Journal du Net > Management >  L'employeur est responsable en cas de harcèlement moral
ENTREPRISE
 
07/11/2006

Susana Lopes dos Santos (Ravisy & Associés)
L'employeur est responsable en cas de harcèlement moral

Selon l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 21 juin 2006, l'employeur est responsable de "plein droit" du harcèlement commis par l'un de ses salariés. Explications.
  Envoyer Imprimer  

Le harcèlement moral fait l'objet, depuis la loi du 17 janvier 2002, de dispositions particulières dans le Code du travail. Il s'agit notamment de l'article L 122-49 alinéa 1 qui définit le harcèlement moral comme étant constitué par "des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits du salarié et à sa dignité, d'altérer sa santé physique et mentale ou de compromettre son avenir professionnel", et des articles L 122-50 à L 122-52.

Pour la première fois, par un arrêt du 21 juin 2006, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation se prononce sur la responsabilité personnelle d'un salarié auteur d'actes de harcèlement envers ses subordonnés et étend l'obligation de sécurité de résultat pesant sur l'employeur en matière de santé au travail au cas du harcèlement moral.


Les faits

Plusieurs salariés d'une association ont attrait devant le Conseil de Prud'hommes leur employeur et le directeur de l'établissement, qui les harcelait moralement, pour obtenir réparation de leurs préjudices.

Les faits de harcèlement moral commis par ce directeur (comportement brutal, grossier, injurieux, mépris d'autrui, dénigrement et humiliation des salariés) étaient constatés dans un rapport de l'inspection du travail. Une médiation avait été tentée et l'employeur avait même fini par licencier son directeur.

Site
  Prud'hommes.com
La Cour d'Appel a reconnu l'existence d'un harcèlement moral au sens de la loi, a condamné le directeur coupable au paiement de dommages et intérêts mais a déchargé l'employeur de toute responsabilité en l'absence de faute de sa part.

Le directeur de l'association a formé un pourvoi en cassation estimant que la mise en jeu de sa responsabilité ne se justifiait pas en présence de fautes qui n'étaient pas détachables de sa mission. Seule la responsabilité de l'employeur pouvait, selon lui, être engagée.


Les apports de l'arrêt

1. L'existence d'une obligation de sécurité de résultat en matière de harcèlement moral

Le chef d'entreprise prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent notamment la prévention des risques professionnels en matière de harcèlement moral (art. L 230-2 II g du Code du travail). Il lui appartient de prendre toutes dispositions nécessaires pour prévenir les agissements de harcèlement moral (art. L.122-51 du même code).

La Cour de Cassation a jugé que l'employeur doit répondre des agissements commis par des personnes exerçant, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés, mais ne se prononçait pas sur le fondement de cette responsabilité (arrêt du 10/05/2001).


L'employeur est responsable de "plein droit" du harcèlement commis par l'un de ses salariés."

Dans l'arrêt du 21 juin 2006, la Cour de Cassation énonce pour la première fois, au visa des articles L.230-2 et L.122-51 du Code du travail, que la responsabilité de l'employeur, dans le cas du harcèlement moral, se rattache à l'existence d'une obligation sécurité de résultat en matière de protection de la santé des salariés dans l'entreprise.

Dès lors, l'obligation tend préventive que répressive pesant sur l'employeur en matière de harcèlement moral est très contraignante puisque qu'il ne peut s'exonérer de sa responsabilité même en l'absence de faute de sa part.

2. La responsabilité personnelle du salarié "coupable" de harcèlement moral à l'égard de ses subordonnées

La responsabilité personnelle du salarié commettant un dommage à l'occasion de son travail n'est engagée que s'il a excédé les limites de sa mission (Cass. AP. 25/02/2000). Or, les faits de harcèlement moral se rattachent à l'exécution d'un contrat de travail et son auteur les commet généralement dans le cadre de ses fonctions.

La Cour de Cassation a donc retenu, pour engager la responsabilité personnelle du directeur de l'association, qu'il "avait sciemment harcelé moralement, au sens de l'article L.122-49 du Code du travail, des salariés qui lui étaient subordonnés", et s'est fondée, pour le sanctionner, sur l'article L.230-3 du Code du travail qui énonce "qu'il incombe à chaque travailleur de prendre soin (…) de la sécurité et de la santé des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail".

L'auteur du harcèlement moral est personnellement responsable de ces actes s'il a agi volontairement, en n'ignorant pas les dangers qu'il faisait courir à ses subordonnés. Dès lors, on peut considérer que son action excède les limites de ses missions et qu'il doit répondre de ses fautes.

La Cour de Cassation retient encore, ce qui est nouveau, la mise en jeu concomitante de la responsabilité contractuelle de l'employeur et de la responsabilité civile de l'auteur des agissements de harcèlement.


Critique de l'arrêt

Les conséquences du harcèlement moral sont souvent graves pour les salariés sur le plan de la santé, sans compter le coût que représente, pour la collectivité, la multiplication des arrêts de travail.

La Cour de Cassation, par cet arrêt, veut, à notre sens, renforcer les garanties offertes aux salariés en matière de prévention du harcèlement moral. Elle étend ainsi encore un peu plus sa jurisprudence en matière de protection de la santé et de la sécurité au travail (un arrêt du 29 juin 2005 a consacré une obligation de sécurité de résultat de l'employeur en matière de tabagisme).

Toutefois, les articles L.230-2 et L.122-51 du Code de travail semblent juridiquement plutôt consacrer une obligation de moyens renforcée à la charge de l'employeur qu'une véritable obligation de résultat.


L'employeur doit s'opposer efficacement aux agissements de harcèlement moral."

En définitive, la Cour de Cassation vient dire que l'employeur est responsable de "plein droit" du harcèlement commis par l'un de ses salariés. Dans l'arrêt du 21 juin 2006, le licenciement du directeur avait pourtant été prononcé mais apparemment trop tardivement. L'employeur doit donc être particulièrement réactif : il doit s'opposer efficacement aux agissements de harcèlement moral ce qui pourra aller jusqu'à un licenciement pour faute grave du harceleur en cas de faits avérés.


Conséquences pratiques sur le plan du contentieux

Le salarié victime d'agissements de harcèlement moral pourra attraire ensemble, devant le Conseil de Prud'hommes, l'employeur et le salarié "harceleur" afin d'obtenir des dommages et intérêts à l'encontre des deux, ce qui se fait encore peu. L'article L.511-1 al. 4 du Code du travail donne en effet compétence au Conseil de Prud'hommes pour connaître "des différends nés entre salariés à l'occasion du travail".

L'arrêt du 21 juin 2006 incitera peut-être les victimes à rechercher, plus souvent, une condamnation personnelle de l'auteur du harcèlement et les juges prud'homaux à être moins "frileux" quant à une condamnation éventuelle. Toutefois le salarié devra, avant d'agir, avoir des éléments établissant suffisamment les faits de harcèlement moral et l'action délibérée du harceleur (ce qui n'est pas facile). La prudence s'impose donc car le demandeur en justice peut, en cas d'échec, être condamné à lui verser des dommages et intérêts pour procédure abusive.


Cabinet Ravisy & Associés

Susana Lopes dos Santos est avocate et associée chez Ravisy & Associés, cabinet d'avocats spécialisé dans le droit social, qui défend et accompagne les salariés, cadres et dirigeants face à l'entreprise.

Consulter leur site : Prud'hommes.com


JDN Management Envoyer Imprimer Haut de page

Sondage

Quelle est la compétence la plus importante pour être performant au travail ?

Tous les sondages