Bertrand Gié (Geste) "L'IA générative telle qu'elle est mise en place aujourd'hui menace le financement de la pluralité d'information"

Bertrand Gié, président du Geste, explique pourquoi cinq organisations représentatives des médias d'information français publient une tribune interpellant les pouvoirs publics pour les protéger du "pillage" opéré par les IA génératives.

JDN. Vous dénoncez dans une tribune le "pillage" des IA génératives. Pensez-vous que seule l'intervention des autorités publiques peut répondre à vos attentes ?

Bertrand Gié est le président du Geste. © Geste

Bertrand Gié. On retrouve avec l'IA générative une situation semblable à celle que nous avons expérimentée avec le search il y a une dizaine d'années : les plateformes font fi de la valeur des contenus produits par les éditeurs d'information professionnels. C'est presque pire parce que, dans le cas de l'IA, nos contenus sont mélangés, découpés, remixés. Or, c'est bien la législation européenne sur les droits voisins, et sa traduction dans les droits nationaux, qui nous permet de faire avancer les choses avec les moteurs de recherche et les plateformes sociales, même si tout n'est pas parfait. C'est par conséquent grâce à la mobilisation des éditeurs mais également à celles des pouvoirs publics européens et français que nous pouvons faire avancer ce type de requête tout en favorisant l'innovation.

Vous publiez cette tribune dans le cadre du Sommet pour l'action sur l'IA, qui ouvre ses portes ce jeudi 6 février à Paris. Qu'attendez-vous de ce sommet ?

Nous regrettons que les éditeurs n'aient pas été davantage impliqués dans la préparation de ce sommet. C'est très significatif d'une sorte de frilosité que nous observons chez les autorités publiques françaises, comme si ces dernières craignaient que la régulation ne soit un obstacle à l'innovation. Or historiquement les deux sont liées : il n'y a pas d'innovation sans régulation. La preuve : toute innovation est protégée par le droit de la propriété intellectuelle.

Nous attendons de ce sommet qu'il pose les questions qui méritent d'être posées et que des pistes de solutions soient explorées afin que l'innovation de l'IA respecte l'apport de chacune des parties prenantes à cette création de valeur. En mettant en évidence le bouleversement généré par l'IA, ce sommet souligne également l'importance de soutenir les producteurs d'information français dans un contexte où les fournisseurs d'IA tendent à contourner la propriété intellectuelle et à utiliser les contenus de presse sans autorisation. L'IA générative telle qu'elle est mise en place aujourd'hui menace le financement du journalisme et de la pluralité d'information si nécessaires au débat démocratique. La fiabilité même des contenus délivrés par ces IA dépend du travail des éditeurs d'information.

Avez-vous constaté des cas précis de non-respect de l'opt-out des éditeurs ?

De très nombreux sites d'éditeurs de presse d'information ont mis en place des clauses de réserve sur leurs sites, notamment parmi les membres du Geste. Or, nombreux sont ceux qui constatent en effet que leur choix n'est pas respecté : les technologies s'en affranchissent purement et simplement en crawlant leurs contenus en permanence sans les contacter pour mettre en place des accords de licence. Nous demandons, avec force, l'application normale du droit de propriété intellectuelle avec la mise en place d'accords de licence préalables à toute utilisation de nos contenus au juste prix.

Vous demandez également dans votre tribune que la traçabilité des sources soit garantie par les IA génératives. L'IA Act ne suffit-il pas ?

L'IA Act est bienvenu, mais très insuffisant en matière de propriété intellectuelle. Ce texte est le résultat du lobbying intense du secteur de la technologie. Les travaux sur le code de bonnes pratiques et le rapport de transparence ne vont pas dans le bon sens. En imposant de simples obligations de moyens à la charge des fournisseurs d'IA, ils risquent de diluer les quelques garde-fous qui avaient été prévus auparavant. A date, l'IA Act ne garantit aucune des trois conditions que nous formulons dans notre tribune, à savoir : le respect du choix des éditeurs, avec notamment la fin du pillage de nos contenus, la garantie de traçabilité des sources d'information et la rémunération des ayants droits pour utiliser leur contenu.

Que pensez-vous des médias qui ont noué des accords bilatéraux avec des prestataires d'IA dont Le Monde qui fait partie de l'Apig, signataire de votre tribune, qui a un partenariat avec Open AI, et l'AFP, membre du Geste, qui a récemment signé avec Mistral AI ?

Ces accords vont dans le bon sens, tout d'abord parce qu'ils démontrent l'évidence : les fournisseurs d'IA ne peuvent se passer des contenus de qualité produits en quantité par les sites d'information professionnels. Rappelons que les cinq organismes signataires de cette tribune (à savoir l'Apig, la FNPS, le Geste, le SEPM et le Spiil, ndlr) représentent des médias d'information qui emploient plus de 25 000 journalistes. Ces accords sont également positifs parce qu'ils créent des précédents sur lesquels nous pouvons nous appuyer.