Stanislas de Bentzmann (Devoteam) "Avec l'explosion des cyberattaques, la cybersécurité est la priorité des patrons pour 2021"

Dans le sillage de la crise du Covid-19, Stanislas et Godefroy de Bentzmann ont bouclé avec KKR une offre publique d'achat mi-décembre qui a permis de reprendre 80% du capital de l'ESN dont ils sont cofondateurs. 20% restant coté en bourse.

JDN. L'offre publique d'achat que vous avez finalisée le 16 décembre est-elle à la hauteur de vos attentes ?

Stanislas de Bentzmann est coprésident et cofondateur de Devoteam. © Devoteam

Stanislas de Bentzmann. La société que nous avons créée avec le fonds KKR (baptisée Castillon, ndlr) a recueilli un peu plus de 80% des actions de Devoteam. Ce qui nous confère un contrôle significatif sur l'entreprise. Dans le sillage de la crise du Covid-19, c'était là notre objectif. Pour nous, l'opération est donc une belle réussite. D'autant qu'elle a été réalisée dans un contexte de marché financier chaotique avec une chute de la bourse de 30% suivie d'une remontée de 25% sur la période. Devoteam demeure coté en bourse sur les 20% restants, le cap des 90% n'ayant pas été atteint. Mais notre niveau d'attention vis-à-vis du cours sera de facto moins élevé. 

Nous allons désormais pouvoir pleinement nous concentrer sur le développement de l'entreprise en prenant plus de risques, même s'ils seront évidemment contrôlés. Nous ne sommes plus conditionnés par une courbe de performance au trimestre.

Dans la foulée du premier confinement, le secteur des services numériques a enregistré un rebond de l'activité. Comment s'est-il traduit pour Devoteam ?

Le premier confinement a été un choc violent (lire l'interview de Stanislas de Bentzmann publiée en juin dernier : "Les clients de Devoteam les moins touchés par la crise se sont mis en mode survie", ndlr). La visibilité était faible. Nous ne savions pas quand les projets stoppés allaient reprendre et lesquels allaient s'arrêter définitivement. 1 000 consultants ont dû être mis en chômage partiel (sur un effectif de plus de 7 500 collaborateurs, ndlr). La bonne nouvelle a été de voir progressivement jusqu'à 80% des projets suspendus repartir. 20% ont été annulés. 

Quant au deuxième confinement, il n'a pas du tout eu le même impact sur nos activités. Evidemment, il a bénéficié de la courbe d'apprentissage du premier ainsi que des outils (de télétravail, ndlr) qui avaient été déployés. Il a surtout été mis en place de manière plus souple en France en vue de préserver au mieux l'activité économique, et ce même si de nombreux secteurs restent touchés. A cet égard, il ressemble aux confinements mis en œuvre lors de la première vague par d'autres pays européens tels l'Allemagne ou la Hollande. Au-delà de son impact économique direct, il engendre de l'inquiétude, ce qui contribue évidemment à freiner la consommation et l'investissement.

Comment terminez-vous l'année en termes financiers ?

Les résultats définitifs de 2020 seront communiqués le 9 mars prochain. Nous prévoyons une baisse de chiffre d'affaires relativement limitée, de l'ordre de 3%. Ce qui représente un impact financier significatif dans la mesure où nous visions initialement 10% de croissance. Les investissements alloués dans cette perspective ont eu un impact sur la rentabilité. Mais cet impact est loin de nous mettre en danger. Il a été limité par le chômage partiel, les salaires représentant la part la plus importante de nos coûts.

Force est de constater que le numérique fait preuve de résilience dans ce contexte difficile. Les entreprises sont engagées dans des transformations digitales profondes depuis quatre à cinq ans. Ce mouvement a été ralenti mais pas stoppé. 

Comment s'oriente votre activité aujourd'hui ?

