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19/10/2005

Jean-Pierre Veyrat (Negorisk)
Pensez à la négociation captive

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Negorisk
On ne peut plus, aujourd'hui, se contenter de l'approche "gagnant-gagnant" tant prônée par les tenants de la négociation raisonnée pour faire face aux négociations actuelles, en particulier avec la grande distribution. Elle n'est ni fausse ni dépassée, mais elle est de plus en plus inopérante face aux incessants rapports de force que nombre de compte-clés avouent subir.

Mise au point à Harvard par Fisher et Ury, la négociation raisonnée consiste à produire un accord équitable et durable entre personnes conscientes d'avoir, au-delà de leur opposition, des intérêts à sauvegarder. Il va de soi que leur approche est tout à fait justifiée dans la plupart des situations rencontrées, mais son efficacité repose sur un postulat essentiel : la qualité des relations de confiance entre les parties.

Or, toutes les négociations ne se déroulent pas dans un tel climat de respect de l'autre, loin s'en faut. La principale critique adressée à ces deux auteurs porte sur leur sous-estimation de la dimension souvent très méfiante de la relation entre les parties, sur fond de pressions et de faits accomplis en tout genre. Le peu de cas porté à cet aspect crucial d'un niveau de confiance minimal, rend par conséquent hasardeuse, voire préjudiciable, son application chaque fois qu'un des protagonistes se montre fermement résolu à passer en force et à maximiser ses gains sans état d'âme.


Une logique d'appréciation d'un désaccord et de la meilleure solution pour le résoudre"

Rester sur un mode consensuel, quand les enjeux concernent la défense d'intérêts très égoïstes, comporte alors de fortes limites, avec le risque réel d'accroître sensiblement la vulnérabilité des négociateurs engagés. Dans l'éventualité de telles parties de bras de fer, l'adoption d'une démarche plus offensive et moins naïve peut s'avérer très payante. Les exemples abondent où les négociateurs qui maintiennent une position dure en sortent largement gagnants. Alors qu'au départ personne ne leur donnait l'once d'une chance de réussite.

La véritable question : à quoi sert de négocier ?
"C'est rechercher un compromis" entend-on généralement, alors qu'en fait négocier, c'est être dans une logique d'appréciation d'un désaccord et de la meilleure solution pour le résoudre. Le compromis n'en est qu'un moyen. Bien sûr, de même que la fin de la guerre est la paix, l'objectif d'une négociation est le compromis. Mais tout n'est pas négociable. Ne dit-on pas qu'à toute demande de concessions, on doit commencer par répondre par un argument ? La recherche systématique d'un arrangement, avant d'avoir compris le problème et surtout de s'être assuré qu'il mettra un terme au différend, explique l'image assez négative des négociateurs suspectés de n'exister que pour céder.

D'où vient ce malentendu ? de l'existence d'une confusion entre deux modèles de négociations que j'ai respectivement dénommés la négociation libre et la négociation captive auxquels correspondent en fait des choix d'approche bien spécifiques.

La négociation libre

C'est une négociation qui procède d'une démarche consensuelle, de son commencement à sa conclusion.
1. Elle naît de l'acceptation commune de s'asseoir autour d'une table pour débattre, par exemple, des termes d'un contrat.
2. A tout moment, chacun est libre de se retirer s'il n'est plus d'accord. A l'intérieur de ce cadre, les négociateurs se considèrent comme des partenaires à la recherche d'un accord qui les satisfasse mutuellement. La majorité des négociations sont de ce type et, sauf dans des cas d'enjeux majeurs où chacun se méfie de tout le monde, la volonté de compromis est omniprésente et l'approche gagnant-gagnant reste le principe directeur.

La négociation captive
D'une rudesse sans rapport avec la précédente, il s'agit d'une négociation qui place des interlocuteurs, aux positions très divergentes, dans une situation de crise imposant leur collaboration pour parvenir à une solution. D'un nouveau genre, mais de plus en plus fréquente, sa conduite n'est pas guidée par la quête immédiate d'un quelconque gagnant-gagnant, mais par un "Tina", c'est-à-dire par un "There is no alternative" d'entrée en matière, que Margaret Thatcher avait l'habitude d'opposer à ceux qui n'acceptaient pas ses positions politiques.


Remettre en cause le problème lui-même et en faire porter le poids principal au camp adverse"

Cinq conditions sont requises pour être dans un tel schéma :
1. Un même problème se pose à deux parties adverses.
2. Chacune est prisonnière de l'autre dans sa résolution.
3. Avec la première qui profite d'un état de dépendance supposé de son interlocuteur pour exiger de lui un maximum d'efforts, s'il veut que leur collaboration se poursuive.
4. La seconde qui va faire en sorte de ne pas se laisser enfermer dans cette nasse et démontrer progressivement qu'elle aussi doit y trouver son compte pour continuer à remplir pleinement son rôle d'"associé".
5. Enfin, une obligation de résultat pour les deux, sous peine de tout perdre - notamment la face - l'une comme l'autre.

La conduite de cette négociation est marquée par une tension permanente. Les négociateurs se comportent en partenaires obligés, qui savent qu'en dépit de tout ce qui les oppose, ils sont forcés de se rapprocher s'ils veulent s'en sortir. Il n'y a aucune volonté d'un quelconque gagnant-gagnant, en tout cas chez l'un des deux camps. Leur unique but va être de remettre en cause le problème lui-même et d'en faire porter le poids principal au camp adverse. Et ce n'est qu'au terme de cette bataille de positions préliminaire, absolument déterminante pour la suite, qu'un terrain d'entente sera recherché. Le bras de fer est permanent, les relations généralement exécrables. C'est tout le jeu actuel des relations entre centrales d'achat et fournisseurs.

Une évolution possible d'un schéma à l'autre
Les négociateurs de crise sont particulièrement bien placés pour confirmer qu'il faut se tenir prêt, si les circonstances l'exigent, à basculer à tout instant d'une forme de négociation à une autre. Après de longs et laborieux débats avec des interlocuteurs peu enclins à faire un pas, on peut déboucher sur une volonté de coopérer, ou bien, alors que tout semblait se présenter sous les meilleures auspices, basculer d'un coup sur un blocage de positions où plus personne ne veut rien lâcher.

Il devient impératif de former les négociateurs aux négociations captives
La concurrence ne diminuera certainement pas dans les temps à venir. Et il est clair que la pression que subissent les compte-clés des grands groupes industriels ne baissera pas non plus. Ceux-ci sont déjà, pour la plupart, rompus à la conduite des négociations coopératives avec recherche de gagnant-gagnant. Il leur faut maintenant acquérir une égale compétence dans la compréhension et la conduite des négociations captives. Cela leur apportera une force incontestable pour passer d'une situation bloquée à un renversement des rapports de force, pour faire infléchir ou modifier une position hostile, pour maintenir le lien en période de forte tension. C'est un véritable enjeu de formation qu'il faut relever sans plus tarder.

Parcours

Jean-Pierre Veyrat dirige Negorisk, cabinet spécialisé dans l'enseignement des négociations conflictuelles, ainsi que dans les profils de négociateurs. Il a fondé la méthode de négociation Tina (There is no alternative) et forme les responsables grands comptes de nombreuses entreprises européennes. Il est par ailleurs chargé de cours à Negocia (une école de la Chambre de commerce de Paris) et à l'Ierse (Institut d'études et de recherche pour la sécurité des Entreprises). Il est co-auteur de "Psychologie des entrevues d'enquête" (Ed. Yvon Blais - 2004).


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