Souveraineté numérique : le Plan B

Vient de paraitre "Souveraineté numérique 10 ans de débats, et après ?" aux "annales des Mines". Ouvrage de référence de 145 pages, le document m'a mis en appétit. Jusque là tout va bien.

Un titre bavard 

Contre toute attente, je compris vite qu'une partie du titre "10 ans de débats" annonçait ce que je redoute le plus : beaucoup "d'énergie philosophique". Quant à la fin du titre « et après ? » je restais interrogatif, moi aussi.

L'introduction de Tariq Krim me déçut... Oui, on y parle de Louis Pouzin et d'Honeywell Bull mais pas un mot sur la DARPA ou ARPAnet, oubli réparé in extrémis par Pierre Noro enseignant chercheur, qui questionne les rapports entre état et individus, liberté individuelle et économie numérique.

Quelques passages plus concrets dont celui sur la commande publique de Alain Garnier mais pas grand-chose permettant de construire pragmatiquement.

Ne gardons qu'un mot 

S'il ne fallait garder qu'un mot dans cet ouvrage contributif, gardons le mot "résilience".

Tarik Krim en parle bien brièvement. Jean Paul Smets en parle à la marge (pour argumenter en faveur des logiciels libres). Mais heureusement la résilience trouve son développement dans deux belles contributions :

- L'article collectif "Souveraineté et résilience numérique : mission impossible ? " qui traite de l'IA et du quantique

- L'article de Rayna Stamboliyska qui aborde la résilience sous l'axe des affrontements géopolitiques au cœur de la question de la souveraineté des Etats et Régions.

Allo Bruxelles ? 

Cet ouvrage porte des contributions de qualité. Celle de Brunessen Bertrand sur les divisions au sein de l'Europe et le droit européen. Sans oublier le questionnement sur l'autonomie stratégique de l'Europe dans l'analyse d'Henri d'Agrain et celle de Hugues de Jouvenel et Jean Francois Soupizet.

Comme toujours, l'analyse d'Henri d'Agrain a la qualité d'une belle clarté d'expression.

Mais le sujet est un terrain de sables mouvants et sauf Paul Jolie qui traite de la problématique d'extra-territorialité du droit européen, question fondamentale, rien de nouveau à mon sens.

Un goût de déjà lu

Un ami me demandait, que penses-tu de l'ouvrage ? Ma réponse : j'ai comme un gout de déjà lu... Un peu comme si cet ouvrage était destiné au rattrapage des élèves au fond de la classe.

Quelques parties utiles dont celle d'Ophélie Coelho sur les câbles sous-marin, thématique centrale. Et encore une fois l’analyse remarquable de Paul Jolie.

Heureusement le thème de la résilience est présent dans l’ouvrage, mais sans un mot sur ce qui adviendrait en cas de panne majeure, blackout, déconnexion de réseau ou autre situation qui en période de tension géopolitique mondiale (on y est) fait partie des probables.

Enfin j'y trouve peu les éléments d’une stratégie de rebond, hors l’analyse de Paul Jolie qui sans être prospectif mène une analyse exemplaire, je le souligne là encore.

Les grands absents 

Avec étonnement des éléments centraux sont absents, cela m’interroge.

Grande absente, la citation d'Albert Fert, prix Nobel de physique en 2007 avec Peter Grünberg pour la découverte de la magnétorésistance géante (GMR) qui permis d'accélérer radicalement le numérique grâce à l'Europe qui offrait au Monde une merveilleuse invention, gratuitement…

Et peu d'approche sur le nerf de la guerre économique : les brevets. Sauf dans la contribution hors norme de Paul Jolie, seul auteur à mettre le doigt sur la stratégie d'état de la Chine, dont ferait bien de s'inspirer les états d'Europe.

Il est vrai que Paul Jolie est au Conseil Général de l'Economie qui est chargé de l’évaluation des politiques publiques de la France. Il est donc au fait de la problématique.

Enfin comme toujours, presque rien sur la vidéo qui représente 80% des flux web et 30% du temps des cadres. Pourtant cette activité est à 95% maitrisée par des processus exogènes, peu vertueux au plan écologique, et mal maitrisés au plan cyber. Mais cet oubli est chronique.

Et après, on a un plan ? 

Il m'apparait que cet ouvrage collectif ne porte pas de consensus pour un plan de rebond.

Pourtant en introduction, Julien Nocetti chercheur cite bien le "plan 531" qui permis à la Chine de devenir un géant du numérique d’aujourd’hui, et dans l'article suivant Tariq Krim parle du "plan calcul" qui permis à la France d'être jadis un des leaders du numérique mondial…

Bien sûr Jean Noel de Galzain et Alain Garnier citent le plan France 2020-2030 et apportent des actions concrètes "Small Business Act" et "European Tech Buy Act" pour renforcer le marché local.

Mais où sont les orientations clés d’un plan d’envergure, tels que l’illustre Paul Jolie ? Je ne vois pas.

Au final on a un plan ? Comme le remarque Tarik Krim en début de l'ouvrage parlant de « plan B » peut-être pas…

En résumé, je conseille vivement de lire l’article de Paul Jolie tous les ingrédients y sont.

Cela est rassurant : nous avons des compétences au Conseil Général de l'Economie, reste maintenant à établir le plan.