Arnaud Coppel (Intersport) "Intersport.fr va miser sur le retrait en magasin"

Peinant à contenter ses sociétaires, l'activité e-commerce d'Intersport change tous les ans de business model. Cette fois-ci, son responsable estime avoir trouvé le bon : mettre le site marchand au service des magasins.

JDN. Mis à part votre site de réservation de skis, qui se développe depuis 1999, vous avez attendu fin 2007 pour vous mettre à l'e-commerce. Quelle a été votre approche, notamment vis-à-vis du réseau ?

Arnaud Coppel. Nous ne nous sommes effectivement véritablement lancés dans la vente en ligne qu'en novembre 2007. Le modèle économique de notre activité e-commerce était totalement distinct du réseau de magasins. L'e-commerce était géré par une filiale, avec une logistique et une équipe dédiée, séparées du reste d'Intersport. L'idée était d'acquérir une expérience e-commerce mais sans que cette énergie soit dépensée au détriment des magasins, ni détourner leurs ressources. L'e-commerce était en réalité une cellule expérimentale, rattachée à la direction marketing et commerciale et soutenue par une volonté forte du directeur général. Cela a durée toute l'année 2008. Puis nous nous sommes rendu compte que ce n'était pas le bon modèle.

Qu'est-ce qui ne fonctionnait pas ?

Intersport est une coopérative de détaillants indépendants, qui regroupe 300 sociétaires opérant au total 200 magasins de montagne et 300 magasins en plaine. C'est en quelque sorte pour ne pas les gêner que nous nous étions mis en configuration "pure player". Nous devions tout créer à partir de rien et bénéficiions de très peu de synergies avec les moyens de la coopérative. Mais alors que le vrai pure player dispose d'une totale autonomie commerciale, notre politique de prix devait être en ligne avec le positionnement des magasins. Nous subissions donc les contraintes des pure players sans avoir ni leur dynamisme ni leur agressivité commerciale.

Qu'avez-vous alors décidé ?

En mars 2009, nous avons basculé sur un nouveau modèle, avec pour objectif de faire baisser le point mort de l'activité e-commerce. Les stocks et la logistique ont été mutualisés avec ceux des magasins. Cela a sonné le glas de nos volontés d'expansion forte du chiffre d'affaires en ligne. En effet, le nouveau système a eu des incidences importantes sur notre assortiment. Avant, nous assurions nos propres achats, cohérents, avec des objectifs de ventes, une stratégie, nous nous assurions qu'il n'y aurait pas de rupture de stock... Depuis mars 2009, notre assortiment est subi : nous allons piocher dans les stocks communs aux magasins. Intersport.fr propose moitié moins de références qu'avant : 1 500 modèles au lieu de 3 000. D'ailleurs, nos ventes en ligne restent inférieures au chiffre d'affaires moyen d'un magasin de plaine. Mais au moins, nous équilibrons les charges liées à l'e-commerce. Nous sommes sur le point d'atteindre l'équilibre.

"Nous lançons l'achat en ligne avec retrait en magasin, qui attribue au magasin le produit de la vente"

Comment la logistique e-commerce s'intègre-t-elle à celle du réseau ?

Pour l'instant, les magasins n'ont pas à se préoccuper de la vente en ligne. Nous avons un atelier e-commerce spécifique en bout de chaîne dans les entrepôts. Ce sont de petits colis, en comparaison des réassortiments de magasins. Ils sont donc traités en aval. Les transporteurs aussi sont spécifiques à l'e-commerce.

Vous préparez une nouvelle adaptation de votre modèle économique e-commerce...

En août, nous allons ajouter au site marchand une brique fonctionnelle très importante. En changeant complètement d'approche début 2009, notre offre n'était plus ce qu'elle aurait pu être et nous avons mis un mouchoir sur nos ambitions de commandes en ligne livrées à domicile. Cela nous a permis de mûrir notre réflexion sur la façon d'associer les magasins au canal Web. Nous nous apprêtons aujourd'hui à lancer "l'e-réservation", autrement dit l'achat en ligne avec retrait en magasin, qui attribue audit magasin le produit de la vente.

