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CARRIERE
 
05/07/2006

Bruno Piacenza (Henkel France)
"Un patron doit imprimer le mouvement et dégager de la sérénité"

A 40 ans, Bruno Piacenza est depuis six mois le président pour la France du groupe allemand Henkel. Portrait d'un jeune dirigeant pour qui l'art de motiver et celui d'écouter sont des qualités essentielles pour réussir.
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Vous occupez la fonction de président d'Henkel France depuis six mois. Qu'est-ce qui a finalement été le plus difficile pour vous dans cette transition ?
Bruno Piacenza. Grâce aux équipes qui m'ont épaulé, je n'ai pas véritablement rencontré de difficultés majeures. Le plus dur- et le plus passionnant - tient finalement au fait qu'aujourd'hui, j'occupe deux fonctions en parallèle : d'un côté, je suis président d'Henkel France et de l'autre directeur général des cosmétiques. Dans la division cosmétiques, j'ai besoin d'être proche de l'opérationnel, alors que ma fonction de président nécessite de prendre d'avantage de recul. Cette double fonction est privilégiée au sein du groupe Henkel car elle présente l'avantage de donner à la société un président qui ne se coupe pas de la réalité des clients, des consommateurs et des équipes opérationnelles.

Henkel en chiffres

Chiffre d'affaires : 12 milliards d'euros dans le monde, 838 millions en France, 3e filiale derrière les Etats-Unis et l'Allemagne
Effectifs : 50.000 salariés dans le monde, 2.000 en France répartis sur 11 sites
Activités : détergents et produits d'entretien (Le Chat, Mir) : 35 % du CA, cosmétiques (Diadermine, Schwarzkopf) : 26 %, technologies pour l'industrie : 25,5 %, colles, adhésifs et produits d'étanchéité (Super Glue 3) : 13,5 %

Quelles sont les qualités d'un bon dirigeant selon vous ?
Le bon dirigeant est souvent comme un hélicoptère : il doit être capable de descendre dans le détail et d'être proche des équipes, des clients et des consommateurs, puis de remonter pour se construire une vision d'ensemble. Les vrais grands patrons tels que Jack Welch ou Claude Bébéar ont eu cette double approche.

Un dirigeant doit également faire preuve de transparence. Personnellement, je dis ce que je vais faire et je fais le plus souvent possible ce que j'ai dit que je ferai. Les messages doivent être simples. Si les théories sont compliquées, il s'avère que la réalité du business est alors souvent méconnue. Si vous n'êtes pas capable d'exprimer en quelques mots simples où vous voulez aller, alors le message ne sera pas clair pour vos n-1, qui le transmettront avec des pertes aux n-2. Au final, vous prenez le risque qu'il n'en reste plus rien.


Je m'entoure d'hommes et de femmes qui ont assez de personnalité pour me critiquer."

Un bon dirigeant doit se montrer décisionnaire mais aussi savoir travailler en équipe : il doit être un leader et non un champion. Le champion court tout seul quand le leader court et gagne avec toute son équipe. En France, il y a quelques années, on valorisait les patrons très médiatisés qui couraient souvent pour eux-mêmes. Mais sur le long terme, ce sont ceux qui savent travailler avec leurs équipes qui réussissent. Enfin, un dirigeant est performant lorsqu'il a lui-même été bien dirigé, par des managers qui ont su lui expliquer ses défauts mais aussi le féliciter quand il le fallait. Il ressort également fortifié lorsqu'il est parvenu à surmonter des situations difficiles. C'est à mon avis une des forces du groupe Henkel que de bien former les managers et de les exposer à des missions, des cultures, très différentes qui leur apprennent à manager avec autonomie. C'est la chance que j'ai eue en prenant en charge le redressement de filiales, en Italie par exemple.

Quels patrons admirez-vous le plus ?
Je ne crois pas aux modèles et je ne pense pas qu'il y ait de patrons parfaits. Je crois plutôt aux sources d'inspiration. J'admire par exemple Churchill, même s'il est loin du business d'aujourd'hui, car il était capable de voir la lumière au bout de n'importe quelle crise. Un patron doit à la fois imprimer le mouvement et dégager de la sérénité. Si vous êtes une pierre, vous ne bougez pas. Mais si vous êtes toujours en mouvement, vous ne dégagez pas de sérénité et vous ne pouvez pas fédérer les gens autour de vous.

Le bon dirigeant est également un stimulant permanent. Il doit faire sortir ses collaborateurs de leur zone de confort et les amener à se demander : qu'est-ce qu'on peut faire autrement pour gagner ? Les top managers que j'admire le plus ne sont pas ceux qui se contentent de bien gérer mais ceux qui font bouger la société en créant de nouveaux concepts, comme Steve Jobs. Ce sont des visionnaires, qui évoluent avec la société et l'anticipent.

