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ECONOMIE
 
10/05/2006

Christophe BEZES (Click M'Brick)
"Points de vente et stratégies de différenciation"

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Décroissance du temps consacré aux courses, augmentation du nombre d'enseignes et de canaux fréquentés, réduction des distances entre les clients et les marchandises, déspécialisation du tissu commercial des villes, proximités psychologiques réinventées : le commerce de détail se recompose. De son côté, " le magasin se consomme ". Aussi, tout vrai concept d'offre et de distribution se doit de transformer un bénéfice-client réel en avantage concurrentiel durable dans le temps. C'est pourquoi nous analyserons par ordre croissant d'avantage concurrentiel et d'implication pour le management, les principales sources de différenciation des enseignes de distribution, exemples à l'appui.


La différenciation par le prix bas
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Click M'Brick
Alimentée par la réaction consumériste contre la fétichisation et l'hyper-sophistication des marques, cette stratégie classique va du marketing de la pénurie (Le Mois Carrefour) aux offres promotionnelles quasi-permanentes. En sacralisant la variable " prix ", ce type de stratégie tend à former les clients à la spéculation sur les prix et à faire involontairement le jeu du "low-cost". Mais surtout, elle est extrêmement difficile à crédibiliser et à faire vivre sur la durée au niveau des points de vente. En effet, le piège de l'embourgeoisement, même inconscient (cas de Tati), n'est jamais loin : qui se souvient aujourd'hui que Le Bon Marché fut un jour "discounter" ! Ainsi, nos analyses marketing et merchandising démontrent souvent l'écart manifeste entre le discours "prix bas" voulu par les managers et l'ambiance de confort, sinon d'ostentation, véhiculée par les magasins et les autres canaux de distribution.

En effet, dans le monde, rares sont les enseignes qui, comme Wal-Mart, ont su cultiver sur la durée et dans chaque dimension (organisation, design et symbolique du magasin, relation à la clientèle, gestion des linéaires et des assortiments), une poétique du désenchantement et du prix bas, terriblement efficace car totalement cohérente. En Europe, Zara et surtout H&M y sont aussi parvenues en instillant dans l'esprit de leurs clientes que les bonnes affaires doivent être saisies tout de suite.


La différenciation par la forme
Toujours omniprésent dans nos rues et nos centres commerciaux, le "design cosmétique" consiste à faire du neuf avec du vieux, sans remettre en cause le fond… et si possible, en recourant aux designers qui ont déjà traité les concurrents. Presque toujours efficace quelques mois (effet nouveauté oblige), cette réponse purement formelle conduit non moins rapidement à une banalisation des points de vente, aussitôt que les clients ont démasqué le manque de valeur ajoutée substantielle et que la concurrence a riposté avec ses propres clones.

Ces deux stratégies ont été tour à tour, extrêmement pratiquées, pour riposter à l'essor du discount.


La différenciation par le service
Exigeant un haut degré de remise en cause et d'implication de l'enseigne, elle est centrée sur des arguments objectifs à dominante utilitariste (rapidité, simplicité, commodité, clarté, professionnalisme …) : la prise en compte du critère " temps " y est souvent essentielle. Misant sur l'excellence logistique, elle a procuré à des enseignes comme Darty (plus crédible quand il parle de SAV que de prix), La Redoute (le 24 h chrono) ou Cetelem (notre réponse en direct où que vous soyez), un avantage concurrentiel fort et durable.


La différenciation par le service a procuré à des enseignes comme Darty un avantage concurrentiel fort et durable"

L'intégration des nouvelles technologies et l'industrialisation du back-office tendent aujourd'hui à banaliser, du moins en apparence, cette stratégie. Il existe pourtant de très significatives marges de progression sur la mise en scène du service au quotidien en magasin, comme la pratique avec succès Grand Optical en démontrant par la preuve sa promesse : " vos lunettes en 1 heure".

