Amadouer Trump sans renier ses valeurs : le difficile pari d'Apple

Amadouer Trump sans renier ses valeurs : le difficile pari d'Apple Le groupe à la pomme vient d'accélérer la relocalisation d'une partie de ses activités aux Etats-Unis. Un mouvement stratégique au long cours qui constitue aussi une manière de s'attirer les faveurs de Donald Trump.

Amorcée depuis déjà plusieurs années, la stratégie d'Apple visant à limiter sa dépendance à la Chine et à rapatrier une partie de ses activités dans des pays alliés ainsi qu'aux Etats-Unis connaît un nouveau coup d'accélérateur. L'entreprise vient en effet d'annoncer la création de 20 000 emplois aux Etats-Unis, assortis d'un investissement de 500 milliards de dollars sur place. 

Cette enveloppe sera notamment utilisée par la marque à la pomme afin de construire une usine à Houston, au Texas, où seront fabriqués des équipements pour les serveurs d'IA d'Apple. Mais aussi pour mettre en place une école dans le Michigan, afin d'y former de futurs talents industriels, et ainsi accompagner la stratégie de réindustrialisation qui constitue un grand axe stratégique des Etats-Unis depuis le premier mandat de Donald Trump. De l'argent sera également alloué à l'extension des bureaux et des centres de données d'Apple aux Etats-Unis, ainsi qu'à la production de davantage de puces avancées dans l'usine que TSMC a implantée en Arizona. Apple vient par ailleurs d'annoncer le rapatriement de deux usines, actuellement basées au Mexique, vers les Etats-Unis.

Une stratégie de longue haleine 

Ces annonces marquent une nouvelle étape dans la stratégie de relocalisation amorcée par Apple il y a déjà quelques années. Dès 2012, Tim Cook indiquait que son entreprise allait investir 100 millions de dollars pour recommencer à produire dans son pays. L'entreprise réalise depuis régulièrement de nouveaux investissements pour réduire sa dépendance à la Chine, en misant sur d'autres pays asiatiques, comme l'Inde, mais aussi sur les Etats-Unis. 

Pour la marque à la pomme, il s'agit d'une évolution stratégique structurelle, visant à réduire sa dépendance à la Chine, alors que la tendance est clairement au durcissement des relations entre l'Empire du Milieu et les Etats-Unis. Et le chantier est énorme : en 2022, Apple fabriquait encore plus de 90% de ses produits en Chine, principalement via des fournisseurs.

Un signe de bonne volonté vis-à-vis de Trump

Avec le retour de Trump à la Maison-Blanche, l'accélération de cette stratégie permet au groupe de faire d'une pierre deux coups, en remplissant ses objectifs à long terme tout en faisant le bon élève auprès du nouveau président, qui fait du rapatriement de la production aux Etats-Unis l'un de ses chevaux de bataille. Dès sa première campagne, en 2016, Donald Trump avait affirmé qu'Apple pourrait très bien produire ses téléphones et ordinateurs aux Etats-Unis, et qu'une fois au pouvoir, il s'assurerait que ce soit le cas. 

Si, comme à son habitude, le candidat républicain avait fait une promesse quelque peu grandiloquente, la guerre commerciale de plus en plus ouverte avec la Chine, la menace de nouveaux tarifs douaniers et le souci d'obtenir le support du nouvel hôte de la Maison-Blanche semblent bel et bien avoir convaincu le groupe d'accélérer sa stratégie. Trump a en effet introduit peu après sa prise de pouvoir des tarifs douaniers de 10% sur tous les produits chinois, et promis des tarifs supplémentaires de 25% sur les semi-conducteurs importés d'Asie du Sud-Est. Un vrai danger pour Apple, qui demeure dépendant de la Chine pour fabriquer ses produits et de TSMC pour ses puces haut de gamme. 

"Nous avons entièrement confiance dans l'avenir de l'innovation américaine", a assuré Tim Cook lors d'une visite à la Maison-Blanche la semaine passée. Donald Trump, de son côté, a remercié le patron d'Apple sur son réseau Truth Social dès l'annonce du nouvel investissement du groupe aux Etats-Unis.

La méthode Cook

Si la Silicon Valley vit actuellement une lune de miel avec la nouvelle administration Trump, les relations n'ont pas toujours été aussi apaisées. Nombre de dirigeants, dont Mark Zuckerberg et Elon Musk, ont eu des relations houleuses avec le président durant son premier mandat. Tim Cook, lui, s'est rapidement démarqué par sa finesse diplomatique, qui lui a permis de travailler dans une relative harmonie avec Donald Trump, sans lui prêter trop ouvertement allégeance. 

