Sunny Cheung "Créée pour prendre les transports en commun, la carte Octopus est devenue un moyen de paiement"

Très populaire à Hong Kong, la carte Octopus permet de prendre les transports en commun, payer en supermarché et même pointer au travail. Le JDN a rencontré son CEO pour tenter de comprendre les raisons d’un tel succès.

Comment est née l'idée de la carte Octopus ?

Sunny Cheung est le CEO d'Octopus © Octopus

Octopus est né en 1997, moins de deux mois après la rétrocession d'Hong Kong à la Chine par les Anglais. A l'époque, les sociétés de bus et de ferries utilisaient chacune leurs propres systèmes de paiement des titres de transport avec des pièces de monnaie, ce qui n'était pas pratique pour les usagers. Ces entreprises se sont alors dit qu'il était dans leur intérêt de créer une plateforme unique, plus simple pour leurs clients, et de ne se livrer concurrence que sur la qualité du service. De cette joint-venture est ainsi née Octopus, une carte sans contact et rechargeable, qui a depuis évolué en une carte de paiement. 99% des habitants de Hong Kong en ont une. L'entreprise compte aujourd'hui 400 employés.

 

Concrètement, que peut-on faire avec une carte Octopus à Hong Kong aujourd'hui ?

La carte vous permet de prendre n'importe quel type de transport public et est acceptée dans tous les parkings de la ville. Vous pouvez également l'utiliser comme moyen de paiement dans les supermarchés, fast-foods ou cafés, tels que McDonald's, Starbucks et bien d'autres. Pour recharger votre carte, il vous suffit simplement d'y déposer de l'argent via une borne électronique ou dans un supermarché type 7eleven. A noter que cette carte peut être nominative ou anonyme.

Octopus est aussi devenu un système de contrôle des entrées dans certains immeubles, la sécurité étant une question primordiale à Hong Kong. Enfin, la carte est également utilisée pour pointer au travail et à l'école. Désormais les professeurs n'ont plus besoin de faire l'appel dans leurs classes. Grâce à ce système, ils connaissent automatiquement les noms des élèves absents, et peuvent ainsi le signaler rapidement à leurs parents.

 

Pensez-vous que le smartphone pourrait, à terme, remplacer la carte ?

"Les professeurs savent quels élèves sont absents grâce à Octopus"

Nous avons lancé en 2013 notre propre carte SIM, en partenariat avec un opérateur local, pour permettre à nos utilisateurs d'utiliser leur mobile à la place de la carte. Ici pas d'application à ouvrir, il vous suffit simplement d'avoir de la batterie pour que cela fonctionne. Le solde restant sur votre carte est automatiquement affiché sur votre smartphone après utilisation. Toutefois, nous ne voulons rien imposer à nos clients. Certains, comme les très jeunes ou les plus vieux, préfèreront sans doute conserver leur carte, par souci de simplicité. D'autres peuvent également être concernés par la confidentialité de leurs données et ne souhaiteront peut être pas utiliser leur téléphone. Avec cette offre, nous proposons un plus grand choix à nos clients.

 

La carte Octopus pourrait-elle un jour détrôner la carte de crédit à Hong Kong ?

Ce n'est pas notre objectif. Notre focus se porte plutôt sur les petits commerces comme il y en a beaucoup à Hong Kong, à qui nous vendons ou louons nos lecteurs de cartes. Et les montants sont souvent moins importants que ceux payés avec les cartes de crédit.

 

Qu'en est-il du paiement en ligne : sera-t-il un jour possible de payer sur Internet avec sa carte Octopus ?

C'est déjà le cas ! Avec votre carte Octopus vous n'avez d'ailleurs même plus besoin d'entrer votre numéro de carte de crédit sur le Web, il vous suffit simplement de coller votre carte contre votre smartphone pour procéder au paiement de votre article. Acheter quelque chose sur un site comme Taobao (site e-commerce chinois très populaire à Hong Kong, ndlr) devient alors très rapide !