Mais attention. Si le travail sur le contenu du service spécifique à l'enseigne est toujours payant (cf. Daily Monop'), à l'inverse, l'accumulation désordonnée de services supplémentaires, non directement maîtrisés en interne, crée des risques réels de pollution de l'image de l'enseigne.


La différenciation par le réenchantement des offres et de la relation
Il s'agit ici de refaire du magasin, une "destination en soi". En réponse au désenchantement wébérien du monde, un vrai réenchantement des espaces de vente implique le réenchantement de la relation globale, et pas uniquement du décor. On est bien loin ici, des mots " réenchantement " et " expérience " souvent employé à tort et à travers, pour justifier un design un peu moins rigide, plus coloré, plus sensoriel (sons, parfums), voire " new age " (différenciation purement formelle) et ce, même si esthétique signifie littéralement " émotion partagée ".

Poussé à l'extrême, c'est le " retailtainment " (contraction de retail et d'entertainment) et le " fun shopping " magnifiés dans les gigantesques complexes américains (Mall of America, West Edmonton Mall) qui entremêlent commerces et loisirs (piscine géante, parc d'attraction " in door ", aquarium, patinoire…), et désormais espaces d'habitation comme à City-Place en Floride. A un niveau plus " infra-ordinaire ", c'est Lush qui transforme ses produits de beauté en autant de quasi-fruits ou fromages à manipuler et à sentir ; c'est Costco aux Etats-Unis qui permet aux ménagères de tester dans le magasin leur futur appareil de cuisson ; c'est Nature et Découvertes qui cultive depuis 15 ans une expérience jusqu'ici inégalée ou Castorama qui dispense des cours de


Un vrai réenchantement des espaces de vente implique le réenchantement de la relation globale, et pas uniquement du décor"

bricolage (les Castostages). Cette approche, faite de réelles complicités avec les vendeurs, de hasards et de surprises y compris sur les prix, voire de co-production des offres pour un véritable marketing expérientiel, est assez délicate à formater et à faire vivre, ce qui semble la réserver préférentiellement à des commerçants dans l'âme et à certains secteurs de consommation (bricolage, santé-beauté, culture, loisirs créatifs, tuning…).


La différenciation par le marketing situationnel
Cette stratégie est certainement la plus prometteuse pour restructurer les offres, les magasins mais aussi les sites virtuels en optimisant tout à la fois, les dimensions " proximité " et " attraction ". En combinant dans chaque composante du front-office, plusieurs moments de consommation, plusieurs logiques comportementales, plusieurs formats d'offres et plusieurs modes d'accès, elle permet de mixer toutes les stratégies évoquées précédemment. Le marketing situationnel présente ainsi l'avantage de s'adapter à la fragmentation des comportements et des marchés, sans tomber dans le piège d'une culture clientéliste trop réductrice (opposition de fond entre marketing latin et marketing anglo-saxon). En testant sur Tours, un hypermarché à double entrée (une entrée classique desservant l'ensemble des zones et une entrée alternative qui donne directement accès à l'offre alimentaire), Géant s'est engagé dans cette voie qu'Auchan explore aussi en introduisant dans ses hypermarchés le Self-Discount.

En conclusion, l'aboutissement de telles stratégies de différenciation implique d'innover en partant du bas, c'est-à-dire du client et du magasin, et de redonner toutes ses lettres de noblesse à l'observation en magasin, à l'intuition du marketer et à son opiniâtreté pour convaincre en interne.


Parcours

Christophe BEZES est fondateur de Click M'Brick cabinet spécialiste de l'innovation marketing et merchandising appliquée au front-office physique et virtuel. Il accompagne les enseignes de distribution en mutation, dans leurs stratégies de différenciation. Particularité : ses analyses alimentées par son vécu des marchés et par un étroit partage de réflexions et d'observations avec des chercheurs de tout premier plan en marketing et en sociologie, lui permettent de générer des idées nouvelles de développement et de les mettre en œuvre.


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