Harcèlement sexuel abrogé : et maintenant ?
Au nom du principe de légalité des délits et des peines découlant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le 4 mai 2012 le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnel l’article 222-33 du code pénal réprimant le harcèlement sexuel.
Instauré par une loi du
22 juillet 1992, modifiée par deux lois du 17 juin 1998 et du
17 janvier 2002, le délit de harcèlement sexuel prévu à l’article 222-33 du code pénal punissait d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende
« le fait de harceler autrui dans le
but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ».
En l’espèce, un homme a
été condamné, le 15 mars 2011, par la cour d’appel de Lyon (Rhône) pour des
faits de harcèlement sexuel. À la suite de cette condamnation, il a formé un
pourvoi en cassation à l’occasion duquel il a soulevé une question prioritaire
de constitutionnalité. Rappelons
que ce mécanisme permet à un justiciable au cours d’une instance de soutenir qu’une
disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la
Constitution garantit et de demander la saisine du Conseil constitutionnel pour
examen. L’intéressé soutenait que l’article 222-33 du code pénal était contraire
aux articles 5, 8 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, à l’article 34 de la Constitution ainsi qu’aux
principes de clarté et de précision
de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique, en ce qu’il
punit « le fait de harceler autrui
dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle » sans définir
les éléments constitutifs de ce délit. En d’autres termes, la rédaction de l’article 222-33
du code pénal serait contraire au principe de légalité des délits et des peines
aux termes duquel on ne peut être condamné pénalement qu’en vertu d’un texte
pénal précis et clair. L’avocat de l’intéressé soutenait que la rédaction
litigieuse de l’article précité amenait le juge à prononcer « une décision subjective, en fonction
de la conception personnelle qu’il a de la sexualité, voire de ses
fantasmes ».
Or, le Conseil
constitutionnel, dans une décision du 16 juillet 1996, impose que les
infractions soient « définies dans des conditions qui permettent au juge,
auquel le principe de légalité impose d’interpréter strictement la loi pénale,
de se prononcer sans que son appréciation puisse encourir la critique d’arbitraire ».
De même, dans une décision des 19 et 20 janvier 1981, le Conseil retient
« la nécessité pour le législateur
de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure
l’arbitraire. »
Partant, le 4 mai
2012, le Conseil constitutionnel a prononcé l’abrogation de l’article 222-33
du code pénal au motif que sa rédaction permettait « que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les
éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis ». Conformément
à l’article 62 de la Constitution selon lequel « une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de
l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision »,
le Conseil a précisé que cette abrogation était « applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à
cette date ».
Cette décision emporte
plusieurs conséquences.
En premier lieu, les affaires en cours seront
abandonnées en raison de la disparition de la base légale des chefs d’inculpation.
En second lieu, aucune nouvelle poursuite ne pourra être engagée, y compris
pour des faits antérieurs à la décision du 4 mai dernier, jusqu’à l’adoption
dans le code pénal d’une nouvelle incrimination de harcèlement sexuel. En
revanche, les personnes dont la condamnation a déjà été prononcée et n’est plus
susceptible de recours ne sauraient obtenir une révision de la décision
prononcée à leur encontre.
Le vide juridique
laissé par l’abrogation de l’article 222-33 du code pénal a été vivement
critiqué par les associations de victimes qui espéraient son maintien jusqu’au
vote d’une nouvelle loi. Subsiste malgré tout, à l’article L. 1153-1 du Code du travail, la définition du harcèlement sexuel au travail. Cet article,
dans sa rédaction issue de la loi de modernisation sociale du 17 janvier
2002, dispose que « les agissements
de harcèlement de toute personne dans le but d’obtenir des faveurs de nature
sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers sont interdits ».
Si la
rédaction n’est guère plus précise que celle de l’ancien article 222-33 du
code pénal, en l’absence de décision du Conseil constitutionnel ou d’adoption d’un
nouvel article par le législateur, ce texte continue de s’appliquer. À moins qu’une
autre question prioritaire de constitutionnalité ne soit posée à son propos,
ainsi que dans le cas qui suit, et ne reçoive pareille réponse.
Le cas de la définition
du harcèlement moral peut également se poser. Le 10 mai 2012, une nouvelle
question prioritaire de constitutionnalité en ce sens a été transmise à la Cour
de cassation par le tribunal correctionnel d’Épinal (Vosges) dans le cadre d’un
litige qui oppose un chef d’entreprise à plusieurs de ses salariés, concernant
les dispositions relatives au harcèlement moral défini à l’article 222-33-2
du code pénal, issu de la loi du 17 janvier 2002 précitée, comme « le fait de harceler autrui par des
agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des
conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa
dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir
professionnel ». La Cour de cassation dispose de trois mois pour
décider de transmettre ou non cette question au Conseil constitutionnel.
À ce
jour, dès lors, harceler sexuellement est possible, harceler moralement ne l’est
pas.