Comment CloudBees réinvente sa plateforme de DevOps

Comment CloudBees réinvente sa plateforme de DevOps Avec sa solution d'intégration et de déploiement continus basée sur Jenkins, l'éditeur cofondé par un Français a levé plus de 113 millions de dollars depuis sa création en 2010.

Pas de transformation numérique sans nouvelles méthodes de travail. Fini les projets en cycle en V et le fameux effet tunnel. Dans un monde de plus en plus "logiciel", les entreprises se doivent de raccourcir les cycles de sortie de leurs applications D'où la montée en force des méthodes dites de DevOps. Dans ce cadre, les développeurs (ou dev) et leurs collègues de la production informatique (ops) apprennent à travailler de concert et à éviter de se rejeter mutuellement la faute en cas de dépassement de délais ou de dérive sur la qualité des livrables. Pour mettre en œuvre cette philosophie, un outil open source d'intégration continue s'est imposé ces dernières années : Jenkins. Au dernier pointage, il comptait plus d'un million d'utilisateurs. Sa distribution professionnelle la plus célèbre n'est autre que CloudBees. A l'instar de Red Hat ou de Suse dans les distributions Linux, cet éditeur propose une version certifiée et validée de la souche open source de Jenkins sachant que ce dernier comprend quelque 1 500 extensions. Elle s'articule autour d'une plateforme de CI/CD (pour continuous integration & continuous delivery) taillée pour les déploiements locaux (on-premise) ou dans le cloud public, assortie de fonctions de sécurisation, d'administration et d'une offre de support.

Derrière cette société fondée en 2010, on trouve le Français, François Dechery, le Suisse romand Sacha Labourey et l'Australien Michael Neale, tous trois d'anciens de JBoss puis de Red Hat après le rachat par ce dernier de l'éditeur de serveurs d'applications Java en 2006. Ils ont été rejoints depuis par le créateur de Jenkins, Kohsuke Kawaguchi, aujourd'hui directeur technique de la structure. CloudBees se donne pour objectif de faire gagner les développeurs en productivité en les allégeant d'un certain nombre de frictions. A leur intention, CloudBees lance d'abord RUN@Cloud, un PaaS qui couvrait toute la chaîne applicative, du déploiement à l'hébergement en passant le testing. Si la solution est appréciée par le marché, elle ne répond pas alors aux attentes des entreprises qui entendaient plutôt disposer d'un pipeline d'intégration continue quelle que soit l'application et le mode d'hébergement.

Sacha Labourey est PDG et cofondateur de CloudBees. © CloudBees

Le tournant intervient en 2014. CloudBees prend la décision d'abandonner son PaaS pour se concentrer sur Jenkins. Mais plutôt que de retenir le modèle classique prôné par Red Hat ou Hortonworks, l'éditeur opte pour une approche à la Cloudera. A savoir : un modèle open core qui consiste à proposer des versions commerciales d'une solution open source ou des add-ons sous forme de logiciels propriétaires. "Si Red Hat et Hortonworks ont été rachetées, ce n'est peut-être pas le fruit du hasard", observe Sacha Labourey. "En proposant seulement une distribution open source certifiée accompagnée de prestations de support, on s'expose à se voir copier par des sociétés qui capitalisent sur le fruit de votre travail." Le résultat est là : CloudBees tire désormais l'essentiel de ses revenus de CloudBees Core, sa distribution Jenkins orientée CI/CD.

Cap sur Kubernetes

Parmi ses références, CloudBees compte, à l'international, Netflix, Neustar, Service-Flow ou Universal Places et, en France, Renault, AG2R La Mondiale, BNP Paribas CIB ou Murex. "Nous essayons d'avoir l'offre la plus flexible possible pour accompagner les entreprises dans leur bascule vers le cloud quelle que soit leur maturité. Elles commencent à déployer leurs applications en local, on-premise, puis passent en mode cloud hybride avant de s'ouvrir plus largement au cloud public", détaille Sacha Labourey. CloudBees supporte Microsoft Azure et AWS.