En 2017, alors que le président américain préparait sa grande réforme fiscale, Tim Cook a discrètement obtenu des avantages fiscaux contre la garantie d'investissements supplémentaires de son entreprise dans l'économie américaine. Deux ans plus tard, il est parvenu à dissuader le président de mettre en place de nouveaux tarifs douaniers contre la Chine, en lui expliquant qu'ils augmenteraient le prix de l'iPhone et affaibliraient l'entreprise américaine face à ses rivaux étrangers, comme Samsung. Durant la dernière campagne, Trump a affirmé que le patron d'Apple l'avait appelé à l'aide contre les amendes accumulées par Apple pour entrave à la compétition en Europe, suite à quoi le futur président se serait engagé à défendre les intérêts de la marque à la pomme. 

Apple refuse de virer MAGA

Mais contrairement à d'autres leaders de la tech, Tim Cook s'efforce de se concilier les faveurs du président tout en demeurant fidèle aux valeurs défendues par son entreprise. S'il a effectué des donations en faveur des républicains aussi bien que des démocrates, le patron d'Apple est plutôt ancré à gauche, a soutenu les campagnes de Barack Obama, d'Hillary Clinton et de Joe Biden, et s'est à plusieurs reprises engagé en faveur de la communauté LGBT (Tim Cook a lui-même annoncé publiquement son homosexualité en 2014). 

Il a également à plusieurs reprises tenu tête à Donald Trump. En 2017, après un affrontement entre des militants de Black Lives Matter et des suprémacistes blancs à Charlottesville, en Virginie, il a par exemple vertement critiqué la réaction de Trump, qui avait affirmé qu'il y avait des personnes respectables dans les deux camps. Un an plus tôt, la marque à la pomme avait longuement refusé de déverrouiller l'iPhone d'un terroriste sur demande du FBI, tenant à ne pas céder sur la protection de la vie privée, ce qui avait attiré au groupe des critiques de la part de Donald Trump. 

Enfin, contrairement à Google, Microsoft et Meta, Apple a pour l'heure refusé de toucher à son programme de DEI (Diversité, équité et inclusion), terme ombrelle désignant les politiques visant à accroître la représentation des minorités au sein des entreprises et à lutter contre les discriminations. Populaires durant les années 2010, et plus encore suite à l'essor du mouvement Black Lives Matter après la mort de George Floyd, elles suscitent depuis une vague de critiques venues du centre et de la droite de l'échiquier politique, qui pointent leurs dérives et leur inefficacité, voire leur aspect discriminatoire et contre-productif. 

Un jugement de la Cour suprême contre la discrimination positive, suivi d'un retour au pouvoir de Donald Trump, confirmant un changement de Zeitgeist au profit des valeurs conservatrices aux Etats-Unis, ont conduit nombre de grandes entreprises a abandonné ces programmes. Mais Apple a pour l'heure tenu bon. Mardi 25 février, les investisseurs de l'entreprise, sur la pression de groupes conservateurs, étaient invités à se prononcer pour ou contre le maintien de ces politiques par l'entreprise. Un jugement négatif pourrait faire peser davantage de pression sur Tim Cook à cet égard et mettre sa détermination à rude épreuve. 

La stratégie des Gafam pourrait se retourner contre eux

La prudence d'Apple, si elle risque de lui attirer des critiques aussi bien de la part des pro-Trump que des progressistes, a également ses avantages. En effet, en courtisant trop ouvertement Trump, les entreprises de la Silicon Valley jouent un jeu dangereux qui pourrait bien se retourner contre elles. Elles devraient certes en tirer des avantages à court terme, par exemple si le président américain décide de faire pression sur l'Union européenne pour éviter des amendes aux Gafam. 

Mais les entreprises qui s'affichent aux côtés du président américain deviennent du même coup une cible de choix pour ses adversaires souhaitant faire pression sur lui. Tesla en a déjà fait les frais : l'entreprise risque de se voir interdire de tester son logiciel d'autopilote en Chine, en représailles à la guerre commerciale menée par Trump contre l'Empire du Milieu. Pékin a aussi lancé des enquêtes antimonopoles contre Google et Nvidia. 

Ces entreprises risquent par ailleurs de se rendre impopulaires auprès du public hostile à Donald Trump. Tesla a ainsi accusé une baisse de 45 % de ses ventes en Europe d'une année sur l'autre en janvier, alors même que les ventes de véhicules électriques y ont crû de 37 % sur la même période. Une contre-performance que plusieurs analystes ont liée à la proximité entre Musk et Donald Trump et à l'immixtion du patron de Tesla dans les affaires européennes, avec notamment un soutien affiché à l'AFD en Allemagne. Même aux Etats-Unis, où Trump jouit pour l'heure du soutien de l'opinion publique, un retournement en la matière pourrait nuire aux big tech. Les consommateurs américains ont en effet prouvé par le passé qu'ils pouvaient attaquer les entreprises aux portefeuilles lorsque leur positionnement politique leur déplaisait. Bud Light, une marque de bière, en avait fait les frais en 2023