Dans la foulée de Sorare, le sport fantasy pris d'assaut par le Web 3 français

Dans la foulée de Sorare, le sport fantasy pris d'assaut par le Web 3 français Oval3, Unagi, Stables… Si Sorare est devenue une référence du jeu de fantasy sport, d'autres projets aspirent à occuper ce marché de plusieurs dizaines de milliards de dollars.

Jusqu'ici dominé par les acteurs américains DraftKings et FanDuel, valorisés à environ 10 et 20 milliards de dollars respectivement, le marché des jeux de fantasy a été bouleversé ces trois dernières années par l'arrivée d'un acteur en provenance du Web3 : le français Sorare, d'abord dans le football puis dans le baseball et le basket NBA.

Valorisée à plus de 4 milliards de dollars, la startup a permis de créer un écosystème en associant des NFT aux cartes des athlètes choisis pour composer les équipes, une technologie qui permet un marché secondaire ouvert, lequel contribue à renforcer l'engagement des joueurs. La start-up revendique plus de 3 millions d'inscriptions et 700 000 joueurs actifs par mois. Un succès qui a convaincu la société Bamg Sports d'investir le terrain : déjà éditrice d'un jeu mobile de fantasy rugby Web2 intitulé Fantasy Rugby World, la compagnie aspirait à un nouveau modèle, notamment sur le plan économique. Ainsi est né Oval3, jeu de fantasy rugby Web3. "Notre premier jeu avait tendance à se limiter aux connaisseurs", nous raconte Tony Bouquier, fondateur de la société. "Nous avions donc la volonté de créer un jeu plus accessible et dans un second temps, d'aller plus loin dans la création d'un modèle qui rétribue l'ensemble des acteurs de l'écosystème. Sur le premier jeu, nous avions des partenariats avec la ligue, les joueurs et des médias mais c'est compliqué d'intégrer tout le monde dans un jeu gratuit. Ce nouveau modèle de play-to-earn et play-and-own, rendu possible par le NFT, permet de récompenser les joueurs les plus actifs par des nouvelles cartes, des jetons ou des expériences, tandis que les ayant-droits - ligues, clubs et joueurs - touchent comme la plateforme des revenus sur les ventes primaires et secondaires. Le modèle économique est équilibré entre tous les acteurs, c'est plus vertueux".

"Nous sommes redevables de Sorare"

Capture d'écran des cartes NFT du jeu Oval3. © Bamg Sports

L'accord entre Bamg Sports et la Ligue Nationale de Rugby porte sur deux millions d'euros sur trois ans avec des royalties sur les reventes de NFT. Il fait suite à un travail de longue haleine. "Nos premières discussions avec la LNR remontent à juin 2021.I ls ont lancé une commission de développement du rugby professionnel en janvier 2022 dans laquelle nous avons été consulté pour soumettre notre vision. Après un appel d'offre en mai, nous avons conclu en octobre 2022. Cela a été un processus de presque un an et demi.  Nous sommes redevables de Sorare car ils ont montré que le modèle marchait et cela a forcément ouvert certaines portes", admet sans mal Tony Bouquier, dont la société devrait bientôt officialiser un tour de table de 1,2 million d'euros.

Si Oval3 suit les traces de Sorare pour le rugby, la start-up Unagi, elle, n'a pas hésité à se lancer sur le même terrain que le jeu créé par Nicolas Julia et Adrien Monfort : le football, avec un jeu de fantasy Web3 intitulé Ultimate Champions. "En fait, nous avons lancé Unagi avant la première grosse levée de Sorare (en 2021, ndlr)", tient à préciser Rémi Pellerin, cofondateur et CEO d'Unagi. "Nous avions envie de proposer un produit différent dans la fantasy, avec un gameplay qui se rapprochait des jeux avec lesquels nous avions grandi et le marché du foot est tellement gros qu'on a cru au fait qu'il pouvait y avoir plusieurs acteurs." Contrairement à Sorare, Ultimate Champions n'a jusqu'ici pas de partenariat avec une ligue intégrale mais s'est associée avec plusieurs clubs, de la D2 française comme Le Havre à la Premier League anglaise avec Arsenal ou la Bundesliga comme le Bayer Leverkusen. Au total, 47 clubs de football ont donné leur accord, qui leur permet de toucher une part des royalties générés par les ventes de NFT. Aujourd'hui, la start-up revendique 255 000 joueurs inscrits, dont 40 000 joueurs actifs mensuels. Parmi eux, 4 à 5% sont acheteurs des cartes NFT émises dans le jeu. "Ce sont de très bons chiffres car en général, le taux de conversion pour les free-to-play est autour de 3%", détaille Rémi Pellerin. "Nous sommes donc au-dessus de cette moyenne, même si on s'attend à une petite baisse lorsqu'on atteindra des volumes d'utilisateurs supérieurs."

Et comme Sorare, Unagi investit d'autres sports puisqu'elle a lancé en février dernier un jeu basé sur le basket européen, grâce à un partenariat exclusif avec l'Euroleague dont les termes ne nous ont pas été communiqués mais ont sans doute été aidés par les fondations financières solides de la start-up hexagonale. D'après la société, les premières semaines sont très encourageantes. "On a fait un meilleur lancement sur le basket que sur le foot. Le basket est très intéressant d'un point de vue fantasy car c'est un sport dans lequel il y a beaucoup de stats, plus que dans le foot, consommées en direct", se félicite Rémi Pelleriin.

