Les fonctions administratives et financières, un levier de performance sous-exploité par les entreprises

Une page se tourne. Depuis le début du mois, des millions de salariés peuvent regagner leurs bureaux et revoir physiquement leurs collègues. Reste que ce retour à la normale n'en est pas vraiment pas un : le travail à distance – qui ne prendra pas fin avec les dernières annonces – a durablement et structurellement modifié la vie des entreprises.

Deux phénomènes en particulier ont pris de l’ampleur. Le premier, c’est la prise de conscience des organisations et même du grand public de l’importance de certains métiers. Le second, c’est l’aspiration exprimée par les individus à exercer un travail utile et source de sens. Les fonctions administratives et financières ont bénéficié d’un regain de considération à la faveur du premier confinement : sans elles, toute activité économique aurait été impossible. Mais leur quotidien reste pénible, et certaines de leurs tâches dénuées de sens. Alors que la technologie a rendu possible une formidable résilience dans les organisations, n’est-il pas temps d’en faire bénéficier ces employés de l’ombre, et de valoriser leur fonction ?

Les Sisyphe des temps modernes

« Les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler sans cesse un rocher jusqu’au sommet d’une montagne d’où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu’il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir. »[1] Le récit narré par Camus est toujours d’actualité : Sisyphe semble s’être réincarné dans tous ces employés du back office qui consacrent leur temps à des tâches harassantes et sans fin. Alors que beaucoup de métiers ont pu tirer profit des dernières évolutions technologiques, les fonctions administratives et financières ont été les grandes oubliées de la révolution numérique. Elles représentent aujourd’hui « l’équivalent de la chaîne de montage au bureau. Les premiers passaient leur temps à assembler les pièces, les seconds trient des papiers ou gèrent des détails logistiques. »[2]. A l’heure de la dématérialisation, le classement ou la saisie manuelle de documents occupe des milliers de salariés, au détriment de missions à plus forte valeur ajoutée. Ces tâches sont non seulement dépourvues de sens, mais aliénantes et stressantes. Qui ne se sentirait pas accablé devant l’accumulation de papiers divers, comptant des dizaines de lignes avec des dizaines d’informations à relier entre elles ? Sans compter les multiples possibilités d’erreur humaine ! Pour les factures au format papier par exemple, on estime que 10 à 25% d’entre elles se perdent, et que leur acheminement n’est pas traçable. En un mot : le travail de toutes ces personnes reste pénible et fastidieux.

Libérer le potentiel des collaborateurs grâce à la technologie et à l’intelligence artificielle 

Cette situation est d’autant plus aberrante que des solutions existent qui sont simples à mettre en place et ne constituent pas une transition entre « bullshit jobs et pas de job du tout », contrairement à ce que redoutait David Graeber.  Plus que jamais, depuis le début de la pandémie, les entreprises ont la responsabilité d’accompagner leurs collaborateurs dans l’évolution de leur métier pour les inclure dans une croissance à somme positive où chacune des parties prenantes bénéficient de la richesse créée . Dans cette approche, la technologie prend en charge les tâches automatisables pour libérer le potentiel de l’intelligence humaine. L’intelligence artificielle est capable d’identifier les documents qui arrivent dans l’entreprise pour les classer ou les diriger vers le bon service. Une autre IA peut extraire les données d’une facture ou d’un avis de virement pour les enregistrer dans le système de gestion de l’entreprise ou les réconcilier avec d’autres documents. Quand l’IA ne peut pas décider de manière certaine ou quand elle fait face à une situation trop complexe, elle demande de l’aide à une intelligence humaine capable de faire face à toutes les situations.  Mais bien sûr, cette transition n’aura pas lieu sans ou en dépit des collaborateurs. Comme le fait remarquer Idriss Aberkhane, « une révolution n’est jamais adoptée lorsqu’elle marche, mais lorsqu’elle cesse de faire peur. »[3] La révolution numérique – celle qui impacte tous les process de l’entreprise – tiendra enfin ses promesses à partir du moment où les collaborateurs en percevront l’utilité et prendront en main les outils. C’est bien pour cela qu’il faut les impliquer dans la transformation de leur entreprise, dès ses débuts. Tel est le parti pris par IBM, qui construit son expérience employé avec les premiers concernés – notamment en concevant à l’aide de leurs retours une plateforme d’apprentissage personnalisée.

Le « back office » au service de la performance de l’entreprise

Inclure les fonctions administratives et financières dans cette dynamique n’est pas une action philanthropique, mais un mouvement stratégique. Malheureusement, la sémantique utilisée – « fonction support » ou « back office » - ne rend pas justice au rôle moteur de ces équipes dans la performance de l’entreprise. Ce qu’il faut bien voir, c’est que la culture du client – celle qui fait le succès d’Amazon – n’est plus l’apanage des seuls services commerciaux ou marketing, mais bien de toute la structure ! C’est ce qu’ont compris des « digital natives » comme Warby Parker ou Stitch Fix, organisées en équipes pluridisciplinaires chacune dédiée à un pan de l’expérience client. Dans ces équipes, chacun des membres, y compris ceux du « back office », travaille pour un consommateur final, et non plus pour un département métier. De plus en plus de sociétés traditionnelles suivent ce mouvement.  Concrètement, il n’est pas absurde d’imaginer un spécialiste de l’administration des ventes mobiliser ses compétences pour faire du cross-selling et de l’upselling auprès des clients qu’il gère. Un comptable pourrait, plutôt que de saisir des factures, s’assurer du bon suivi de la relation client, de la commande à une éventuelle réclamation. Le département finance pourrait mettre en place un scoring des clients pour aider les commerciaux à mieux calibrer leurs offres. Tout ceci, mis bout à bout, participe à l’expérience client et donc à la performance. Pourquoi donc continuer de renvoyer aux calendes grecques la valorisation des fonctions administratives et financières ?

[1] Albert Camus, Le mythe de Sisyphe [2] On "bullshit jobs" | The Economist [3] Idriss Aberkhane, L’âge de la connaissance