Financement de l'innovation : les dirigeants d'entreprise font-ils un faux procès à l'État ?

A première vue, le constat est net, cinglant : 67% des dirigeants de PME ont le sentiment que l'Etat français ne favorise pas assez l'innovation des entreprises.*

Autrement dit, ils reprochent au gouvernement de ne pas mettre assez la main à la poche pour les aider dans leurs projets d’innovation. Cette critique interpelle quand, dans le même temps, 84% des entreprises boudent les aides publiques à l’innovation déjà en place. Alors comment expliquer ce paradoxe ? Décryptage.

Est-ce un mal français ? Celui de n’être jamais content, de trouver l’herbe plus verte ailleurs, de voir le verre à moitié vide. En matière d’innovation, la France est sans doute le pays européen le plus généreux. Les aides à disposition des entreprises sont légion entre les crédits d’impôt (comme le CIR), les subventions (comme la bourse French Tech) ou les prêts (comme l’aide pour le développement de l’innovation de Bpifrance), il y en a pour tous les goûts, pour toutes les bourses. Pourtant cela ne suffit pas. Deux tiers des dirigeants de PME fustigent un manque de soutien. Ce mécontentement est encore plus difficile à comprendre lorsqu’on voit que seules 15% des entreprises ont déjà sollicité une aide publique à l’innovation. Mais alors comment font les dirigeants ? Eh bien, ils s’autofinancent et serrent les dents ! En effet, pour réaliser leurs nouveaux projets, les entreprises s’appuient avant tout sur l’autofinancement. Et lorsqu’elles ont recours à des aides extérieures, il s’agit le plus souvent d’un prêt bancaire. Résultat, 37% des PME rencontrent des difficultés financières pour boucler leurs projets d’innovation

À ce stade, une question s’impose : pourquoi les dirigeants ne vont pas chercher les aides publiques justement faites pour favoriser l’innovation ?

Le mauvais calcul des dirigeants

Plusieurs freins expliquent ce faible engouement. Le plus souvent, c’est un manque de ressources internes. C’est-à-dire un manque de temps, de personnels à affecter sur le sujet ou des démarches jugées trop complexes. Par conséquent, les dirigeants décident de s’abstenir. Et s’ils avaient raison ? Ces aides ne sont peut-être pas si intéressantes ? Quelle erreur ! Par exemple, les aides fiscales à l’innovation (crédit impôt recherche, crédit impôt innovation et statut jeune entreprise innovante) représentent en moyenne 50 000 euros par an pour une PME. Pour combien de temps à y consacrer ? Une semaine grand maximum, le retour sur investissement est donc plutôt intéressant ! Cela mérite de mettre en pause certains dossiers pendant quelques jours pour se plonger dans les démarches. Mais le manque de moyen n’est pas la seule raison qui empêche les dirigeants d’accéder à ces aides. Il y a une autre grande explication et pour le coup, l’Etat porte une responsabilité.

L’État doit faire plus… en communication !

Si bon nombre d’entreprises passent à côté de ces aides, c’est aussi car elles n’en ont pas connaissance. La parfaite illustration, c’est le crédit impôt innovation (CII). Seulement 4 dirigeants sur 10 connaissent de nom ce dispositif et seulement 1% en ont déjà bénéficié. Un triste constat quand on sait qu’il s’agit d’une aide justement mise en place pour les PME et qu’elle est très accessible. En effet, il suffit de concevoir un produit apportant un élément de nouveauté par rapport à la concurrence (en termes technique, de fonctionnalité, d’ergonomie ou d’éco-conception) pour en profiter. Bref, une activité qui correspond à la réalité de beaucoup d’entreprises. On estime d’ailleurs que plus de 100 000 PME passent chaque année à côté du CII !

Et c’est là que l’Etat a un rôle à jouer. Il doit plus et mieux communiquer sur le sujet. Pendant la crise du COVID, le gouvernement a multiplié les annonces et les communications autour du PGE et du chômage partiel. Aujourd’hui tout le monde connaît ces dispositifs qui ont été largement utilisés. Mais cela restait une communication de crise destinée à mettre en avant des « aides défensives » pour permettre aux entreprises de résister. Pourquoi ne pas appliquer ces méthodes pour faire connaître des « dispositifs offensifs » et ainsi stimuler l’innovation des entreprises et donc in fine la croissance ? Quand on voit que l’État oublie presque constamment le crédit impôt innovation dans ses rapports et ses études sur les politiques fiscales, il y a encore du chemin à faire…

*Etude réalisée par OpinionWay pour Self & Innov en décembre 2021.