Bruxelles pointe les failles de la loi antipiratage

Dans une lettre envoyée à Paris, la Commission européenne s'interroge sur le bien-fondé de certaines mesures du projet de loi "Création et Internet". Elle pointe notamment le risque de sanctions disproportionnées.

Bruxelles demande des comptes à Paris en matière de lutte contre le piratage. La Commission européenne vient d'adresser au gouvernement Français une longue liste d'observations concernant le projet de loi Création et Internet, qui doit être examiné début 2009.

Ce courrier, que révèle "La Tribune", ne constitue pas en soi une remise en cause du projet de loi. Les membres de la commission affirment même "partager l'objectif du projet". Cependant, une partie des observations soulevées par la Commission s'en prend au bien-fondé de certains dispositifs prévus pour lutter contre le piratage.

La Commission européenne souhaite en premier lieu s'assurer que les sanctions prévues par le projet de loi soient "nécessaires et proportionnées" par rapport aux infractions commises. Elle s'interroge notamment sur la raison pour laquelle il serait confié à une autorité administrative (l'Hadopi), plus qu'à un organe judiciaire, le "pouvoir de décider s'il y aurait violation ou non d'un droit d'auteur".

Sur le point de la proportionnalité, les Etats membres s'étonnent que le projet de loi n'épargne pas la double peine aux pirates. Aucune disposition n'empêche en effet un ayant droit de saisir, pour un même fait, l'Hadopi et une juridiction pénale, faisant ainsi planer la menace d'amendes élevées et de peines d'emprisonnement en plus d'une coupure de connexion Internet. La riposte graduée avait pourtant pour objectif d'éviter le recours aux sanctions pénales pour les pirates. Lors de l'examen au Sénat, l'Union centriste avait déposé un amendement censé prévenir les cas de double peine, qui a finalement été rejeté.

Les membres de la Commission se préoccupent également de la compatibilité du texte avec la réglementation communautaire. Ainsi la suspension de l'abonnement d'un pirate récidiviste, sanction ultime de la riposte graduée, semble peu compatible avec la directive européenne dite de "service universel". Ce texte garanti en effet un ensemble minimal de services, parmi lesquels figure "l'accès fonctionnel" à Internet, c'est-à-dire au moins à bas débit.
 

Surveillance généralisée, pas de procès équitable...


Autre point à éclaircir selon Bruxelles : l'utilisation par les internautes de "moyens de sécurisation" mis à disposition par les FAI. Ces logiciels, installés directement sur les ordinateurs des internautes, les empêcheraient de télécharger de manière illégale. Si Bruxelles ne trouve a priori rien à redire sur le principe de ces outils, elle averti cependant Paris : ils ne devront en aucun cas aboutir pour les FAI à "une obligation générale de surveillance" de leurs abonnés, ce qui serait contraire à la directive européenne sur le commerce électronique.

La Commission s'inquiète aussi d'une éventuelle interférence entre les mesures du projet de loi "allant au-delà de l'information" (filtrage des réseaux, coupure de connexion, etc.) et certains objectifs communautaires "importants", comme "l'accès universel aux services de communication en ligne", la diffusion du haut débit ou "les droits et libertés des utilisateurs". Car Bruxelles juge également disproportionnée, la privation de l'accès à la messagerie électronique, du téléphone ou de la télévision en cas de coupure d'accès.

Les Etats membres craignent encore que le projet de loi ne garantisse pas une défense acceptable aux pirates présumés. "Le fait que les recommandations (les messages d'avertissement de la riposte graduée, ndlr.) envoyées aux abonnés de manière systématique ne soient pas sujettes à recours pourrait mettre en danger le droit fondamental à un procès équitable", estime la Commission européenne.

Elle note également que l'abonné victime d'une erreur de traitement de la part de l'Hadopi "pourrait se voir imposer une suspension sans avoir la possibilité de faire valoir sa position à défaut de voie de recours". Lors de l'examen au Sénat, un autre amendement avait été déposé par l'Union centriste pour permettre aux internautes de contester les avertissements reçus. Le texte a finalement été retiré.

Enfin, Bruxelles semble également regretter le manque de mesures permettant de développer une offre légale attractive, censée transformer le piratage en un risque superflu (lire Les sénateurs veulent rééquilibrer la loi antipiratage, du 28/10/2008). "Il serait utile que le projet notifié, outre les éclaircissements demandés (...), précise également que les mesures proposées seront complétées par d'autres dispositions législatives visant à soutenir le développement des contenus en ligne", suggère le courrier européen.