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CARRIERE
 
28/09/2005

Philippe Bourguignon
On me dit que je suis naïf, je le prends comme un compliment

Et hop ! c'est réglé. L'ancien PDG du Club Med n'a pas peur de rêver. Dans son livre, il revient sur sa carrière avec franchise.
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"Acheter ce DVD", "Aller à cette adresse à New York", "Ecrire un livre"... Philippe Bourguignon sort de la poche de son costume un tas de feuilles griffonnées. Ce soir, il les rangera dans sa boîte à idées, la même depuis vingt ans. Il écrit aussi sur les serviettes en papier. Ou la nuit, dans le noir, pour ne pas réveiller sa femme, mais il a du mal à se relire le matin. Les idées surgissent n'importe où, n'importe quand, et l'ancien PDG du Club Med et d'Eurodisney n'en perd pas une miette. Heureusement, sa boîte n'est pas un coffre fort. Philippe Bourguignon l'ouvre régulièrement et partage ses rêves avec les autres. Notamment dans son livre, Hop !. Rencontre.

Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?
Philippe Bourguignon. Mon départ du Club m'a poussé à réfléchir, j'ai pris du recul. A un moment, les choses se font… Un éditeur m'a proposé d'écrire et j'en avais le temps. Grâce à toutes les fiches que contient ma boîte à idées, je pensais écrire le livre rapidement. En fait, il n'est pas si compliqué d'avoir des idées, mais bien plus difficile de trouver un bon fil conducteur. J'ai mis six mois à le rédiger, en travaillant tous les week-ends.

Votre livre ne s'inscrit pas dans le pessimisme actuel. Etes-vous optimiste de caractère ou par raison ? Etes-vous naïf ?
Je crois en la "self-fulfilling prophecy" (prophétie auto-réalisatrice). A force de dire que cela ne va pas, cela ne va vraiment pas ! On me dit que je suis naïf, je prends cela comme un compliment. Il faut retrouver sa candeur, s'accorder un peu de rêve. Le développement d'Internet par exemple devrait mettre tout le monde de bonne humeur. En gouvernance d'entreprise, nous avons fait des progrès considérables depuis quinze ans. Il y a encore trop de pauvreté dans le monde, mais moins qu'avant. Le Sida en revanche donne des raisons de rester pessimiste…

Le livre
Hop ! Philippe Bourguignon, éditions Anne Carrière, 230 pages, 17 euros
>>> Consulter les librairies

Notre avis :
Philippe Bourguignon écrit avec franchise, mais on se perd parfois dans ce livre d'humeur. Son optimisme est le bienvenu. C'est agréable d'imaginer que Hop ! et ça marche... Après tout, pourquoi pas ?
Quels éléments déclencheurs vous ont-ils conduit au poste de PDG de grands groupes ?
Dans toutes les situations, je pense qu'il y a quelque chose à faire. J'ai beaucoup travaillé, mais c'était passionnant. Mes parents m'ont donné des valeurs qui ont compté. J'ai eu la chance de connaître des managers et des patrons remarquables qui m'ont servi de guides. Je ne me suis jamais fixé d'objectifs précis. J'ai saisi les opportunités, tout en respectant une logique de cheminement. Certains épisodes m'ont fait comprendre qu'il fallait toujours une organisation qui vous succède. Il faut se tenir à l'écoute de tout ce qui se passe, ouvert aux rencontres et prêt à analyser les situations. Régulièrement, je prends mon emploi du temps et je regarde ce que j'ai fait les six derniers mois. Quels rendez-vous se sont avérés clés ? Lesquels m'ont-ils fait perdre du temps ? Je sais ainsi ce qui a de la valeur et j'en tiens compte pour la suite.

Quelle a été votre plus grande réussite ?
Je n'ai pas de préférence… J'ai vécu des expériences très différentes et enrichissantes. J'ai travaillé chez Accor dans le monde entier, puis chez Disney, une entreprise qui fait rêver. Au Club, mon travail a été plus ingrat. Au Forum économique mondial, j'ai mené une activité plus intellectuelle.

Votre plus grande erreur ?
Chez Disney, je me suis enfermé dans les problèmes quotidiens, je n'ai pas réussi à prendre de la hauteur et à comprendre les problèmes structurels. Les gens se trompent sur ce que j'ai bien et mal fait au Club. Je pense par exemple que nous n'aurions pas dû intégrer Aquarius. J'ai aussi fait des erreurs de recrutement.


Bien traiter simultanément les actionnaires, les salariés et les clients"

Vous avez découvert une erreur considérable dans l'estimation de la fréquentation du parc Disney à Marne-la-Vallée. Comment peut-on en arriver à une telle erreur ? (cf. chapitre 13, L'équation 14-12-19)
Nous avons signé l'accord avec le gouvernement pour l'ouverture du parc en 1987. Six ans plus tard, la France avait changé. Par ailleurs, aucun parc à thème de cette taille n'avait été ouvert en Europe. Les habitudes en France ne sont pas les mêmes. Aux Etats-Unis, les gens mangent à n'importe quelle heure, pas en France. Le nombre de visiteurs maximum est donc inférieur en France, puisque tout le monde profite des activités en même temps et tout le monde déjeune en même temps. Nous nous sommes trompés de 15 %. J'en conclus qu'il faut éviter de prendre des décisions en fonction de prévisions trop précises.