Concrètement, qu'est-ce que cela va changer sur le site ?

Seront accessibles non seulement l'information sur le stock mais également une information sur le stock en magasins. L'internaute pourra naviguer dans le catalogue et, une fois qu'il aura choisi la couleur et la taille de l'article, retenir soit la livraison à domicile soit le retrait dans un magasin possédant le produit. Mais il pourra aussi filtrer le catalogue par magasin - ou n'afficher que les produits livrables à domicile. Nous aurons toujours 1 500 modèles disponibles à la livraison à domicile, mais le retrait en magasin va nous permettre de porter à 6 000 le nombre de modèles achetables sur le site. Bien sûr, en pratique, les consommateurs ne traverseront pas la France pour retirer un produit, mais ils bénéficieront tout de même d'un élargissement du catalogue.

Comment le réseau réagit-il à cette nouvelle approche ?

Je reviens d'une tournée régionale au cours de laquelle j'ai présenté le nouveau concept aux magasins. Je suis maintenant assuré de leur adhésion totale. Lorsque nous nous sommes lancés dans l'e-commerce en 2007, ils en avaient une vision négative. Mais maintenant que nous avons trouvé le bon modèle, qui les associe au projet, les choses vont s'inverser. L'e-réservation telle que nous la proposerons en août n'est donc qu'un début. Les étapes suivantes vont pouvoir s'enchaîner rapidement. On pourrait par exemple imaginer qu'à terme, si le produit recherché n'est disponible que dans un magasin éloigné, celui-ci l'envoie au magasin du client. Pour commencer, nous allons expérimenter l'e-réservation en Bretagne et en Vendée de début août à mi-septembre, avant de la déployer sur l'ensemble du réseau.

"L'objectif est d'abord d'acquérir du chiffre d'affaires additionnel sur notre clientèle existante"

Quelles sont vos ambitions désormais ?

Ce qui est intéressant avec ce système, c'est de mettre le potentiel de l'e-commerce au service des magasins. Nous allons enfin pouvoir développer une communication webcentric. Alors qu'auparavant, tout était cloisonné, nous pouvons enfin fusionner nos objectifs avec ceux du réseau. La carte de fidélité pourra être utilisée sur le site, la communication offline pourra parler du site... Les moyens seront démultipliés.

Quels objectifs vous fixez-vous ?

D'abord, les porteurs de la carte de fidélité seront informés que leur magasin propose l'e-réservation. Nous ferons aussi une communication locale sur les outils habituels - radio, etc. -, vers nos clients. L'objectif de premier niveau est d'acquérir tout de suite du chiffre d'affaires additionnel sur notre clientèle existante. L'objectif de deuxième niveau est de séduire de nouveaux prospects via la communication online, achat de mots clés notamment. Ceci pour, au final, agrandir la zone de chalandise de nos magasins.

Sur certains types de produits, nous nous sommes aperçus que les gens étaient prêts à parcourir plus de kilomètres que ce que nous définissons comme la zone de chalandise d'un point de vente. En proposant l'offre des magasins sur le site, ces personnes vont leur apporter des ventes supplémentaires. L'e-commerce est donc mis au service des magasins. Il est un prolongement du commerce, un service supplémentaire. Nous avons enfin trouvé le moyen de profiter à plein de l'e-commerce.

Chercherez-vous à développer l'achat en ligne livré à domicile ?

Ce n'est pas du tout le but que nous recherchons. Cela pourrait être intéressant, mais à condition que ce soient les magasins qui se chargent de ce dernier kilomètre. Notre but est très clairement de développer le retrait en magasin. Intersport est une coopérative à 100 %. Il n'a pas vocation à investir dans des activités qui ne sont pas à l'avantage des actionnaires, autrement dit de ses magasins.