Décembre s'est révélé relativement bon, et nous débutons 2021 avec une visibilité mécaniquement plus faible comparée à celle que nous avons connue début 2020. Les entreprises sont plus endettées. Elles ont moins de trésorerie, une rentabilité plus faible, et moins de clients. Il est difficile d'espérer qu'elles dépensent de façon euphorique en 2021 et 2022. Dans le même temps, elles ont bien conscience qu'avec la crise du Covid-19 le marché a accéléré sa digitalisation au profit de modes de consommation qui passent plus que jamais par le numérique. 

"Sur le multicloud, nous avons engagé un programme en vue de devenir un leader incontournable sur Kubernetes"

Ces deux forces contradictoires amènent les entreprises à poursuivre leur investissement dans le digital de manière prudente en recherchant des ROI clairs et rapides. Ce qui devrait se traduire par des projets plus courts.

Comment s'oriente désormais les besoins de vos clients ?

On relève une très forte montée en puissance de la cybersécurité. Avec l'explosion des cyberattaques (observée depuis le premier confinement, ndlr), la cybersécurité est la priorité des patrons d'entreprise pour 2021. Ils ont plus que jamais conscience qu'une cyberattaque est extrêmement pénalisante, pour la réputation, pour leurs coûts… 

Aux côtés de la cybersécurité, la migration vers le multicloud représentera l'une des principales accélérations des trois prochaines années. Ici, l'enjeu est surtout d'accroitre la capacité de traitement des données, de pouvoir accéder à des outils d'IA à l'état de l'art, tout en bénéficiant d'une meilleure agilité et d'un time-to-market plus rapide. 

Face à cette orientation du marché vers le multicloud, comment se dessine votre stratégie ?

Notre plan de développement 2021-2024 a pour objectif de renforcer les accords stratégiques que nous avons signés avec AWS, Google, Microsoft, Salesforce et ServiceNow. Ces cinq partenaires ne vont pas changer dans la mesure où ils restent les plus grands investisseurs dans la R&D du secteur de la tech. C'est sur leurs plateformes que va se développer le principal de la transformation numérique. Pour chacune d'elles, nous allons accroître nos savoir-faire en matière d'architecture, de réécriture d'applications et de data. Dans l'optique d'accompagner nos clients vers le multicloud, nous avons engagé en parallèle un programme en vue de devenir un leader incontournable sur Kubernetes.

Pourriez-vous également signer un accord avec un cloud européen pour répondre au défi de la souveraineté des données ?

Le partenariat entre Google et OVHCloud annoncé en novembre (qui a pour but de porter la plateforme Anthos du premier sur l'infrastructure de cloud dédié du second, ndlr) nous semble être une voie plus judicieuse. Espérer que des initiatives européennes parviennent à un cloud qui ait le même niveau de service et de performance que celui des grands clouds américains semble peu réaliste. Le fossé est trop grand. En revanche, bénéficier de la technologie de Google chez OVHCloud avec la certitude que les données sont stockées dans le cadre juridique européen dessine une solution combinant le meilleur des deux mondes. 

Quelles sont vos prévisions de résultats pour les mois qui viennent ?

Le premier trimestre 2020 n'ayant pratiquement pas été impacté par la crise du Covid-19, la base de comparaison sera défavorable pour le premier trimestre 2021. Ce qui limite les perspectives de croissance sur cette période. Et inversement pour les deuxième et troisième trimestres, ces périodes ayant souffert du premier confinement en 2020. Au quatrième trimestre 2021, on peut espérer en revanche un rééquilibrage. 

Une bonne façon d'analyser l'évolution de cette année sera de comparer les résultats avec ceux de 2019. Nous tablons pour le moment sur une croissance de quelques points en 2021 comparé à 2019. Cette année sera une année de convalescence pour les entreprises, et donc forcément une année en demi-teinte pour les investissements de nos clients.

Stanislas de Bentzmann est diplômé de l'INSEEC et titulaire d'un BA en marketing de l'Université de San José (Silicon Valley). Il a rejoint le groupe Randstad comme directeur régional, avant de piloter l'intégration d'une société nouvellement acquise. En 1995, il crée Devoteam avec Godefroy de Bentzmann. Il est aujourd'hui co-président du directoire de Devoteam.