Disney+ et Netflix s'ouvrent à la pub : les groupes TV doivent-ils s'inquiéter ?

Disney+ et Netflix s'ouvrent à la pub : les groupes TV doivent-ils s'inquiéter ? Dans un premier temps, la percée de Netflix pourra challenger les revenus digitaux des chaînes historiques, sans pour autant mettre en péril les 3,5 milliards de la TV linéaire.

Netflix s'ouvre à la publicité en France le 1er novembre, Disney+ devrait faire de même début décembre. Les chaînes TV historiques doivent-elles s'en inquiéter ? Les analystes que nous avons consultés sont unanimes : sur le court et moyen termes, ces offres ne seront pas en concurrence frontale avec la TV linéaire. Elles viendront plutôt challenger la commercialisation des inventaires digitaux des chaînes TV, mais à deux conditions : que les niveaux de CPM annoncés par Netflix deviennent un peu plus réalistes et que l'offre se généralise auprès des abonnés, ce qui risque d'être long.

"Seuls quelques grands annonceurs qui peuvent se le permettre seront prêts à y aller dans un premier temps"

Les toutes premières informations livrées au marché par Microsoft, partenaire publicitaire exclusif de Netflix, font état de conditions d'accès à l'inventaire très restrictives. "Seuls quelques grands annonceurs qui peuvent se le permettre et qui aiment tester des innovations seront prêts à y aller dans un premier temps", estime Olivier Roberdeau, responsable du multiscreen chez Mindshare (GroupM). Au menu, un CPM brut de 49 euros pour un spot de 30 secondes et une exigence d'engagement d'investissement minimum de 700 000 euros sur 11 mois. "C'est plus que 2 fois le CPM de l'inventaire vidéo des chaînes les plus valorisées sur la catch-up", complète-t-il. "Ce sont des conditions délirantes", estime pour sa part Jérôme Cauchard, directeur général France de Making Science : "Quand vous arrivez après les autres, vous avez tendance à baisser les prix. Là c'est tout le contraire. Ceci dit, à condition que Netflix prouve sa puissance supposée en durée d'écoute, cela pourrait contribuer à revaloriser les inventaires digitaux, y compris des chaînes historiques. Mais rien n'est écrit pour l'instant."

Douche froide pour les annonceurs

En attendant, ces conditions ont l'effet d'une véritable douche froide pour des annonceurs qui se montraient pourtant impatients de se saisir de cette opportunité, d'autant que personne ou presque ne s'engage sur un taux d'adoption fulgurant de l'offre de Netflix dès le lancement. "L'adoption de cette offre ne sera pas un raz-de-marée car beaucoup de gens restent attachés au modèle sans publicité", prédit Olivier Roberdeau. Une analyse confirmée par l'enquête réalisée en avril par Harris Interactive pour le Baromètre OTT de NPA Conseil, qui indique que seuls 36 % des abonnés à Netflix interrogés déclaraient être intéressés par une offre à prix réduit intégrant de la publicité. Chez Mindshare on préfère tabler sur une évolution très progressive avec au départ un peu plus de 1% d'adoption, 3% en fin d'année et, si tout va bien, 26% environ à l'automne 2023.

"Si on devait évaluer le potentiel de ce marché, il faudrait plutôt se baser sur ce que les acteurs de la TV en France arrivent à faire en digital média, soit 200 millions d'euros en 2021", explique Xavier Guillon, directeur général de France Pub. C'est loin des 3,5 milliards captés par la TV linéaire en France. Si le niveau d'adoption était de 30 %, Netflix pourrait toucher des recettes annuelles de 95 millions d'euros dans un scénario où le CPM net s'établit à 30 euros, selon des calculs de NPA conseil. Philippe Bailly, président et fondateur du cabinet, évoque cependant l'effet potentiellement dévastateur de l'arrivée de Netflix dans le cas où l'adoption de la nouvelle offre par ses abonnés serait de 60%, ce qui relèverait ses recettes à 330 millions d'euros : "Netflix se positionnerait alors en 4e parmi les régies de publicité TV françaises, après TF1 Pub, M6 Publicité et France Télévisions Publicité."

