuel sans friction grâce à la génération de QR codes. Nous permettons aux entreprises de centraliser toutes les interactions avec leurs consommateurs en un seul endroit et de manière entièrement sécurisée. Les marques détiennent ici toutes les données clients et ont une vue d'ensemble leur permettant de développer une relation directe avec leurs consommateurs. Flowcode a été créé avant la pandémie, à une époque où les QR codes étaient assez peu utilisés, à l'exception de la Chine. L'entreprise, basée à NYC, a levé des fonds auprès de Durable Capital, Allen & Company ou encore la NBA, qui est aussi l'un de nos clients.

De nombreux services de génération de QR codes sont disponibles sur le marché. Comment vous différenciez-vous ?

D'abord en proposant une plateforme entièrement sécurisée à la différence de nos concurrents. Ensuite, en investissant énormément dans l'apprentissage automatique et l'IA afin de proposer aux marques et à leurs consommateurs une expérience originale et personnalisée. Par exemple, deux utilisateurs qui scannent le même QR code peuvent atterrir sur deux pages différentes. Une marque a la possibilité de personnaliser le contenu affiché en fonction de l'appareil utilisé ou bien du nombre de fois que ce code a été scanné par un individu. Elle peut par exemple décider de rediriger un utilisateur sur une page différente si celui-ci a déjà scanné un code plusieurs fois.

Quel est l'utilité de ces QR codes ?

Les restaurants ont été les premiers à les utiliser activement lors de la pandémie. Désormais, nous constatons que beaucoup de grandes marques les utilisent, à l'image de BMW. Cela peut être dans les contenus qu'elles publient sur le Web, mais aussi sur leurs packagings, cartes de visite, CRM, etc. Notre technologie permet aux entreprises de rediriger ce trafic où elles le souhaitent, que ce soit sur leur site web ou leur application. Elles peuvent aussi utiliser notre fonctionnalité FlowPage, qui est un outil dédié à la création de landing pages facilement personnalisables et sans programmation requise. Ces pages proposent une expérience mobile plus élaborée permettant de répondre efficacement à ce que le consommateur cherche lorsqu'il scanne un QR code.

Comment l'utilisation de ces QR codes peut-elle s'intégrer dans une stratégie d'acquisition ou de rétention ?

Nous mettons entre les mains de marques un outil permettant de se connecter à leurs clients ou prospects sur tous leurs différents canaux existants. Aujourd'hui, les marques ont été en quelque sorte banalisées, notamment à cause des plateformes sur lesquelles elles communiquent. Un moteur de recherche peut aujourd'hui vendre votre base clients à vos concurrents. Rappelez-vous que le Web était censé supprimer les intermédiaires. Or nous voyons certains de ces intermédiaires, à l'image d'Amazon, utiliser les données clients pour copier des produits. C'est l'une des raisons qui nous a poussé à créer Flowcode. Notre conviction est qu'au cours des dix prochaines années les marques vont chercher à se connecter davantage avec leurs consommateurs de manière directe, à la fois pour maîtriser leur image mais aussi pour protéger leur marge dans un contexte de hausse des coûts d'acquisition en ligne.

Votre objectif est donc de permettre aux marques de s'émanciper des plateformes telles que Meta ou Google ?

"Les contenus créés par les médias sont devenus tellement communs qu'il est difficile de faire la distinction entre du contenu rédigé par un journaliste et du contenu généré par une IA"

Aujourd'hui le terme "plateforme" renvoie essentiellement aux plateformes technologiques, comme celles de Meta, Google ou Amazon. Nous voulons inciter les marques à devenir elles-mêmes des plateformes. En clair, qu'elles puissent transformer chaque point de contact avec leurs clients en opportunités de communication. En se dotant d'une technologie de relation directe avec leurs consommateurs, elles deviendraient instantanément des plateformes. Malheureusement, beaucoup de marques considèrent que seules les entreprises du Web pouvaient se définir comme telles.

Vous avez été PDG du groupe AOL entre 2009 et 2015. Quel regard portez-vous sur ce secteur des médias qui risque d'être fortement impacté par l'IA ?

Les contenus créés par les médias sont devenus tellement communs qu'il est difficile pour un internaute de faire la distinction entre du contenu rédigé par un authentique journaliste et du contenu copié ou généré par une IA.  Bien que certains experts craignent pour l'avenir du journalisme, je pense qu'en réalité le développement de l'IA aura l'effet inverse et devrait inciter les journalistes à produire moins de contenu répétitif. En clair, ils devront se spécialiser dans la création de contenu original plutôt que de chercher à rivaliser avec des IA qui génèrent automatiquement des contenus peu différenciants. Il y a aujourd'hui beaucoup trop de contenus dupliqués et répétitifs. En conclusion, l'IA devrait renforcer le côté créatif du journalisme.

