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INTERVIEW
 
16/02/2005

Charles Beigbeder (CroissancePlus)
L'esprit entrepreneurial français s'est pétrifié

Le patron de Poweo, aujourd'hui à la tête de CroissancePlus, tape du poing sur la table. Pour lui, les entreprises françaises s'encroûtent alors que la révolution du marché des services ne fait que commencer.
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Lancé en 1997, CroissancePlus fédère les dirigeants de plus de 160 entreprises. Des entreprises à forte croissance, souvent innovantes et potentiellement créatrices d'emploi. A la fois think tank et réseau, l'association se positionne comme une interlocutrice face aux pouvoirs publics afin de contribuer au dynamisme du tissu économique français avec des propositions ayant trait à l'environnement juridique, fiscal, social des entreprises. Charles Beigbeder, PDG du fournisseur d'électricité Poweo, a été élu en juin dernier à la présidence de l'association pour un mandat de deux ans.

Vous estimez que les petites et moyennes entreprises ont une fonction clef pour la vivacité et l'évolutivité économique, notamment face aux grands comptes. Pourquoi cette analyse ?
Charles Beigbeder. Je pense qu'il est plus intéressant de travailler dans une jeune entreprise innovante ou dans une PME. Ces entreprises fournissent davantage d'autonomie et de responsabilité à chacun et, surtout, plus de sens aux salariés qui comprennent mieux ce qu'ils font et leur rôle. Ce sont des clés de compréhension rares dans les grands groupes. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que les PME représentent 90 % des emplois.

Le tissu entrepreneurial français est-il trop "vieux jeu" à vos yeux ?
Le tissu entrepreneurial français reste le même depuis des années, il s'est pétrifié. Or l'économie change. L'entreprise de services représente le XXIème siècle, un domaine sur lequel nous sommes en France largement en retard sur nos voisins. Nous avons pourtant un grand potentiel. Mais pour le faire fructifier, les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités. Le Code du travail doit par exemple être modernisé, adapté, et notamment prévoir un régime dérogatoire pour les jeunes entreprises de croissance. Contrairement au Medef, où l'industrie est prépondérante à travers les détenteurs du pouvoir, CroissancePlus est davantage orientée sur des problématiques spécifiques au secteur des services. Même si certaines de nos positions se rejoignent avec ce tissu entrepreneurial très XXème...

N'est-ce pas vos fonctions chez Poweo qui entretiennent chez vous une certaine aversion vis-à-vis de l'ordre économique établi ?
La convergence entre mes fonctions chez Poweo et ma mission pour CroissancePlus est totale. Et il y a une forme de synergie évidente, notamment quand il s'agit de lutter contre les monopoles comme le fait Poweo sur le marché de la fourniture d'électricité.

Quels sont aujourd'hui les besoins spécifiques des PME à forte croissance ?
Ces besoins sont essentiellement financiers, suivant trois phases. Tout d'abord, la phase d'amorçage, qui nécessite un apport en capitaux très lourd. Elle est suivie d'une phase de démarrage ou de décollage. Or le marché des crédits bancaires est fermé aux entreprises innovantes. Il est donc indispensable de développer le capital-risque pour les entreprises cotées ou non, ou qui sont sur le marché non réglementé. Le récent engagement des assureurs à consacrer six milliards d'euros aux PME innovantes d'ici la fin 2007, par l'intermédiaire de fonds d'investissement, va dans ce sens. Enfin, la troisième étape concerne l'entrée en Bourse qui n'est pas aussi aisée qu'au Royaume-Uni où les jeunes entreprises profitent d'aides fiscales particulières.


Il faut maintenant travailler sur le développement de l'épargne salariale"

D'où viennent les réticences des institutions bancaires ?
Il existe une certaine paranoïa chez les banques qui peuvent être poursuivies par les créanciers pour soutien abusif en cas de faillite de l'entreprise. La complexité administrative est également une excuse pour ne pas prêter. Les solutions pour palier à ces problèmes passent, sans doute, par une limitation de la période de prescription des créances à dix mois et par un plafond du risque maximum encouru par le banquier. En attendant, les banques ne prêtent plus aujourd'hui aux PME car les juges sont favorables vis-à-vis des créanciers à tout ce qui peut contribuer à la sauvegarde des emplois, comme la reprise d'entreprise. Par ailleurs, la Sofaris (Ndlr : Société française de garantie des financements des PME) a besoin d'être dotée de plus de capitaux pour mieux contre-garantir les prêts des banques aux PME à un niveau plus élevé que les 20 à 30 % actuels. Il faudrait que ce niveau atteigne au moins 50 % face au risque de non recouvrement.

