L’interopérabilité : le défi en vogue du paiement mobile

Le paiement mobile représente un axe de croissance majeur pour les acteurs télécoms et les banques, parfois bousculés par des pure players. Sur ce terrain, le véritable sujet d’actualité est désormais celui de l’interopérabilité.

Sur le front des paiements, le premier défi de l’interopérabilité est celui de la syndication des acteurs. Il y a évidemment autant d’intérêts différents que d’acteurs sur un marché. Les banques craignent l’arrivée d’autres acteurs sur des services financiers qui étaient jusque-là leur apanage. 

Les leaders sur le domaine du paiement mobile voient aussi d’un mauvais œil l’interopérabilité qui supprimerait l’une des barrières à l’entrée – l’effet réseau – et permettrait l’arrivée d’outsiders. A titre d’exemple, on se rappelle que dans de nombreux pays, les banques ayant les plus gros réseaux de guichets automatiques furent les dernières à se joindre aux initiatives d’interopérabilité. Plus actuel, on peut donner l’exemple d’Apple, non désireux de remettre en cause sa stratégie de système fermé pour sa solution Apple Pay. 

Enfin, dans le jeu d’acteurs, il faut compter aussi les institutionnels qui, dans les pays en voie de développement, voient souvent dans le paiement mobile une formidable opportunité d’inclusion financière là où les entreprises privées cherchent bien naturellement un modèle rentable. 

Tous ces jeux d’acteurs rendent donc épineux le dossier de l’interopérabilité qui pourtant, bénéficierait à l’ensemble de l’écosystème. En effet, les exemples passés ont toujours eu pour résultat une explosion des trafics. L’exemple de l’interopérabilité des SMS au Royaume-Uni est parlant : instaurée en 1998, l’interopérabilité se traduit dès l’année suivante par un trafic global décuplé. Plus récemment, l’interopérabilité dans le paiement mobile mise en place en Tanzanie en 2014 a eu le même effet (trafic décuplé) sur les transactions de particulier à particulier, mais en quelques mois seulement.

Il existe de nombreux modèles théoriques permettant d’arriver au résultat de l’interopérabilité. Dans les faits pourtant, les exemples de marchés interopérables restent rares. Fin 2015, on dénombrait 3 principaux modèles déployés dans 7 marchés interopérables. Le modèle le plus répandu est celui de l’interconnexion par accords bilatéraux (Indonésie, Tanzanie, Madagascar, Philippines et Rwanda). Ces projets d’interopérabilité sont souvent initiés par les acteurs qui s’accordent eux-mêmes sur les règles du jeu comme, le périmètre de l’interopérabilité, la répartition des bénéfices... L’inconvénient cependant d’une telle solution est la multiplication des interconnexions techniques dont le nombre augmente rapidement avec celui des acteurs impliqués. Un second modèle est celui d’une architecture centralisée. Ce modèle est plutôt adapté aux pays comptant de nombreux acteurs (potentiels). Ainsi, au Pakistan, les acteurs se sont tous connectés à la plateforme de switch bancaire. Un projet similaire est également en cours de déploiement en Egypte. Le dernier modèle, déployé au Sri Lanka, est plus atypique : le principal acteur télécom, Dialog, a ouvert sa plateforme de paiement mobile aux autres acteurs afin d’assurer une interopérabilité de fait.

Le plus long n’est pas nécessairement la réalisation technique mais plutôt de s’accorder sur les règles d’interopérabilité. Le périmètre de cette interopérabilité, c’est-à-dire la liste des services interopérables (transfert d’argent, paiements, ouverture de comptes, cash-in, cash-out…) pose question. Il en va de même pour la répartition des commissions touchées sur les opérations ou encore la rémunération des agents du réseau. Autant de problématiques sur lesquelles il n’est pas aisé de syndiquer tous les acteurs. Au niveau national, les Banques Centrales et les régulateurs télécoms ont donc un rôle à jouer dans la mise en place de cadres légaux encourageant les initiatives d’interopérabilité. La régulation doit ainsi permettre aux acteurs d’innover et de croître dans un environnement concurrentiel sain.

Auteurs : Jean-Michel Huet, associé BearingPoint, Olivier Darondel, manager, et Christophe Gandillot, consultant