Il est important de préciser qu'à l'inverse des cartes de crédit, la carte Octopus fonctionne avec une technologie basée sur le 'offline'. En effet, lorsque vous prenez le métro, le délai de validation de votre titre de transport doit être extrêmement rapide afin de limiter les files d'attente, soit un délai inférieur à une seconde. D'où la nécessité de la technologie 'offline'. Mais désormais, avec cette nouvelle fonction de la carte Octopus, nous entrons également dans le monde du 'online'.

 

Votre objectif, à terme, est-il de faire disparaître les pièces de monnaie ?

Lecteur Octopus dans un McDonald's de Hong Kong © A. Tsagliottis

C'est en effet notre mission. Malgré tout, la réalité est que le nombre de pièces en circulation à Hong Kong est en augmentation. Chose que je n'explique pas, mais ma théorie personnelle est que ce chiffre serait sans doute beaucoup plus élevé si Octopus n'existait pas.  Pour vous donner une idée, nous réalisons plus de 30 millions de transactions par jour, soit près de 5 milliards par an.

 

Selon vous, une société sans pièves de monnaie est-elle imaginable dans un futur proche ?

Je ne crois pas à une société où il n'y aurait plus d'espèces en circulation. Du moins, je ne serais sans doute pas là pour le voir, mais je pense qu'il est possible de réduire leur utilisation. Il ne faut pas aussi négliger la question de la confidentialité : certaines personnes désirent rester anonymes lorsqu'elles achètent quelque chose, ce que permet l'argent en espèces.

 

Pensez-vous qu'un système similaire puisse se mettre en place dans un pays comme la France ?

La situation est selon moi différente en Europe où il existe énormément de concurrence sur le secteur du paiement. Raison pour laquelle je pense qu'il sera sans doute plus difficile de faire évoluer un système de transport en une plateforme de paiement comme nous l'avons fait. Il est important de préciser que le concept d'Octopus est né dans un timing parfait, l'année 1997 étant une année particulière pour Hong Kong. L'autre particularité de notre système, qui a sans doute facilité notre développement, est que nous nous occupons également de la distribution des différents avantages sociaux pour le compte du gouvernement. Certains, comme les très jeunes ou les seniors, bénéficient en effet de tarifs réduits pour leurs frais de transports.

 

Où en êtes-vous à l'international ?

Bientôt le transfert d'argent entre particuliers ?

Nous avons déjà exporté notre technologie et notre expérience dans différents pays. Je peux vous citer Dubai, la Nouvelle Zélande, les Pays-Bas et nous travaillons actuellement avec la Hongrie. L'utilisation de notre technologie est différente selon les pays même si elle est utilisée principalement pour le transport dans la plupart des cas.

 

Quelles futures utilisations de la carte Octopus envisagez-vous dans les mois et les années à venir ?

Après le transport, le Retail, les contrôles d'accès, et le paiement en ligne, nous envisageons d'étendre les possibilités de la carte Octopus au transfert d'argent entre particuliers. L'une de nos ambitions est également de pouvoir rendre notre système fonctionnel avec ceux d'autres pays, de manière à ce qu'un voyageur n'ait plus qu'une seule carte à utiliser s'il souhaite prendre un transport ou payer lorsqu'il se trouve à l'étranger. Cela sera sans doute compliqué à réaliser mais rendre la vie de nos utilisateurs plus facile fait partie de notre mission ("Making everyday life easier" est le slogan de l'entreprise, ndlr).

 

Sunny Cheung est le CEO d'Octopus Holdings Limited, une entreprise basée à Hong Kong spécialisée dans les systèmes de paiement électroniques, surtout connue pour être à l'origine de la Carte Octopus. Il a dirigé l'entreprise entre janvier 2011 et mars 2014, avant de prendre sa retraite et de reprendre à nouveau la tête de l'entreprise en janvier 2015. Avant cela, il était Country Manager de Visa International à Hong Kong et Macao. Il a également occupé plusieurs postes de management au sein de banques telles que DBS, Dao Heng Bank et Citibank.