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ENTREPRISE
 
29/03/2006

Rémi Dupiré (Avocat associé, Daem Partners)
L'employeur peut-il modifier temporairement un contrat de travail ?

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Le régime de la modification de contrat de travail, qui a été clarifié par une série d'arrêts de la Cour de cassation en juillet 1996, vient d'être précisé en janvier 2006.

Avant 1996, les juges considéraient que les modifications substantielles du contrat de travail devaient obligatoirement être mises en œuvre, d'un commun accord entre employeur et salarié. Seules les modifications non substantielles relevaient ainsi du pouvoir unilatéral de l'employeur. La qualification de "modification substantielle" était laissée à l'appréciation du juge du fond et dépendait de l'importance que revêtait la modification pour un salarié donné, à un moment donné. L'appréciation était donc faite in concreto.

1996, la modification possible avec l'accord du salarié
Depuis 1996, la Cour de cassation considère que la modification temporaire doit être examinée de façon objective, sans prendre en compte les conditions de fait (taille de l'entreprise, fonctions du salarié…). Quatre éléments relèvent ainsi intrinsèquement du contrat de travail et ne peuvent être modifiés, même de façon minime, sans l'accord du salarié : la qualification professionnelle, la rémunération, la durée du travail et le lieu de travail. D'autres éléments peuvent y être expressément ajoutés par le biais du contrat. Les clauses donnant un pouvoir de modification unilatéral à l'employeur sont donc considérées avec une extrême méfiance par les juges. Enfin, de son coté, le salarié se trouve lié par son accord s'il a accepté une modification en signant un avenant à son contrat de travail.

2006, pas de modification possible même avec l'accord du salarié
Pourtant, en 2006, la Cour de cassation semble estimer que l'employeur ne peut procéder à une modification temporaire du contrat de travail, malgré l'accord express du salarié (Cass. soc. 11/1/ 2006, n°03-46.698). Dans cette affaire, Mlle S. était salariée à temps partiel et occupait la fonction de caissière-gondolière. Son employeur lui ayant demandé d'assurer à temps complet la fonction d'adjointe au chef de caisse, pendant l'absence d'une collègue en congé de maternité (puis en congé parental), elle accepte et signe un avenant à son contrat de travail. Trois ans plus tard, au retour de la salariée absente, l'employeur enjoint à Mlle S. de réintégrer son poste, conformément à l'avenant. Cette dernière saisit alors le Conseil de prud'hommes pour faire constater la rupture de son contrat de travail au tort de l'employeur. La Cour estime que l'avenant signé par la salariée doit s'analyser comme une modification de son contrat de travail : la salariée était donc en droit de refuser une nouvelle modification de son contrat, la replaçant dans la situation antérieure à cet avenant.

On peut s'étonner que les juges omettent ici de faire référence à l'accord donné par la salariée sur le principe du retour à l'emploi initial à la fin de la suspension du contrat de travail de la salariée remplacée. Certes, la jurisprudence considère que le salarié dispose du droit de refuser une modification de son contrat de travail, droit auquel il ne peut renoncer à l'avance. Elle écarte, en conséquence, les clauses contractuelles autorisant l'employeur à réviser discrétionnairement un élément du contrat de travail (Cass.soc. 27/2/2001). Toutefois, la clause de retour à l'emploi initial ne dépendait ici, en aucune manière, de la volonté de l'employeur. Rien ne s'opposait donc juridiquement à sa validité.

Il est vrai que toute l'économie du contrat initial de la salariée avait été modifiée (qualification, rémunération, durée du travail) durant trois ans. Or, le terme de la modification temporaire n'était pas fixé à une date certaine, mais lié à un événement : le retour de la salarié absente. Aussi, peut-on penser que les juges ont davantage tenu compte du flou sur la durée de la modification temporaire, compte tenu de l'incertitude sur le retour de la salariée absente, que de l'ampleur de la modification. Une modification temporaire aurait sans doute été possible si le terme était fixé avec précision et si la durée était plus restreinte. De nombreuses conventions collectives organisent d'ailleurs le remplacement d'un salarié par un autre salarié, en prévoyant, le plus souvent, la durée maximale du remplacement, les modalités de rémunération du salarié et les conditions de cessation du remplacement (par exemple, les CCN industries de la chaussure ou industries chimiques).

Modification temporaire ou définitive ?
La jurisprudence admet que, selon l'élément du contrat qui est modifié, le caractère temporaire de la modification puisse déqualifier cette dernière en simple modification des conditions de travail et rendre ainsi illégitime le refus du salarié. Ainsi, en l'absence de clause de mobilité, un déplacement occasionnel, imposé à un salarié en dehors du secteur géographique où il travaille habituellement, ne constitue pas une modification de son contrat de travail dès lors que la mission est justifiée par l'intérêt de l'entreprise et que la spécificité des fonctions exercées par le salarié implique de sa part une certaine mobilité géographique (Cass.soc. 22/1/03, n°00-43.826 pour un chef de chantier et Cass.soc.21/3/00 n°97-44.851 pour une consultante embauchée pour ses connaissances de la langue allemande et envoyée en mission de deux mois en Allemagne).

Le caractère provisoire de la modification a également été pris en compte dans le cadre du chômage partiel. La Cour de cassation a ainsi décidé que "la réduction d'horaires se présentait, non comme une modification définitive du contrat de travail mais comme une mesure provisoire liée à la conjoncture du moment et susceptible de révision" (cass.soc 10 octobre 1995 n°91-45433). Cette position a ensuite été confirmée, le 18 juin 1996 : "la mise au chômage partiel du personnel, pendant la période d'indemnisation prévue à l'article L.351-25 du Code du travail, ne constitue par une modification des contrats de travail".

Le salarié peut ainsi se voir imposer une modification temporaire d'un élément de son contrat de travail (voire de plusieurs) si la durée reste limitée, certaine et indépendante de la volonté de l'employeur. Les juges l'inscrivant dans le registre de la modification des conditions de travail, l'employeur n'a pas besoin de demander l'accord du salarié pour sa mise en œuvre, ni pour le retour aux conditions initiales a fortiori.

Parcours

Rémi Dupiré est Avocat au Barreau de Paris. Il est cofondateur du cabinet DaeMPartners, dédié au droit social (www.daempartners.com). Titulaire d'un DESS Santé et protection sociale, d'un DEA Droit social ainsi que des certificats de sciences criminelles et criminologiques de l'institut de criminologie de Paris, il anime des régulièrement des conférences et formations en droit social.


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