"On savait qu'il y aurait de l'engouement pour Oval3 mais on ne s'attendait pas à ces prix"

L'appétit des utilisateurs pour ces nouvelles propositions blockchain, de nature souvent plus difficile d'accès, semble bel et bien là : une première vente aux enchères de 31 cartes d'Oval3 en décembre dernier avait permis de récolter plus de 15 000 dollars. "On savait qu'il y aurait de l'engouement grâce à de nombreuses études de marché mais cela restait très théorique.  On ne s'attendait pas à ces prix", confie Tony Bouquier. Pour la première semaine de lancement de sa marketplace en avril, Oval3 évoque 2 000 cartes vendues et 2 200 joueurs avec un volume de transactions certes modeste (35 000 dollars générés). La plateforme espère "20 000 à 30 000 joueurs inscrits espère entre 20 et 30 000 inscrits à l'issue de la saison" et compte surtout sur l'effet Coupe du Monde 2023 : "Il y aura dans tous les cas un mode de jeu spécifique à la Coupe du Monde, c'est le timing parfait pour exploser. Nous sommes en discussions avec World Rugby pour une potentielle officialisation du jeu avec la Coupe du Monde. Plus que vendre des cartes, cet événement sera surtout l'opportunité d'attirer le public sur notre plateforme", estime le fondateur de Bamg Sports, qui a également conclu un partenariat exclusif avec la Major League Rugby, la ligue américaine de rugby, pour un jeu disponible dans le courant de l'année.

Pour conquérir le public, la start-up mise d'ailleurs sur une communication organique, avec l'aide des clubs également intéressés sur les royalties des reventes de NFT. "In fine, la communauté censée être la plus grosse est celle du rugby. Nous savons qu'en premier lieu, nous touchons la communauté Web3 mais il y aura un processus d'éducation et de pédagogie avec la communauté rugby, de découverte sur ce type de jeu. Nous avons fait en sorte de créer l'environnement le plus simple possible, sans besoin de connaissances techniques et les ligues comprennent la nécessité de promouvoir le jeu pour qu'il fonctionne. Dans tous nos contrats, on a tout un panel d'activations et d'opérations avec des campagnes sur les réseaux sociaux, dans les stades, du merchandising. Aux Etats-Unis, il y aura des pubs TV et des panneaux dans les stades", poursuit Tony Bouquier, approuvé par son homologue d'Unagi, Rémi Pellerin : "La connexion avec le monde réelle est toujours une stratégie pertinente car c'est là que l'on trouve les fans les plus engagés. Nous avons nous-mêmes du marketing physique dans les stades, lors des matchs, sur des écrans géants."

PMU, la stratégie gagnante du tout Web3

Visuel d'illustration de classement de course Stables. © PMU

Une stratégie que ne partage pas PMU pour Stables, son projet de jeu fantasy de courses hippiques. "Notre ambition était de nous confronter à de nouvelles cibles et audiences. Nous voulions nous adresser à une population qui n'était pas familière de notre offre traditionnelle", revendique Constantin Garreau, directeur de l'innovation de PMU. "On a adopté tous les codes du Web3 : nous n'avons pas essayé de gommer le wallet ou les cryptos. C'était volontaire. Ça a peut-être dérouté nos clients PMU existants mais l'idée n'était pas de les embarquer dans le fantasy gaming, c'était d'utiliser ce type de jeu et le Web3 pour toucher de nouvelles audiences avec un narratif autour des courses de chevaux." L'entrée dans le Web3 du spécialiste français de l'hippisme n'est pas passée inaperçue et sa vente de chevaux virtuels à la fin du mois de mars s'est avérée un succès, avec 6 666 NFT vendus en l'espace de trois jours pour une recette totale d'environ 660 000 euros. Depuis, le marché secondaire a pris le relai et il n'est pas rare de voir des reventes entre 400 et 700 tez (la monnaie de Tezos, blockchain choisie pour le jeu), soit entre 350 et 650 euros. Au total, le volume de transactions liées à la revente a déjà dépassé le seuil des 100 000 euros en une semaine. "Nous n'avions pas de certitude (au sujet de l'engouement autour du jeu, ndlr) car le marché est quand même compliqué. En revanche, nous avions la conviction d'avoir réussi à constituer une communauté forte et engagée, un socle fort d'utilisateurs qui croient au projet", poursuit Constantin Garreau. Des débuts prometteurs donc, même si le cadre du PMU réfrène toute tentation précoce de célébrer : il y a désormais un jeu à développer, en plusieurs phases jusqu'au troisième trimestre, et des enjeux économiques. "Désormais, nous avons des clients et cela nous oblige. Nous sommes encore dans une logique d'investissement. En revanche, nous voulons très vite atteindre le point d'équilibre et montrer que c'est rentable", développe-t-il. 

L'annonce d'un projet de cadre réglementaire plus adapté à ce type de jeux, que celui des jeux d'argents un temps envisagé par l'Autorité nationale des jeux, devrait contribuer à rassurer et faciliter l'essor du secteur, appelé à se déployer sur d'autres sports, notamment le tennis, déjà couvé – secret de polichinelle - par Sorare et ses conseils Serena Williams et Patrick Mouratoglou.