Plus récemment, CloudBees a mis l'accent sur Kubernetes. L'éditeur a notamment lancé une distribution de Jenkins X, la version communautaire de Jenkins taillée pour l'orchestrateur open source (introduite en mars dernier). Pour les entreprises devant coordonner plusieurs équipes, CloudBees a sorti CloudBees Core for Kubernetes. "Kubernetes, offre de la flexibilité mais cela reste de l'infrastructure", reconnait Sacha Labourey. "Avec cette solution, on parle compute, de load balancing… Comment un développeur peut-il mettre tout cela en pratique ? Sachant qu'il cherche avant tout à s'affranchir des problèmes d'infrastructure et à faire du 'développement canary', c'est-à-dire déployer une application sur une partie d'un cluster pour voir si ça marche avant de passer à un déploiement généralisé. D'où l'intérêt de CloudBees Core for Kubernetes."

Pour couronner le tout, CloudBees commercialise un module d'analytics, baptisé DevOptics, qui permet à partir d'indicateurs de performance de mesurer la création de valeur au sein des chaînes d'intégration logicielle. Enfin, l'éditeur propose Codeship, une solution en mode SaaS dédiée à l'intégration continue issue d'un rachat il y a un an. L'outil repose sur une souscription annuelle puis une redevance calculée au nombre d'utilisateurs.

"Certains considèrent à tort le DevOps comme un risque pour la profession des développeurs"

Si CloudBees accompagne ses clients dans l'adoption des cas d'usage et contextes les plus simples, elle fait appel à des partenaires pour les entreprises structurées en silos dont la transformation peut s'étaler sur plusieurs années. Parmi eux, Accenture ou Atos se chargent par exemple de la conduite du changement quand des ESN plus techniques interviennent sur les processus DevOps. En bout de cycle, CloudBees réalise l'intégration des outils.

Sacha Labourey regrette que des entreprises soient encore dans le déni. "Certaines considèrent le DevOps comme un risque pour la profession des développeurs. Elles font de la résistance au changement au lieu de rassurer leurs équipes et mettre en place des plans de reconversion. Il y a aura toujours du travail pour les développeurs qui auront franchi le cap. Le mouvement est inéluctable. On peut faire le parallèle avec le cloud public. Des entreprises freinent des quatre fers en s'arc-boutant sur des arguments liés à la sécurité et à la conformité. Le sens de l'histoire est pourtant là. AWS sera bientôt plus gros qu'Oracle."

Cinq levées de fonds en huit ans

Difficile de définir la nationalité CloudBees. La société emploie un peu plus de 400 personnes dont un tiers aux Etats-Unis mais dispose de bureaux à Londres, à Neuchâtel en Suisse, à Berlin, à Séville. En France, des ingénieurs sont répartis sur tout le territoire. L'équipe dirigeante est elle-aussi éclatée sur plusieurs géographies. Le PDG Sacha Labourey est basé en Suisse, François Dechery, responsable de la stratégie, à New-York. Quant à Michael Neale, il réside en Australie, et le CTO Kohsuke Kawaguchi à San Jose en Californie.

En juin dernier, CloudBees a levé 62 millions de dollars auprès de Delta-v Capital et Golub Capital. Sur cinq tours de table, l'éditeur aura rassemblé plus de 113 millions de dollars. Avec cette enveloppe, CloudBees compte poursuivre sa croissance à la fois de manière organique et externe via des acquisitions ciblées.

Parmi les solutions alternatives à Jenkins/CloudBees, on peut citer TeamCity, Travis CI, GitLab ou Bamboo d'Atlassian. "Nous sommes une petite dizaine d'acteurs avec Docker ou HashiCorp à occuper ce terrain de la transformation des équipes IT", avance Sacha Labourey. "Le marché va très vite. Il y a trois ans Kubernetes n'existait quasiment pas. Pour suivre, il faut investir."