Après la TV segmentée, la radio segmentée est-elle possible ?

Après la TV segmentée, la radio segmentée est-elle possible ? La data se fait encore rare et le remplacement des spots sur les flux live est toujours en développement. Mais les acteurs avancent.

Le terme de radio segmentée est de plus en plus souvent joyeusement employé par des acteurs de l'industrie et des commentateurs en référence à la TV segmentée. Est-ce que cela signifie vraiment que les publicités diffusées sur les flux live des radios online sont remplaçables par d'autres posts en fonction des données dont on dispose sur l'audience qui les écoute ? En deux mots, en partant de l'exemple de la TV segmentée, peut-on parler de radio segmentée ? La réponse est non pour le moment, même si le secteur cherche à innover et à proposer de la data aux annonceurs.

La TV segmentée implique deux principes fondamentaux : 1) la capacité technique, sur le linéaire, de substituer une publicité diffusée à tout le monde par un autre spot, différent parce que conçu pour une ou des catégories ciblées de la population ou pour une ou plusieurs régions géographiques, sans aucun flottement, comme on a l'habitude de le faire sur le digital ; 2) le fait de disposer d'une capacité de ciblage industrielle, c'est-à-dire de beaucoup de données sur les spectateurs afin de proposer aux annonceurs des segments de ciblage disposant de volume.

Sur le digital, la technologie qui permet de diffuser sur PC ou mobile un spot différent de celui présenté en direct à l'antenne s'appelle "ad switching". En pratique, on remplace un spot par un autre sur le numérique, en veillant à ce qu'il occupe le même laps de temps qu'à l'antenne. En TV segmentée, la substitution des spots se fait à travers les box ou directement via les TV connectées. Quant aux données de ciblage, elles sont fournies par les box opérateurs qui, à condition d'obtenir l'opt-in de leurs clients, connaissent la localisation des devices et leur consommation média.

"Sur l'audio, on sait faire l'ad switching sur le desktop mais pas encore sur tous les mobiles. Mais il n'y a pas de raison pour que nous n'y arrivions pas"

La situation est toute autre sur la radio, où le décrochage n'est pas encore une réalité sur le live online et où l'offre de data est loin d'être foisonnante ou généralisée. Quand par exemple la régie du groupe Altice Media évoque sa capacité "d'envoyer la bonne publicité audio à la bonne personne au bon moment", elle ne parle pas de substitution d'un spot pendant la diffusion en continu. "Nous savons envoyer la bonne publicité à la bonne personne sur le pre-roll des podcasts et du live, c'est pour cela que je parle de radio segmentée, c'est pratiquement la même chose. Nous disposons de la data pour proposer une meilleure expérience à nos auditeurs avec un message en affinité avec eux", déclare Raphael Porte, directeur général d'Altice Media Ads & Connect.

Il n'en reste pas moins que la régie ne fait pas de remplacement des spots à l'intérieur du flux live, fait qui définit nous l'avons vu l'approche de la TV segmentée. "Le remplacement des spots en radio pour le moment n'est pas encore possible sur le flux live. Sur la télévision, l'ad serving opère. Sur l'audio, on sait faire l'ad switching sur le desktop mais pas encore sur tous les mobiles. Mais il n'y a pas de raison pour que nous n'y arrivions pas", explique Raphael Porte. De fait, à entendre Sébastien Ruiz, directeur d'AudioM et de GroupM, cela ne devrait pas tarder: "D'un point de vue technique, la radio a beaucoup d'avance parce que cela fait des années que le secteur sait faire du décrochage sur la radio traditionnelle pour la commercialisation des écrans locaux. Ce sera beaucoup plus simple pour eux de mettre en place cette mécanique sur le digital."  

Il reste la question majeure de la data. Chez Altice (28,86 millions de visiteurs uniques sur ses sites et applications, Médiamétrie, mars 2023), on se base sur les segments (socio-démographiques, centres d'intérêt, affinités de consommation, etc.) bâtis dans le cadre de la DMP du groupe à partir de données de navigation collectées sur les internautes et audionautes sur l'ensemble de ses supports digitaux, dont notamment les sites de RMC et BFM. Une solution astucieuse trouvée par le groupe dans un contexte franchement peu favorable à la diffusion publicitaire ciblée sur l'audio, où la majorité des contenus des chaînes sont consommés en-dehors de leurs sites et applications. Conséquence directe : ces dernières ne disposent d'aucune data sur ces audiences. "Aujourd'hui n'importe quel agrégateur de contenus (TuneIn, Apple Podcasts, Google Podcasts, Spotify, Deezer, etc., ndlr) peut reprendre et diffuser les flux des radios librement. Les acteurs de notre secteur l'autorisent parce que la mesure de l'audience se base sur du déclaratif et la conséquence à cela est qu'il faut être présent partout sur le digital pour être bien mesuré. Le revers de la médaille est que dans ces cas nous n'avons la main ni sur le bandeau de consentement au dépôt de traceurs publicitaires ni sur la data opt-in : nous pouvons diffuser dans ce cas uniquement de la publicité non ciblée", explique Hortense Thomine-Desmazures, directrice générale adjointe chargée du digital, du marketing et de l'innovation chez M6 Publicité. Plus de 80% des audiences digitales de RTL consomment le média en-dehors des propriétés de la marque. Et ce phénomène n'est pas spécifique à RTL.

"Dès que nous avons à diffuser des campagnes audio avec une logique de ciblage, nous sommes obligés de nous diriger vers Deezer et Spotify"

"Les régies sont en ordre de marche pour faire venir la data dans l'audio, ce qui est très positif vu que ce levier digital est en retard sur ce sujet comparé aux autres leviers. Mais pour cela les radios devraient regarder davantage non pas la concurrence qu'elles se font entre elles mais les effets qu'elles subissent d'une relation déséquilibrée avec les plateformes de diffusion. Il faudrait que les radios puissent s'affirmer davantage et même collectivement dans les relations qui le lient à ces agrégateurs afin d'avoir plus d'accès aux données : il n'y a pas à date, sauf exception, des relations contractuelles systématiques et généralisées entre les radios historiques et les plateformes de diffusion sur cette question de la data", analyse Sébastien Ruiz. Un enjeu capital selon cet expert : "Le live des radios historiques est plus représentatif en volume d'écoute pour les annonceurs que le streaming musical gratuit pubable. Or, l'absence de data pour la diffusion sur le live online des radios, et même sur le replay, pose problème : dès que nous avons à diffuser des campagnes audio avec une logique de ciblage, nous sommes obligés de nous diriger vers Deezer et Spotify."