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CARRIERE
 
03/05/2006

Un patron de biotech sans formation scientifique
"Il faut toujours penser à ce qu'on gagnerait à changer d'activité"

Débuter dans une activité technique, cela n'a pas arrêté Jean-François Mouney alors jeune diplômé de l'ESCP. Quinze ans plus tard, il réédite et se lance cette fois-ci dans les biotechnologies.
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Sites
Genfit
Eurasanté
Fondation Coeur et Artères

A sa sortie de l'ESCP en 1977, une spécialisation en économie publique de la santé en poche, Jean-François Mouney craignait de ne pas se sentir bien en entreprise. De plus, faisant partie de l'équipe de France de canoë-kayak, il cherchait un emploi qui le laisse s'entraîner tous les après-midi. Trois mois plus tard, il décide donc de devenir son propre patron et crée un bureau d'études dans le domaine des matériaux composites avancés, proches de son univers sportif. Rapidement, il s'y investit à plein temps.

Quand vous avez crée votre bureau d'études, comment avez-vous géré votre absence de formation aux technologies et votre inexpérience du management ?
Jean-François Mouney. Même si ce n'était pas mon cursus, j'ai toujours été un fondu de technologie. Je me suis vite passionné pour les matériaux et me suis même remis à faire des calculs. Par ailleurs, il est vrai que j'étais, à 22 ans, un très jeune patron. Mais j'avais déjà pas mal d'autorité et d'aplomb, sans doute en raison de ma pratique sportive. Peut-être donne-t-on aussi une prime à la jeunesse : on nous laisse essayer plus de choses et on a confiance dans notre énergie. Je me rappelle avoir pris des risques technologiques que n'auraient pas pris des gens plus raisonnables. Mais j'ai été convaincant et l'opération a réussi.

Vous finissez par revendre votre société à un groupe d'armement et d'aéronautique, dont vous dirigez le bureau matériau pendant six ans. Avant de repartir vers l'entreprenariat…
C'est cela. En 1992, quand j'ai senti que le groupe n'était plus capable de s'inscrire dans une logique de développement, je suis parti, en même temps que l'un de mes principaux associés. Nous avons pris une feuille blanche et nous nous sommes demandés : "Que savons-nous faire ?" D'une part, nous connaissions les univers de la technologie et de la santé - il avait, dans le passé, dirigé un hôpital. D'autre part, nous avions des compétences d'entreprenariat et de direction générale. Nous avons donc monté un cabinet de conseil spécialisé dans les technologies de la santé. Deux ans plus tard, nous remportions un appel d'offre pour créer Eurasanté, biopôle parapublic de développement économique de la région Nord. On m'a offert d'en prendre la direction générale l'année suivante. J'y suis resté jusqu'en 2000 mais, dès 1997, je me suis intéressé au projet d'une société de biotechnologies. Nous avons incubé Genfit pendant deux ans.


La relance et la création d'entreprises sont certainement les expériences les plus enrichissantes."

Pourquoi si longtemps ?
Nous avions décidé de monter un projet ambitieux. Souvent, les entreprises de biotechnologies sous-traitent énormément. Nous voulions créer une entreprise dans un schéma industriel, qui soit présente depuis l'idée de la molécule jusqu'à la réalisation du médicament. Le schéma classique des entreprises financées par capital-risque, déficitaires pendant des années jusqu'à ce qu'elles revendent leurs molécules, ne nous satisfaisait pas. Nous lui préférions un modèle industriel dans lequel nous allions jusqu'au client. Nous produisons des médicaments pour lutter contre les maladies cardio-vasculaires, le diabète et l'obésité. Depuis 1999, nous avons déposé 140 brevets. Nous développons nos produits jusqu'aux essais chez l'homme. Nous ne passons le relais à un grand laboratoire que pour la dernière phase, très coûteuse, de déploiement des tests sur les malades. Et ce schéma s'est révélé le bon : rentables dès notre premier exercice, nous réalisons maintenant plus de 13 millions d'euros de chiffre d'affaires, montant très important dans les biotech.

Comment votre expérience passée vous sert-elle aujourd'hui ?
Ma connaissance de l'organisation du système de santé, qui remonte à mes études, m'est bien utile. Je sais aussi apporter une vision créative en matière de stratégie d'entreprise et de modèle économique. Mon expérience dans le domaine des matériaux m'a, à ce titre, beaucoup servi : nous étions très dépensiers et ne nous intéressions pas réellement à la rentabilité. Maintenant, je suis considéré comme un gestionnaire rigoureux. J'y ai aussi acquis une vision très stratégique de la science et une connaissance transverse sur la méthodologie scientifique. Enfin, on dit parfois que diriger une PME compte triple, en termes d'années d'expérience, car on doit s'occuper de tout : droit social, fiscalité, relations avec les banques, technologie, investissements, achats, construction d'unités de production…Cela m'aide évidemment beaucoup aujourd'hui.

Que changeriez-vous dans votre parcours si vous le pouviez ?
Rien ! Je n'ai aucun regret. Les différents rebonds de mon parcours ont été tous plus intéressants les uns que les autres. Et que d'expériences fabuleuses ! A l'époque de ma société dans les matériaux, je suis rentré dans une fusée, un sous-marin, une voiture de course… Aujourd'hui, avec d'autres entreprises, nous avons créé la Fondation Cœur et Artères, qui se veut une passerelle entre industrie et recherche académique. Notre objectif est de décloisonner médicaments et aliments. Encore un beau projet !

Que recommanderiez-vous à ceux qui voudraient, comme vous, donner une nouvelle orientation à leur parcours professionnel ?
Mon parcours n'est pas si tortueux que cela : la composante technologique le rend très cohérent. Le seul conseil que je peux donner, c'est de quitter son poste sans attendre, lorsqu'il ne vous plaît plus. C'est en faisant cela que j'ai eu l'opportunité de lancer Eurasanté et de créer Genfit. La relance et la création d'entreprises sont certainement les expériences les plus enrichissantes qui soient. Il faut toujours avoir à l'esprit ce que l'on gagnerait à changer d'activité.

Parcours

Depuis 2001 : Président du Conseil de Surveillance et co-fondateur de IT.Omics (Bio-informatique) et Président et co-fondateur de Cardialpha (Ingénierie en essais cliniques)
Depuis 1999
: Président du Directoire et co-fondateur de Genfit (Biotechnologies et Drug Discovery dans le domaine des maladies cardiovasculaires, métaboliques et inflammatoires)
1995-2000 : 1995-2000 DG et fondateur de Eurasanté (Agence de développement économique dans le domaine de la biologie-santé sur le Nord - Pas-de-Calais)
1992-1998 : 1992-1998 DG de M & M, Etude et conseil (Santé et développement économique)
1986-1992 : 1986-1992 DG Adjoint de SNPE branche matériaux
1979-1986 : PDG de Brunet-Sicap (Matériaux composites de haute performance pour l'industrie de l'aéronautique et de l'armement)
1977 : Diplômé de l'Ecole Supérieure de Commerce Paris, spécialisation en économie publique de la santé


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