Face aux Gafam, quelles sont les armes des clouds français ?

Face aux Gafam, quelles sont les armes des clouds français ? Après l'échec des clouds souverains Cloudwatt et Numergy, les acteurs de la filière hexagonale se mobilisent pour proposer des offres à l'état de l'art.

En 2009, Nicolas Sarkozy entend rattraper le retard de la France dans le cloud. En 2012, le premier ministre de l'époque, François Fillon, lance les projets Cloudwatt et Numergy en vue de proposer des alternatives souveraines aux clouds américaine. Financées au total à hauteur de 75 millions d'euros par la Caisse de dépôts et consignation, les deux initiatives ne décollent pas. Acquis par Orange en 2015, Cloudwatt est définitivement débranché le 31 janvier 2020. Quant à Numergy, il est repris par SFR en 2016. L'opérateur ne lui allouera plus aucun investissement après 2017. Il faut dire que la concurrence internationale est sans pitié. Leader incontesté du secteur, l'américain AWS pèse déjà 17,5 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2016 (45,4 milliards en 2020). En 2021, où en est l'offre française ?

L'open innovation chez Scaleway

Début 2018, Scaleway, le cloud d'Iliad, est le premier à dessiner un cloud visant à dénicher un positionnement alternatif face aux géants américains et chinois.  "Nous comptons lancer une soixantaine de nouveaux produits à horizon trois ans", confie alors Arnaud de Bermingham, à l'époque directeur général et cofondateur de Scaleway. Pour se donner les moyens de ses ambitions, la société est passé de 110 à plus de 350 salariés aujourd'hui. Depuis, le lancement de nouveaux services s'enchaine : différentes gammes d'instances (y compris GPU), serveurs bare metal ultra-puissants, services de stockage objet (compatible avec Amazon S3), en bloc, machine learning, inférence... Scaleway monte également en gamme sur le front des architectures de containers logiciels : Ses équipes de R&D mettent au point un service Kubernetes managé et auto-dimensionné, baptisé Kapsule, l'un des seuls au monde à reposer sur la toute dernière version stable de la distribution officielle de l'orchestrateur open source.

En parallèle, Scaleway pousse plus loin l'exercice avec deux initiatives majeures. Mi-2019, il commercialise d'abord le premier service d'équilibrage de trafic multicloud. Puis le 5 juillet 2021, il lance Kosmos (en bêta public). La solution va faire grand bruit. Via le control-plane du provider, elle permet de déployer et maintenir les pods Kubernetes d'un même cluster sur différents clouds tiers, et ainsi d'optimiser la scalabilité et la stabilité des applications supportées en jouant sur plusieurs fournisseurs. Premier méta-cloud franco-français, Kosmos se positionne en concurrence frontale de Google Anthos et d'Amazon EKS Anywhere - qui n'est pas encore sorti à l'heure où nous écrivons ses lignes. Toujours dans cette logique d'ouverture, le cloud d'Iliad planche par ailleurs sur une offre de Function as a Service (FaaS). Compatible avec les fonctions Lambda d'AWS, Serverless Functions est compatible avec le framework Serverless.com. Une infrastructure CLI taillée pour gérer des déploiements via un fichier de configuration unique à la fois sur AWS, Google Cloud, Microsoft Azure ou encore une infrastructure Kubernetes internalisée (via l'extension Knative).

"L'objectif est désormais de compléter nos clouds centralisées d'infrastructures edge"

Mais chez Scaleway, la feuille de route ne s'arrête pas là. Sur le modèle de sa région cloud de Paris, l'entreprise de Xavier Niel entend doter ses régions d'Amsterdam et de Varsovie de deux zones de disponibilité chacune. Un chantier qualifié de prioritaire par Arnaud de Bermingham, devenu dans l'intervalle président de Scaleway. A l'instar des clouds d'Amazon et de Microsoft, la filiale de Free compte ensuite amorcer fin 2021-début 2022 le déploiement d'un réseau de dizaines voire de centaines de mini-datacenters à travers la planète. "Avec la densification des usages haut débit, à la fois fixes et mobiles, l'objectif est désormais de compléter nos clouds centralisées d'infrastructures de calcul et de stockage en mode edge proches du client final en vue de réduire la latence et d'optimiser la performance globale. Nous souhaitons rester dans la course", insiste Arnaud de Bermingham.