Personne n'ose prédire quand une telle performance pourrait avoir lieu. Ce qui est sûr : le risque que ces nouveaux environnements cannibalisent les inventaires digitaux de la TV française sera d'autant plus fort en contexte macroéconomique défavorable, comme c'est le cas aujourd'hui.

L'exemple Amazon

Si un impact devait avoir lieu sur les parts de marché de la télévision classique, il ne serait pas immédiat et dépendra de la conjonction de nombreux autres facteurs, à commencer par la qualité de l'offre dont le point d'orgue est la différenciation, quel que soit le canal. "Regardez l'exemple d'Amazon qui a su se positionner sur les grands événements sportifs exclusifs : ce n'est pas l'arrivée de nouveaux entrants qui menacera les acteurs traditionnels, mais leur capacité à produire les bons contenus et c'est pour cela que le projet de fusion entre les groupes TF1 et M6 est logique", analyse Olivier Roberdeau.

De plus, quand il s'agit de monétiser, il n'est pas seulement question d'audience, mais de puissance, précise Xavier Guillon : "La télévision a ses propres règles, à commencer par le GRP, et une notion de puissance sur cible beaucoup plus forte que ce que peut offrir l'environnement digital propre à ces services de streaming. "Les moments forts, de rassemblement, restent ceux de la TV traditionnelle, levier qui d'ailleurs vend plus que tout autre", ajoute Olivier Roberdeau, de Mindshare.

Quid alors de la perte d'intérêt pour la TV classique ? "Les audiences de la télévision linéaire baissent, c'est un fait, mais les durées d'écoute quotidienne des chaînes restent élevées. On n'a jamais eu autant d'investissements dans l'audiovisuel, les jeunes regardent plus de vidéos qu'avant. Il faut changer cependant de lecture et penser la TV en linéaire et non linéaire", analyse Jérôme Cauchard. "On ne déserte pas les chaînes TV françaises : on a tout simplement changé les moments où on va les visionner à la demande sur la TV ou un autre écran", tempère également Philippe Bailly. "Les offres AVOD sont beaucoup plus fragmentées et morcelées : l'ensemble de ce bouquets et chaînes AVOD qui seront potentiellement ouverts à la publicité hors Canal+ et chaînes historiques captent en tout et pour tout environ 30 % de la population française", rappelle Xavier Guillon.

Le très fort regain d'intérêt, toutes audiences confondues, pour le grand écran TV, n'est donc certainement pas en défaveur des chaînes historiques. Ce come-back est expliqué par l'essor des appareils connectés (TVC, Chromecast, Apple TV, etc.), ce qui permet aux utilisateurs de jouir et donc de rechercher une expérience de visionnage de la même qualité que celle offerte par la TV traditionnelle (confort et convivialité du grand écran). "Aujourd'hui, entre 30% et 40% de la consommation de YouTube se fait sur un écran de TV et la même chose s'observe sur le replay des chaînes classiques", déclare Jérôme Cauchard. "L'ouverture des plateformes de streaming à la publicité peut contribuer à dynamiser le marché en créant une nouvelle classe d'inventaires hybrides, à cheval entre digital et TV", soutient-il. "La cloison entre les deux modes de commercialisation de la TV devenant de plus en plus poreuse, cela facilitera à terme les transferts d'un média vers l'autre", analyse Philippe Bailly.

De façon plus immédiate, Sébastien Robin, consultant en adtech, voit dans les petits annonceurs une autre porte d'entrée importante pour les acteurs de l'AVOD, à condition que ces plateformes sachent simplifier  l'achat média : "Le réservoir de croissance des recettes publicitaires de la TV traditionnelle se situe auprès des annonceurs locaux et régionaux à travers notamment leurs offres de TV segmentée : si Netflix et les acteurs de l'AVOD arrivent à simplifier l'accès à leur inventaire, ce sont les marges de croissance de la TV traditionnelle qui seront menacées", analyse-t-il. "N'oublions pas que le grand avantage de ces acteurs du streaming et de la TVC, c'est de ne pas être exposés aux mêmes contraintes imposées aux chaînes historiques par l'ARPP."