La démission silencieuse : entre fractures et opportunités ?

La démission silencieuse est une lame de fond, qui emporte les employés de tous les secteurs. D'où vient-elle ? Mais surtout, comment repenser le tissu social professionnel pour la contrer ?

Les instabilités pandémiques, inflationnistes et politiques ont apporté depuis 2020 de grands bouleversements dans la relation salariés et entreprises. Ce qui a d’abord été nommé la « Grande Démission » avec ses 470 000 départs en CDI entre fin 2021 et début 2022, s’accompagne désormais d’une tendance plus discrète, plus complexe, plus insidieuse au sein des corps d'employés baptisée le « Quiet Quitting ». Ces deux phénomènes ont rebattu les cartes de l'équilibre de la relation employeur et employés : la lassitude est au plus haut, la « paresse » un mot que l’on se dispute, ici vu comme un droit, ou là comme un défaut.

Une crise du tissu social

Notre capacité à comprendre cette lame de fond ne peut être décorrélée de notre vision de ce qu’est une entreprise : les employés dans leurs différences se retrouvent réunis sous l’égide réunificatrice de l’entreprise. Cette balance de confiance, ou tout du moins de respect des structures, est soutenue par une mise en avant de valeurs partagées entre le salarié et son patron. C’est en se reconnaissant plus ou moins intensément dans ces valeurs que l’employé va conserver et entretenir une motivation dans son travail.

Si nous faisons aujourd’hui face à une fuite massive des talents, c’est notamment parce que durant ces phases cruciales de restructuration qu’ont été les crises, ce sont les modèles établis que nous avons questionnés. Ce qui devait être des alternatives mises en place par la force des choses, comme le télétravail, ont ouvert la porte à une prise de conscience à deux niveaux pour les employés. 

Tout d’abord, on assiste à un déphasage de valeur entre l'employeur et l’employé qui ne vont plus se reconnaître communément dans la persévérance, l’effort pour le travail. L’étude Ifop pour la Fondation Jean Jaurès de septembre 2022[1], souligne le sentiment à l’égard de mots-clés, et l’on y voit très clairement que Travail (78%) et Carrière (73%) arrivent assez loin derrière Plaisir (91%) et Repos (85%). Plus clairement, 37% des actifs - chiffre qui grimpe à 42% pour les moins de 35 ans - déclarent être moins motivés pour leur travail qu'avant la pandémie.

Par ailleurs, le modèle imposé par le télétravail, entre absence de transport et gain de temps, a remodelé notre conception de la dévotion à l’emploi. Très vite assimilé par le salarié, il ne fut rapidement plus possible de supprimer ce nouveau droit qu’il estime dorénavant acquis : s’il existe un modèle moins chronophage, toujours aussi rentable et moins fatigant, pourquoi ne pas s’y abandonner ?

Cependant, le principal risque de ces divergences est avant tout un éloignement de la compréhension des attentes et des besoins entre les deux parties. Des employeurs désarmés voyant leurs employés minimiser leurs efforts ou les quitter, et, de l’autre côté, des salariés circonspects face à une structure démunie de clés de compréhensions, et encore moins armée de solution.

Comment relancer la machine sociale ?

Il en va de la survie de certaines entreprises ou tout du moins de la survie de leur profitabilité de pouvoir compter sur la motivation et l'engagement de leurs employés. En effet, les challenges économiques à venir ne pourront pas être surmontés sans une collaboration totale des ressources et de l’humain, les employeurs doivent donc s’atteler urgemment à retisser le lien social avec leurs employés. Pour ce faire, trois axes clés sont à considérer : transparence, revalorisation et engagement.

Ce sentiment de déphasage précédemment évoqué provient très souvent d’un manque de visibilité et de compréhension des employés sur la vision stratégique, et donc sur la direction que souhaite prendre l'entreprise. L’âge du management Top Down et de l’opacité d’une Direction “dans le secret des dieux” vit ses derniers jours, la responsabilité de l’employeur est dorénavant de partager son regard et d’intégrer ses collaborateurs comme étant les parties prenantes de la construction de l’entreprise et de son futur. Avoir cette transparence c’est permettre à tous d’avoir le même niveau d’informations, c’est prendre en compte les apports professionnels de chaque salarié. Cette transparence, c’est la garantie de relancer un sentiment d’une dynamique commune, même dans l’effort.

Il est également nécessaire de revaloriser la place des collaborateurs. D’un point de vue purement pragmatique, la solidarité financière de l’entreprise envers ses employés est le ciment le plus efficace pour souder la confiance et assurer l'engagement de ces derniers. Considérer chacun, réapprendre l’écoute, savoir justifier objectivement une décision managériale constitue une base saine, mais qui aujourd’hui ne suffit plus : la valorisation passe également par la reconnaissance et la considération. Entendre réellement ses collaborateurs sur leurs besoins et leurs obstacles brise, certes, la vision très passéiste d’un management aujourd’hui questionné, mais l’employeur doit dorénavant savoir partager ce qui est le fruit d’un effort collectif. Le business s’est toujours appréhendé sous le spectre qualitatif et quantitatif, il doit en être de même pour ce qui constitue la richesse d’une entreprise : ses équipes.

Enfin, dernier axe et non des moindres : l’entreprise n’est plus considérée comme étant seulement une source de revenus pour les salariés. Quand les valeurs personnelles ne transparaissaient que très peu dans le milieu professionnel, les bouleversements sociétaux de ces dernières années additionnés à une nouvelle génération dont la quête de sens est un moteur, voire un « modjo », ont totalement réécrit le rapport à l'entreprise. Pour cette raison, une entreprise ne sera en mesure de garder ses talents que si ces derniers retrouvent leurs propres valeurs dans les engagements sociétaux. Responsabilités écologiques, journées de travail dédiées à du soutien associatif, groupes de réflexion sur la RSE ou encore du team building visant à faire naître des initiatives solidaires… autant d’exemples qui permettent de rassembler et de galvaniser la vision de l’entreprise.

Au final, ce que révèle la démission silencieuse, c’est qu’une entreprise doit aujourd’hui devenir plus qu’un simple « travail » : elle est dorénavant un biais de connexion sociale, elle prône et porte une responsabilité sociétale, elle renverse les préconçus d’un management opaque et passéiste, elle est un endroit où chacun est valorisé pour son apport personnel au projet collectif. 

[1] https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2022/11/RapportIfop.pdf