Pourquoi les GAFAM pourraient se réjouir des résultats de la Convention citoyenne sur le climat

Les cinq géants américains du web – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – sont déjà en position de force sur le continent européen. En France, les recommandations de la récente Convention citoyenne sur le climat devraient faire leurs affaires, au détriment d'opérateurs locaux comme ceux de la filière graphique et du secteur des prospectus publicitaires. Décidément, l'enfer est bel et bien pavé de bonnes intentions.

Paris, 29 juin 2020. Les 150 membres de la Convention citoyenne sur le climat – tirés au sort – annoncent les résultats de leurs délibérations. Près de 150 propositions sont mises sur la table, largement relayées par les journaux français. A première vue, celles-ci ne vont que dans le sens du bien-être de la population et du respect de l’environnement : réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les transports, baisse de la surconsommation, rénovation énergétique des habitations, passage à une société décarbonée, changement de notre façon de travailler, alimentation plus saine… Tout part de bons sentiments évidents.

Immédiatement, politiques et médias hexagonaux applaudissent en chœur. Mais dans l’ombre, d’autres acteurs moins bienveillants pour l’économie française se délectent eux aussi de ces annonces. Pour des raisons diamétralement opposées. Ce sont les fameux GAFAM – acronyme réunissant les cinq plus importantes entreprises américaines du web, Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

Le numérique signera-t-il la mort des prospectus publicitaires ?

Parmi les propositions retenues, l’une d’elles est presque passée inaperçue. Pourtant, ses conséquences pourraient être désastreuses en termes d’emplois à très court terme. Il s’agirait « d’interdire les panneaux publicitaires dans les espaces publics extérieurs, hors information locale et culturelle ainsi que les panneaux indiquant la localisation d'un lieu de distribution ». S’ajoute à cela une disposition clairement énoncée concernant la quasi interdiction du dépôt dans les boîtes aux lettres de publicités – les fameux ISA, les imprimés sans adresse, dès 2021, avec l’instauration de la mention « Oui pub » sur nos boîtes aux lettres, souhaitée par les députés écologistes. Du pain béni pour les opérateurs du web.

La politique d’entrisme des GAFAM sur le marché français n’est pas nouvelle. Même si l’Etat a bien tenté de prendre le problème à bras le corps par le passé, entre autres avec la fameuse « taxe GAFA », le résultat semble pour l’instant en deçà des espérances. La menace de mort planant sur les prospectus publicitaires ressemble fort à une aubaine pour ces entreprises, sachant que les raisons invoquées par la Convention citoyenne sont pour la plupart à rebours de la réalité. Un fort impact écologique sur les forêts ? Il n’en est rien, 94% du papier utilisé viennent de forêts gérées durablement et du recyclage. Gêne provoquée par la distribution non sollicitée ? 73% des Français estiment utiles ces prospectus pour profiter de promotions commerciales. A se demander qui a réellement conseillé ces citoyens et sur la base de quelles informations… Quoi qu’il en soit, toutes les raisons sont bonnes pour discréditer la filière graphique et les professionnels du secteur. Les GAFAM rêvent d’un monde tout numérique, que certains écologistes sont en passe de leur servir sur un plateau.

Le business des données, la poule aux œufs d’or

La possible interdiction de la distribution des prospectus publicitaires aura des répercussions multiples à l’échelle nationale. Elle signerait l’arrêt de mort d’une partie de la filière graphique française, entraînant la mise au chômage de nombreux salariés et de graphistes indépendants travaillant dans le secteur, comme l’a souligné, alarmiste, Christophe Lartigue, président du GMI (Groupement des métiers de l’imprimerie), dans un courrier personnel à Emmanuel Macron : « La grande majorité des sociétés [du secteur] sont des TPE, des microentreprises déjà fragilisées par une économie difficile, un secteur en crise. Aujourd’hui, toute notre filière est en danger. » Sur la sellette donc : des dizaines de milliers d’emplois, partout sur le territoire, et des milliers de jeunes diplômés privés de débouchés.

Mais le cœur du sujet est ailleurs. Faire une requête sur Google, effectuer un achat en ligne sur Amazon ou liker une publication sur Facebook peut s’avérer riche d’enseignements pour ces GAFAM. A leurs yeux, les distributeurs de prospectus passent complètement à côté du bénéfice qu’ils pourraient tirer de leur activité. Entre les deux camps se joue une bataille entre des modèles de société radicalement différents, à plusieurs niveaux. Car le démarchage publicitaire par prospectus présente une vertu allant totalement à l’encontre les intérêts des GAFAM : ils sont anonymes, car distribués manuellement dans les boîtes aux lettres. Une gageure pour les géants du web dont le business model repose aujourd’hui sur la collecte des informations personnelles des utilisateurs.

Tirer un trait sur les prospectus anonymes aurait également des conséquences sur les petits annonceurs locaux, obligés alors de « booster » leurs publications sur les réseaux sociaux, à grands frais, sans avoir la certitude que leurs messages arrivent à destination. Cela constitue pour eux un réel enjeu financier, très concret. A cela s’ajoute la possible disparition d’une vertu non négligeable des ISA : leur rôle social et commercial de proximité, rôle que les publicités en ligne ne peuvent pas remplir.

Si les trois-quarts des Français continuent de plébisciter les prospectus, ce n’est pas sans raison. La publicité ciblée en ligne ne présente pas les mêmes avantages, malgré ses puissants algorithmes de personnalisation. Le prospectus ne peut d’ailleurs pas se battre sur ce terrain de la personnalisation en raison d’un autre avantage indéniable mais insupportable pour les GAFA : aucune donnée n’est collectée. Le prospectus vise un large public indiscriminé, mais au niveau local, tout le contraire des géants de la tech américains.

Cet ancrage local est ce qui contribue le plus au succès des prospectus. En effet, même si les principaux bénéficiaires des prospectus se retrouvent parmi les classes les plus fragiles, financièrement parlant, les opérations spéciales, les événements locaux, touristiques, les foires aux vins, les festivals, le Black Friday, Noël, la Fête des mères ou encore les promotions intéressent en fait un public très large. Et les informations sur ces sujets transitent préférentiellement par les prospectus. La personnalisation offerte par le digital ne remplacera pas le plaisir de l’occasion de sorties ou le bon plan découverts par hasard dans un prospectus.

En fin de compte, le tout-numérique – vivement souhaité par les GAFAM tout comme par les ardents défenseurs de la cashless society – représente non seulement une menace sur l’emploi en France, mais aussi sur les libertés individuelles et sur l’anonymat de nos modes de consommation. Autant de raisons pour les pouvoirs publics de réfléchir à deux fois avant de sacrifier l’un et l’autre.