Quelles qualités recherchez-vous chez vos collaborateurs ?
Au sein d'Henkel, nous recherchons tout d'abord une flamme, une envie de faire bouger les choses qui anime d'ailleurs nos équipes. Je n'ai pas cinquante critères pour recruter mes collaborateurs : je vérifie qu'ils pensent vite et bien, qu'ils ont de l'empathie et qu'ils savent relever leurs manches.

Je m'entoure également des hommes et des femmes qui ont assez de personnalité pour me critiquer : en montant dans la hiérarchie, beaucoup de dirigeants ont de plus en plus l'impression de détenir la vérité. Ils recrutent donc des gens qui leur ressemblent et renvoient leur image comme un miroir. Un bon patron doit s'entourer de collaborateurs suffisamment différents pour lui donner une vision du monde complémentaire. Sans pour autant choisir des personnes qui sont toujours dans la négation : elles doivent être suffisamment souples et adaptables pour entrer dans un système. Tout est une question de difficile équilibre.

Comment faites-vous pour gérer le stress de votre fonction ?
J'étais d'un tempérament assez stressé mais de plus en plus, en mûrissant, je parviens à ne garder que le stress positif. Pour cela, je prends un peu de temps pour moi, pour ma famille et des activités comme la sophrologie ou le piano que j'ai commencé il y a un an. Il y a des années, je me permettais peu de soupapes de sécurité car elles me faisaient culpabiliser. Mais c'était une erreur car on est beaucoup plus efficace et heureux au travail en s'enrichissant à l'extérieur.


L'art du management, c'est aussi faire des choix et savoir à quoi renoncer."

Ce qui est surprenant, c'est qu'en prenant plus de responsabilités, je me sens beaucoup moins stressé. Quand on est plus jeune, le stress vient des doutes sur soi-même ou sur ses performances. Maintenant que j'ai la responsabilité d'un groupe important et que je m'occupe des autres, et donc moins de moi, mon stress est devenu plus constructif ! J'ai appris à me dire qu'il n'y a pas d'échecs, qu'il n'y a que des expériences qui permettent de progresser. Par exemple, avant de monter sur scène il y a des années, j'étais sujet au stress car je m'inquiétais toujours de savoir comment j'allais être perçu. Maintenant, je vois mon public et je me dis : comment faire en sorte qu'il soit convaincu par mon message ? Pour moi, un bon orateur n'a pas un discours figé mais choisit ses mots en fonction du public.

Comment parvenez-vous à prendre du recul par rapport à votre quotidien ?
Je fais régulièrement des bilans sur moi-même. J'ai un cahier personnel dans lequel j'inscris mes objectifs long terme, court terme, par domaine. Lors des entretiens annuels de mes collaborateurs, je garde toujours quelques minutes à la fin pendant lesquelles ils me donnent leur feedback. Je croise les remarques de chacun, ce qui m'aide à définir sur quoi travailler pendant l'année.

Quelles sont vos astuces pour gagner du temps ?
Paradoxalement, pour gagner du temps, il faut savoir en prendre. Beaucoup ont l'impression qu'il faut tout faire très vite. Mais il vaut mieux prendre le temps d'écouter les collaborateurs en amont et de creuser un dossier pour pouvoir bien décider et faire adhérer et appliquer la décision par l'équipe. Au niveau de l'organisation, il faut fuir les meetings alibi, sans ordre du jour. Mes collaborateurs n'arrivent pas avec des problèmes mais avec des recommandations. Enfin, il faut savoir renoncer et admettre que l'on ne peut pas tout faire. C'est tout autant vrai pour l'organisation de son temps qu'au niveau de la stratégie d'entreprise. A vouloir multiplier les projets, on dilue les ressources, le temps des gens, l'argent, la capacité à se concentrer, sans rien faire de bien. L'art du management, c'est aussi faire des choix et savoir à quoi renoncer.

Et dans votre emploi du temps chargé, y a t-il de la place pour les vacances ?
Oui, je pars cet été en famille à Bali pour deux semaines. Je laisse mes collaborateurs directs aux commandes
 : c'est une vraie opportunité pour eux !


Parcours

1988 : diplôme d'HEC et entrée dans le cabinet de conseil en stratégie Bain & Cie.
1990-2001 : différents postes chez Henkel, dans le marketing, les ventes et l'acquisition de nouvelles sociétés. Il finit responsable mondial des catégories dentaires, soin de la peau puis capillaire.
2001 : directeur général de l'Italie et de la Grèce. Redressement de la filiale italienne.
2003 : directeur général de la branche cosmétiques en France.
2006 : PDG de Henkel France et directeur général France des cosmétiques.



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