La force de l'écosystème chez OVHCloud

Face à Scaleway, OVHCloud mise avant tout sur une stratégie d'écosystème en vue d'imposer sa marque face aux géants du cloud. L'union fait la force. Une stratégie dont le coup d'envoi a été lancé fin 2019. "L'enjeu est de compléter nos serveurs bare metal et nos clouds (public et privé ndlr) d'une dimension SaaS. Nous voulons couvrir un large spectre, du CMS à la gestion RH en passant par le billing", commentait Octave Klaba, fondateur d'OVH, lors de cette annonce. "Nous souhaitons faire bénéficier à ces nouveaux partenaires de l'excellent rapport performance / prix de nos serveurs physiques pour se différencier." 

En 2021, cette stratégie prend corps. Fort de 2 400 collaborateurs mi-juin 2021, OVHCloud compte désormais plus de 350 partenaires. Parmi eux figurent les plus grandes entreprises françaises de services du numérique, au premier rang desquelles Atos ou encore Capgemini. Côté partenaires SaaS installés sur ses infrastructures et présents sur sa marketplace figurent notamment les digital workplaces françaises Exo Platform, Jamespot, OnlyOffice, Twake (Linagora) et Whaller. A cela s'ajoutent des solutions de cybersécurité, d'e-learning, des applications de vente et de marketing, des outils de développement...

Alliance avec les Gafa pour Capgemini, Orange… et OVH

En vue d'associer souveraineté et état de l'art en matière d'innovation numérique, Capgemini et Orange ont annoncé avant l'été leur intention de créer une joint-venture, baptisée Bleu, visant à commercialiser conjointement en France la suite Microsoft 365 et le cloud Azure de Microsoft. L'enjeu ? Proposer ces technologies dans des centres de données localisés dans l'Hexagone, sous législation européenne, en vue de les soustraire aux réglementations extraterritoriales des Etats-Unis (lire l'article Capgemini et Orange créent un cloud souverain Microsoft). Une initiative lancée avec l'aval et le soutien du gouvernement français (lire l'article Cloud souverain : le gouvernement ouvre la porte à Google et Microsoft).

"Ce type de montage représente un danger pour l'innovation numérique française et européenne"

"La plus grosse part de la valeur ajoutée du cloud réside dans le logiciel. Ce type de montage représente un danger pour l'innovation numérique française et européenne qui risque fort de perdre en indépendance et en agilité", lâche Arnaud de Bermingham au JDN (lire sa réaction à l'annonce de Bleu dans le Tweet ci-dessous). Pour autant, les jeux ne sont pas faits. La Commission européenne pourrait en effet être tentée dans les mois qui viennent de légiférer sur la question en introduisant un cadre juridique d'harmonisation technologique susceptible d'être plus contraignant pour les fournisseurs extérieurs à l'Union européenne.

Six mois avant l'annonce du projet Bleu, OVH avait annoncé en novembre 2020 un chantier équivalent avec Google. La finalité : commercialiser et maintenir la plateforme Google Anthos sur ses propres infrastructures, en vue là encore de l'isoler de la législation extraterritoriale des Etats-Unis. Le groupe d'Octave Klaba n'hésite pas à jouer sur tous les tableaux.

Platform.sh : le PaaS omniprésent

Plus discret qu'OVHCloud et Scaleway, le français Platform.sh n'en connait moins un succès fulgurant. Se qualifiant de PaaS noOps, il est commercialisé à la fois sur AWS, Google Cloud, OVH et Microsoft Azure.

Poussant très loin l'automatisation, il témoigne là encore de l'originalité de l'innovation digitale "à la française" face aux mastodontes étasuniens... mais en ayant, dans le même temps, l'intelligence de composer avec eux (lire l'article : Avec plus de 100 régions cloud, Platform.sh cible le Fortune 500).