Il y a certes eu une erreur lors de la création du parc mais, en six ans, on aurait peut-être pu déceler cette erreur… Certaines personnes étaient-elles au courant ?
Certaines personnes connaissaient ce problème, mais ne l'ont pas dit. Le droit au faux pas doit exister, mais il faut aussi être capable de reconnaître que l'on a commis une erreur. De mon côté, mon impair a été de me concentrer sur les problèmes du moment : la grève CGT, le GATT, les manifestations des paysans, les menaces des agents de voyage…

L'entreprise souffre-t-elle d'un manque de franchise ?
Il faudrait faire en sorte que les salariés aient la possibilité de s'exprimer. La fluidité insuffisante du marché de l'emploi développe des frustrations. Il faudrait pourtant bien traiter simultanément les actionnaires, les salariés et les clients. Cela permettrait de s'exprimer plus librement en interne.


J'aime travailler avec les jeunes et je suis fasciné par le numérique"

La France est-elle condamnée au déclin ?
Je ne crois pas en la fatalité du déclin ! Il faut retrouver un peu de bon sens et ne pas avoir peur des mots. Les clivages politiques constituent un vrai problème. Il ne faut pas opposer la gauche et la droite, les pauvres et les riches. Aujourd'hui, certaines personnes n'ont pas de travail. Les jeunes accumulent les CDD et tournent en rond. Les 25-55 ans bénéficient de contrats indéterminés et ne bougent pas. Il faut avoir le courage de regarder les vrais chiffres. Les gens sont beaucoup plus raisonnables qu'on ne le dit. Au Japon, par exemple, le pays semblait refuser une réforme de la Poste, tout le système s'est figé. Le Premier ministre Junichiro Koizumi a démissionné et a été réélu sur ce projet !

"Bonjour paresse", le livre de Corinne Maier, a rencontré un succès inattendu. On parle d'un malaise des cadres. Constatez-vous une perte de sens dans l'entreprise ?
Corinne Maier a raison sur le fond : l'entreprise se déshumanise, il faut redonner du sens. Mais je ne partage pas la solution qu'elle propose, ne rien faire. Encore une fois, je suis optimiste. Je pense que le bon sens revient…

Pourriez-vous donner un exemple de paradoxe que le bon sens pourrait résoudre ?
Les clients veulent des services personnalisés. Mais l'entreprise doit atteindre une masse critique, ce qui suppose de produire en plus grand nombre. Les produits n'étant pas personnalisés, les clients se montrent moins fidèles. L'entreprise opte pour le discount et vend des produits encore plus aseptisés. Les clients se montrent encore moins fidèles. L'entreprise met en place un programme de fidélité. Cela suppose de faire des économies pour le financer. Elle doit pour cela être moins fidèle avec ses salariés et ses fournisseurs. Pourtant, je suis sûr que les gens sont prêts à payer pour un bon produit.

Patrons, gourous, livres professionnels, romans… Quelles sont vos références ?
Antoine Riboud (fondateur du groupe Danone, décédé en 2002), Meg Whitman d'eBay… Je lis Kessel, Hemingway et Pierre Loti. Tous les trois ou quatre ans, je me replonge dans Le Prince de Machiavel. Ce livre reste tabou en France, il apporte pourtant d'excellents conseils sur certains points, à condition de laisser de côté la manipulation.

Vous venez de quitter la présidence d'Aegis Média. Qu'allez-vous faire maintenant ?
Je vais prendre des petites participations dans différentes entreprises. J'aime travailler avec les jeunes et je suis fasciné par le numérique. Nous allons vivre une révolution dans la publicité. Aux Etats-Unis, la télévision plafonne. Le câble et le satellite atteignent 95 % des téléspectateurs. En France, 75 % regardent les chaînes via leur antenne. Cela va évoluer. On ne pourra plus subir ainsi la publicité. Elle sera interactive, drôle et mieux intégrée dans les émissions. Sur Internet par exemple, on peut faire beaucoup de choses avec les bannières : des jeux, des objets en mouvement… Je suis au conseil d'administration d'eBay et de Meetic. Le conseil d'administration d'eBay est très actif et prenant. J'apprécie aussi le site en tant qu'eBayeur, j'achète et je vends de petits objets asiatiques. Lorsque je suis rentré au conseil d'administration de Meetic, j'ai décidé de m'inscrire pour bien connaître le site. Mais le patron de Meetic m'a mis en garde : on peut facilement se laisser tenter… J'ai préféré me désinscrire.


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