Vous anticipez donc le développement de médias plus spécialisés et locaux ?

Exactement. D'ici 10 ans, au lieu d'avoir une centaine de médias qui écrivent des articles sur un même sujet, nous aurons plutôt une centaine de journalistes qui écrivent sur des sujets différents et spécifiques.  Lorsque j'étais chez AOL, j'ai décidé d'acquérir TechCrunch, car les journalistes maîtrisaient très bien leur sujet. Ce média dispose également de CrunchBase, une grande base de données sur toutes les startups. C'était donc un mélange de journalisme de qualité, connecté à une plateforme de données. Je pense que beaucoup de médias pourraient s'inspirer de ce modèle. Enfin, je pense que les médias pourraient bénéficier énormément de l'IA pour proposer des contenus ou des services additionnels personnalisés pour leurs lecteurs. La plupart d'entre eux se considèrent comme des plateformes d'abonnement ou de publicité, au lieu de se voir comme des entreprises direct-to-consumer.

Vous avez été le premier employé de Google à NYC où vous avez travaillé pendant une décennie. Croyez-vous que le partenariat entre Microsoft et OpenAI puisse constituer une menace pour le monopole de Google dans le Search ?

Pour la première fois depuis que j'ai commencé à travailler dans le secteur du search il y a 20 ans, j'observe une menace crédible pour Google, incarnée par le partenariat noué entre Bing et ChatGPT. Ce service a été le premier de sa catégorie à être lancé sur le marché, ce qui lui donne un avantage conséquent en termes de notoriété. De l'autre côté, Google dispose d'une manne de données gigantesque lui permettant d'entraîner son service Google Bard, qui propose selon moi une meilleure expérience. Il s'agit donc d'un combat plus équilibré qu'auparavant entre ces deux géants et il sera intéressant d'observer la relation entre Microsoft et OpenAI. Selon moi, Microsoft devrait réfléchir à racheter entièrement ChatGPT si le groupe souhaite conserver tous les avantages économiques.

Quel modèle de revenus anticipez-vous pour la monétisation de ces nouveaux chatbots alimentés par l'IA ?

"Je crois que l'impact de l'IA sera aussi important que celui d'Internet"

Les modèles de revenus devraient évoluer avec le temps. Dans certains cas, monétiser ces services à travers une plateforme SaaS ou via un abonnement pourrait avoir du sens pour certains clients qui seraient prêts à payer davantage pour obtenir des capacités plus importantes ou pour ne pas voir de publicité. D'un autre côté, je pense que la publicité au sein de services comme ChatGPT pourrait rapporter beaucoup plus que sur une page de résultats de recherche classique, car ces nouveaux services permettent d'obtenir une réponse immédiate à une recherche. Google est un moteur de recherche alors que ChatGPT est un moteur de réponses. Monétiser une recherche et une réponse n'est pas la même chose.

Quel impact pensez-vous que l'IA aura sur la société ?

Je suis de nature optimiste et je crois que l'impact de l'IA sera aussi important que celui d'Internet. Internet a eu pour fondement essentiel de faciliter le partage des connaissances de l'humanité et de connecter les individus, de la même manière que la voiture et l'avion ont permis de se connecter davantage aux autres et de découvrir le monde. L'IA devrait contribuer à développer de manière exponentielle les connaissances accumulées depuis des dizaines d'années. Si l'on remonte 50 ans en arrière, il n'y avait aucune base de données sur ce qui intéressait les humains, ce qu'ils faisaient ou encore comment ils fonctionnaient. Aujourd'hui, celle-ci existe, mais aucun langage logiciel n'a encore été écrit pour regrouper et analyser cette manne de données. De ce point de vue, l'IA devrait permettre de grandes avancées. Enfin, cette technologie devrait continuer d'automatiser énormément certaines tâches pour permettre aux humains de se concentrer sur du travail créatif.

Tim Armstrong est le fondateur et CEO de Flowcode. Sa carrière dans les médias et l'édition commence lorsqu'il fonde un journal à Boston après avoir obtenu son diplôme du Connecticut College. En 1995, il rejoint Starwave, la première entreprise Web de Paul Allen, à Seattle, qui a ensuite été acquise par Disney. Par la suite, il travaille pour America's Health Network avant de rejoindre Google en 2000 en tant que premier employé à New York. Après presque une décennie chez Google où il devient président des opérations de la zone Amérique, il rejoint AOL en tant que président et CEO, où il mène la restructuration de l'entreprise avant la vente à Verizon Communications.