08/06/2005
Christophe
Bezes (Click M'Brick) Dépasser le multicanal
Voici peu, certains observateurs
opposaient le monde désuet des réseaux physiques, institutionnalisés
et locaux, à l'univers riche en promesses des acteurs virtuels
et globaux. Pourtant, aujourd'hui, les canaux de distribution
sont entrés dans une zone de convergence dépassionnée. Dans
une économie super-symbolique, où l'individu hyper-moderne s'accroche
à ses derniers repères, plus la relation quotidienne est virtualisée,
plus il est nécessaire de concrétiser physiquement des signes
de pédagogie, de connaissance, de réassurance et de reconnaissance
périodiques : le point de vente comme miroir et intégrateur
social.
La révolution démarre dans le secteur le plus agile, celui des
services aux particuliers. C'est ainsi que des spécialistes
du voyage (Promovacances et LastMinute) ou du crédit en ligne
(Médiatis) inaugurent leurs premiers relais physiques, après
qu'ING Direct eut ouvert la voie avec ses Cafés Financiers,
alors qu'Egg-Ze Bank s'enfermait dans une distribution hémiplégique,
qui lui fut fatale. Les enseignes classiques ont quant à elles,
fait le chemin inverse en développant des canaux à distance,
encore limités dans leurs fonctionnalités par le poids politique
du réseau et la contrainte d'homogénéité des prix (outils plus
informationnels que relationnels et transactionnels).
Les adeptes du multicanal
dépenseraient en moyenne 20 à 30 % de plus"
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Cette convergence silencieuse des circuits de distribution n'est
cependant pas nouvelle. Voici vingt ans, La Redoute créait ses
"Rendez-vous catalogue 48 h chrono". Le premier objectif
était de garantir la promesse d'une livraison rapide dans les
grandes villes, là où le livreur trouvait porte close en journée.
Le second but consistait déjà à conquérir des clients urbains,
en concrétisant la virtualité du catalogue et en démontrant
l'efficacité de la logistique (deux arguments communiqués en
vitrine : première page du catalogue et chronomètre géants).
Les 3 Suisses emboîtèrent le pas, et en 1999, la Camif lança
ses Maisonnables, magasins centrés sur l'équipement de la maison.
En 1992, un autre acteur majeur de la vente à distance, Cetelem,
transforma ses sites physiques pour en faire plus que des plateformes
téléphoniques décentralisées : des lieux de captation directe
de nouveaux clients. La captation se faisant alors à 95 %
via les magasins partenaires, il s'agissait de devenir incontournable
pour les particuliers en recherche active de crédit et de renouveler
la clientèle en créant une représentation physique forte du
leader (mise en scène de la totalité de son offre). En donnant
un visage à une voix, l'organisme valorisa le libre accès à
l'univers Cetelem soit physiquement, soit à distance, avec le
souci de renvoyer, en douceur mais au plus vite, le client capté
vers le traitement à distance, beaucoup plus productif. Cette
nécessité d'une tangibilité de la relation se lisait aussi chez
Cortal, adressant une trace papier après tout échange téléphonique.
Le multicanal a un coût,
dont la prise en compte ne doit pas annihiler trop hâtivement
l'innovation marketing"
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Ce mouvement conduit-il alors à une cannibalisation des canaux
? Vraisemblablement pas à moyen terme. A ce jour, l'explosion
des ventes de la VPC sur Internet ne semble pas enrayer la croissance
des ventes catalogue, chaque canal drainant de nouveaux profils.
De plus, selon McKinsey, les adeptes du multicanal dépenseraient
en moyenne 20 à 30 % de plus.
Le fait saillant consiste plutôt en la multiplication des occasions
de contacts, à l'initiative des offreurs (Pascal Griot, directeur
de Surcouf.com : "Quand nous ouvrons un magasin, les ventes
du site augmentent fortement sur la nouvelle zone de chalandise
; à Strasbourg, elles ont doublé"), comme des clients (selon
Pierre Alard, auteur de La CRM, les clés de la réussite,
si "38 % des foyers en ligne ont réellement acheté des
produits et services sur le web, 57 % l'ont utilisé pour
rechercher des articles et les acheter ensuite par téléphone,
par fax ou en magasin").
Cette nécessité d'accroître les occasions de contact pour réussir
une vente qui jadis se bouclait en un temps et un circuit, est
cohérente par rapport au mouvement d'émancipation des clients
et de fragmentation des marchés : passage de marchés de
masse, à des segments puis à des créneaux de marchés, et à présent
à des marchés sur mesure en série. Elle a aussi un coût, dont
la prise en compte ne doit pas annihiler trop hâtivement l'innovation
marketing et les potentialités de création de valeur ajoutée.
Quels enseignements pour le devenir
du click & mortar ?
Les marges de liberté marketing
seront supérieures pour les structures sans réseau pré-existant"
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La
montée en puissance qualitative de tout le front-office constituera
le cur des prochaines stratégies de différenciation. Que l'entreprise
soit "née dans la rue" (distributeur classique), dans le virtuel
ou dans l'entrepôt (producteur), elle suscitera et gèrera les
occasions de contacts et d'achat en conjuguant high-tech et
soft-touch, la touche sensible du relationnel humain.
A
cet effet, les canaux physiques et à distance seront de plus
en plus intimement imbriqués (sans jeu de mot), dans leurs performances,
leurs approches commerciales et leurs images.
Il
s'agira de mettre en uvre un véritable marketing des occasions
d'achat, à partir de critères opérants. En combinant divers
moments de consommation et logiques comportementales, le marketing
situationnel que nous pratiquons, présente l'avantage d'être
déclinable sur tous les canaux et à l'intérieur même de ces
canaux (concepts et offres à géométrie variable).
La
notion de proximité devra aussi être reconsidérée dans sa complexité
(proximité physique / proximité psychologique, à la marque /
aux canaux) pour appréhender et structurer la relation du client
à ses moyens d'accès et à ses offres (segmentation simple donc
opérationnelle).
En
matière de click & mortar, les marges de liberté marketing,
géo-marketing et organisationnelles, seront supérieures pour
les structures sans réseau pré-existant (acteurs en ligne ou
producteurs vs distributeurs)
sous réserve de ne pas reproduire
les modes de fonctionnement traditionnels.
Pour
un acteur national des services en ligne (voyage, finance),
la distribution physique sera légère : une soixantaine points
de contact différenciés, implantés sur les zones de flux, centrés
sur la conquête et la réassurance, éventuellement partagés avec
d'autres activités. Ces espaces de vente et de démonstration,
à haut pouvoir symbolique, viseront à capter, initier et "compétencialiser"
le nouveau client pour le rendre autonome dans le système de
vente mixte, comme le fait par exemple le brocker Charles Schwab
dans ses agences comme sur ses centres d'appels.
Pour aboutir à un avantage concurrentiel durable, ce nouveau
modèle économique et relationnel exige de travailler autrement
sur les comportements des consommateurs et sur la théâtralisation
du contenu.
Parcours
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Christophe Bezes est
titulaire d'un 3ème cycle en marketing. Fondateur de
Click M'Brick (www.clickmbrick.com), cabinet spécialiste
de l'innovation marketing appliquée au front-office
physique et virtuel, il accompagne les enseignes de
distribution et les banques en mutation, dans leurs
stratégies de différenciation. Particularité : ses analyses
alimentées par son vécu des marchés et par un étroit
partage de réflexions et d'observations avec des chercheurs
de tout premier plan en marketing, en sociologie des
marchés et en micro-économie comportementale, lui permettent
de générer des idées nouvelles de développement et de
les mettre en uvre.
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