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CARRIERE
 
24/05/2006

Mohed Altrad : une sortie du désert exceptionnelle

Bédouin de Syrie, Mohed Altrad partait avec peu d'atouts pour réussir dans le monde des affaires. A 17 ans, il prend sa vie en main et s'installe en France. Trente ans plus tard, il est à la tête d'un groupe de 1.400 personnes. Rencontre.
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  Groupe Altrad
Quand on croise Mohed Altrad pour la première fois, on voit avant tout un homme d'affaires comme les autres : costume-cravate, téléphone dernier cri, à l'aise dans les salons du Plaza Athénée. Il y a pourtant une singulière timidité qui pointe dans sa manière d'être, de parler, de sourire. Une forme de modestie, semble-t-il.

Car Mohed Altrad est tout sauf un homme d'affaires comme les autres. D'abord parce que ses affaires sont florissantes : il est à la tête d'un groupe de BTP qui porte son nom, numéro un des bétonnières dans le monde, leader européen des échafaudages et premier fournisseur des collectivités locales françaises pour les tribunes, panneaux d'affichage et autres structures. Mais aussi parce que rien ne destinait Mohed Altrad à être assis dans ce grand hôtel parisien en ce matin de mai.


Des dunes du désert à l'informatique

Bédouin de Syrie, Mohed Altrad a passé son enfance dans les dunes, la plupart du temps loin des bancs de l'école. Mais pour cet enfant du désert, futur patron d'un groupe international, rien n'est écrit. Après un parcours scolaire "chaotique", comme il le dit lui-même, il obtient une bourse du gouvernement syrien pour partir étudier en France, à Montpellier. C'est sa chance. Il la saisit.

Au départ, j'apparaissais comme énigmatique aux salariés de l'entreprise que j'avais rachetée."

Mohed Altrad
Pour apprendre le français et rattraper son retard, il étudie, beaucoup. "Je travaillais plus que les autres, j'optimisais mon temps", raconte-t-il. Il s'oriente alors vers ce qui lui semble être un secteur d'avenir : l'informatique. Son diplôme d'ingénieur en poche, il se fait embaucher chez Alcatel puis Alstom, avant de rejoindre les Emirats Arabes Unis, au sein de la compagnie pétrolière nationale.

Mais l'avenir douillet qui l'attend ne séduit pas Mohed Altrad. L'enfant du désert a trop le goût de la liberté. "Je trouvais le parcours d'ingénieur trop étroit, se explique-t-il. Je ne voulais pas rester salarié toute ma vie." En revenant en France, il crée sa propre société qui fabrique parmi les premiers ordinateurs portables. Mais ses moyens financiers ne lui permettent pas de développer le projet à sa juste mesure. Il revend son entreprise et utilise les fonds pour se lancer dans une nouvelle aventure.

Et de l'informatique au BTP
En 1985, il rachète une PME du BTP en difficulté à Florensac, petite ville de l'Hérault entre Béziers et Montpellier. Vingt ans et une quarantaine d'acquisitions plus tard, Altrad est devenu un groupe de 1.400 salariés, présent dans 14 pays et réalisant un chiffre d'affaires de 210 millions d'euros en progression de 14 %. Le passage de l'informatique au BTP n'était pourtant pas des plus simples. Pour les salariés de l'entreprise rachetée aussi, c'était un choc : "Au départ, je leur apparaissais comme énigmatique, explique le fondateur. Mais je leur ai raconté mon histoire, je leur ai dit que je ne connaissais pas grand chose au BTP et ils m'ont accepté. Si vous êtes sincère, les choses se passent toujours mieux."

Chiffre d'affaires et résultat
(en millions d'euros, source : rapport annuel du groupe)

Très vite après cette première acquisition, Mohed Altrad franchit les frontières françaises et investit dans une entreprise à vendre en Italie. L'une après l'autre, la PME intègre les sociétés rachetées, qu'elles soient françaises, allemandes ou polonaises, jusqu'à devenir un groupe international. L'entrepreneur utilise chaque fois son expérience d'immigré en France pour aborder les nouvelles équipes. Le principal ingrédient de sa recette miracle ? L'écoute de l'autre. "On n'accorde pas assez de temps aux gens, on ne s'attarde pas assez sur leur subtilité, leur finesse", regrette-t-il. Avec cette peur constante que l'autre ne soit pas réceptif à cette approche. En effet, la France qui l'avait accueilli n'avait pas grand chose à voir avec celle qu'il s'imaginait depuis son désert. "Mais c'était ma faute : l'image que j'en avais était trop embellie", s'empresse d'ajouter celui qui, depuis, est devenu plus français que les Français...


Son credo : ne jamais s'arrêter
Altrad en chiffres

Date de création : 1985
Chiffre d'affaires : 210 millions d'euros en 2005
Résultat net : 10,9 millions d'euros
Effectif : 1.424 salariés
Part à l'export : 40 % du CA
Répartition du CA : échafaudages : 48 %, bétonnières : 27 %, équipement des collectivités : 9 %, location : 16 %

Aujourd'hui, pour son fondateur, l'avenir d'Altrad s'inscrira dans la continuité : consolider les bases, continuer d'investir dans les quatre activités du groupe (les bétonnières, les échafaudages, les structures pour collectivités et la location de matériel), en continuant de s'internationaliser. Mais pas question néanmoins pour ce boulimique de projets de se reposer sur ses lauriers. Si l'entreprise était, pour le jeune bédouin, un moyen de "sortir de l'eau", elle n'est pas toute sa vie. Mohed Altrad est aussi un écrivain, francophone, auteur de trois romans, dont le dernier, "L'Hypothèse de Dieu", vient de paraître chez Actes Sud. Il met en scène Medhi, bédouin de Syrie, bien intégré dans la société française mais partagé entre la culture de son passé et la vie occidentale qu'on lui propose de vivre. L'écriture, c'est aussi un moyen de coucher sur le papier les questionnements qui ont jalonné sa vie.

L'histoire de Mohed Altrad est surtout celle d'un homme parti de rien et arrivé là où beaucoup voudraient finir. Beaucoup mais pas lui. Sa tête déborde de projets. Banquier ? Pourquoi pas. A partir du moment où il conserve sa liberté : pas question de redevenir salarié par exemple. Son objectif de jeunesse n'a pas pris une ride : entreprendre le plus de choses possible en l'espace d'une vie puis pérenniser ces réalisations. En 2006, le bilan est déjà impressionnant.


Parcours
Mohed Altrad est docteur en Informatique, diplôme obtenu à l'Université de Paris. Il a ensuite occupé des postes d'ingénieur chez Alcatel puis Thomson pendant deux ans. Il collabore par la suite avec l'ADNOC (Abi Dhabi National Oil Company) pendant quatre ans. En 1985, il crée le groupe Altrad.

Bibliographie
Badawi (Actes Sud, 2002) >>> Consulter les librairies
L'Hypothèse de Dieu (Actes Sud, 2006) >>> Consulter les librairies


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