Sur un autre terrain, davantage politique, l'assouplissement des lois sur les 35 heures a été voté la semaine passée. Etes-vous satisfait de ces adaptations ?
Oui, je suis globalement satisfait, surtout pour les entreprises de moins de vingt salariés pour lesquelles le régime ancien est prolongé jusqu'à 2008. L'augmentation du plafond d'heures supplémentaires va également permettre de mieux travailler en donnant plus de liberté pour l'entreprise, dans la mesure où les salariés seront volontaires. Dans le sillage, il faut maintenant travailler sur le développement de l'épargne salariale. Mais il faudrait pour cela pouvoir débloquer le CET (Ndlr : Compte épargne temps) vers un PEE (Plan d'épargne entreprise) et ainsi associer les salariés au capital des entreprises.

CroissancePlus soutient la création d'un nouveau type de contrat à durée indéterminée avec clause de résolution. Quels sont les objectifs de ce contrat de travail ?
Il s'agit d'un CDI dit de performance dans lequel figurerait une clause de résolution négociée entre l'employeur et le salarié et précisant la fin du contrat en fonction d'un événement précis et déterminé. Ce contrat viserait avant tout à éviter le recours excessif au CDD. Il s'accompagnerait d'une augmentation de l'indemnité légale de licenciement pour compenser la plus grande flexibilité de l'entreprise. Ce contrat répondrait notamment à la multiplication des demandes et aux flux de plus en plus importants des clients. Aujourd'hui, des entreprises ne décrochent pas certains contrats car il faudrait qu'elles recrutent. Et pendant ce temps, 70 % des offres d'emploi adressées aux jeunes sont des CDD qui empêchent l'accès aux crédits à cause de la précarité de ce type de contrat.


L'entreprise, c'est construire un projet ambitieux"

Parmi vos propositions, vous êtes également en faveur d'une modernisation du Code du travail...
Malheureusement le code du travail est de plus en plus compliqué. Pour les grandes entreprises qui ont une direction du personnel et des moyens financiers et humains suffisants, la complexité du processus est gérable. En revanche, c'est un véritable cauchemar pour les PME pour lesquelles les coûts ainsi engendrés sont des freins à la compétitivité.

Temps de travail, contrat de travail, Code du travail... Dans tous ces domaines les jeunes entreprises ont donc besoin avant tout de flexibilité ?
L'entreprise, c'est construire un projet ambitieux avec des collaborateurs, des clients et des investisseurs. Pour cela, elle a besoin d'ouverture afin de multiplier les opportunités. Une entreprise ne progresse pas en permanence, il lui faut pouvoir s'adapter. Si nous n'augmentons pas la flexibilité des entreprises nous risquons tout simplement les fermetures et la délocalisation.

En savoir +

CroissancePlus a effectué des déplacements en Chine et en Russie. Quelles sont les opportunités de développement à l'international pour les entreprises de croissance ?
Les opportunités sont nombreuses. Or les entreprises françaises sont encore timides à l'export, alors que nos produits sont excellents en France. Mais il est vrai que généralement les entrepreneurs sont pris dans leur quotidien et n'ont pas le temps de chercher un marché en dehors des frontières. La flexibilité serait ici aussi un plus.

Parcours

A 40 ans, le président de CroisssancePlus, Charles Beigbeder, est aussi PDG de Poweo, fournisseur indépendant d'électricité. Il est membre de CroissancePlus depuis 1999, membre du comité directeur depuis 2000, élu vice-président fin 2001, poste pour lequel il a participé aux travaux des commissions. Egalement fondateur de Self Trade en 1997, il a dirigé cette entreprise jusqu'à son rapprochement fin 2000 à DAB Bank, puis est devenu membre du Vorstand (directeur général) du nouveau groupe ainsi créé. Auparavant, de 1990 à 1997, il était banquier d'affaires au sein de la Banque Paribas, du Credit Suisse First Boston à Paris et de MC-BBL Securities à Londres. Il est également membre du conseil d'administration de Business Interactif et censeur de Voluntis.

  
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