De plus, nous ouvrons une trentaine de points de vente par an depuis plus de 10 ans. Nous affichons l'une des plus belles croissances de notre secteur. Et nous ne cherchons pas à changer d'activité. Dès lors, l'e-commerce est considéré chez nous comme un moyen de développer le chiffre d'affaires du réseau.

"Nous n'avons pas le sentiment de prendre du retard sur nos concurrents"

Ne craignez-vous pas de vous faire distancer par vos concurrents, sur le Web marchand ?

Je n'ai pas le sentiment de prendre du retard. D'une part, sur ce segment, les acheteurs éprouvent le plus souvent le besoin de se déplacer pour essayer les produits, demander conseil, passer au SAV... D'autre part, il n'y a que Décathlon qui soit plus présent que nous sur Internet, parmi nos concurrents traditionnels. En outre, notre positionnement est plus sport et moins habillement que Décathlon. Ensuite, ni Go Sport ni Sport 2000 ne vendent en ligne, mis à part un partenariat de déstockage du second sur 2xmoinscher.com.

Comment voyez-vous le marché de la vente en ligne d'articles de sport ?

C'est un marché spécial, il n'est pas encore très lisible ou structuré. Ces catégories de produits sont beaucoup vendues par des discounters de niche sur le tennis, le ski, le golf... L'essentiel du volume vendu en ligne aujourd'hui se trouve donc plutôt du côté du déstockage, notamment de Vente Privée. Or un grand nombre de ces niches se sont développées uniquement en raison d'une crise de surproduction. En soi, ces petits sites ne sont pas solides. Salomon ou Atomic par exemple ne vont pas continuer à surproduire si leurs skis finissent chez des déstockeurs. La source va se tarir, ils ne pourront plus composer leur assortiment. C'est là qu'un modèle comme le nôtre trouvera toute sa place.

Développer l'e-commerce avec livraison à domicile vous aurait permis d'acquérir de nouveaux clients, pourtant vous y renoncez...

Il est vrai que nous nous limitons peut-être, en particulier sur Paris. Mais en province, 91 % des internautes affirment avoir un magasin Intersport à proximité de leur domicile ou de leur lieu de travail. Le retrait en magasin convient très bien pour toutes ces personnes-là. Et l'e-réservation viendra élargir les zones de chalandise.

L'ajout de cette brique fonctionnelle s'accompagnera-t-elle d'autres nouveautés ?

La charte graphique et la navigation du site changeront en septembre, pour se conformer au nouveau site international Intersport.com, lancé au printemps. Nous avons aussi des projets du côté du mobile, même s'ils sont limités. Nous lancerons en août, en même temps que l'e-réservation, un site mobile pour les smartphones. Il permettra de naviguer dans le catalogue, de géolocaliser les magasins et sur les fiches produits, de consulter le stock en magasin. En revanche, pour rentrer dans le tunnel d'achat, il faudra se rendre sur la version Web du site, évidemment moins ergonomique depuis un smartphone.

Prévoyez-vous une application iPhone ?

Naturellement, nous y viendrons. Mais nous n'avons pas de projet pour l'instant. Le site mobile s'est fait sur une opportunité : le prestataire qui s'est chargé de monter l'e-réservation nous a proposé de la porter aussi sur mobile, ce qui ne nous a quasiment rien coûté.

Arnaud Coppel débute sa carrière en 1992 au sein du groupe Rallye (Go Sport - Courir), où il est successivement responsable de rayon puis directeur de magasin. Il rejoint Intersport en 1998 au poste de responsable régional de l'enseigne Intersport Montagne. En 2001 il prend la tête de l'enseigne, qu'il dirige jusqu'en 2007. Dans ce cadre, il crée le site Interlocation.com, devenu leader de la location de ski sur Internet. En 2008, il est nommé responsable e-business d'Intersport France. Dans ce cadre, il pilote la stratégie e-commerce de l'enseigne ainsi que le site corporate et coordonne les actions multicanales d'Intersport sur le Web.