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20/03/2007
Jean-Claude Seys (MMA-Covéa) : "Le manager doit assumer le stress de ses collaborateurs"
Dans quelques mois, Jean-Claude Seys cédera sa place à la tête du groupe Covéa - composé des trois mutuelles d'assurance MMA, Maaf et GMF - dont il était le principal architecte. Après plus de 40 ans de carrière et le redressement de deux assureurs, il livre sa vision du management. Rencontre.
Cela fait 15 ans que vous occupez des postes de direction générale dans les assurances, chez Maaf puis aujourd'hui chez MMA et Covéa. Selon vous, qu'est-ce qui explique, d'un point de vue managérial, cette longévité ? La longévité suppose l'accord de deux parties : l'employeur et l'employé. Pour l'employeur, la satisfaction provient tout simplement des résultats. Tant qu'ils sont bons, la relation doit en principe pouvoir continuer. En ce qui me concerne, c'est parce que je ne me suis jamais ennuyé que j'ai pu rester aussi longtemps. A chaque fois qu'une vague de problèmes était résolue, je pouvais passer à une autre. C'est la raison pour laquelle, une fois le redressement de la Maaf achevé, je suis parti chez MMA. Les challenges se sont renouvelés en permanence. C'est essentiel car il n'y a qu'une seule chose qui soit rédhibitoire : l'ennui.
Des challenges comme le redressement d'entreprises Oui, mais pas uniquement. Par exemple, récemment, la création d'un groupe commun entre MMA-Maaf et Azur-GMF était aussi une phase stimulante. De même, je suis resté 18 ans au Crédit Agricole en première partie de carrière mais j'y ai occupé neuf postes. J'étais toujours candidat pour celui où il y avait un problème. Ce choix présentait un double avantage. Le premier était qu'il n'y avait pas d'autre candidat ! Le second était que je pouvais y apprendre beaucoup plus.
Comment définiriez-vous votre style de management ? Je suis assez peu directif. Ce qui m'amuse, c'est avant tout d'écrire des scénarios et de faire en sorte que le casting les joue de manière spontanée. Cela permet de développer les talents. Or dix personnes de talent font toujours plus qu'une personne de talent... L'idée est donc d'avoir une production collective la plus grande possible. Cela suppose beaucoup de délégation. Mais c'est paradoxalement une liberté un peu contrainte car, pour que ces dix personnes aillent dans la même direction, il faut leur montrer leur cible et, le cas échéant, les contrôler.
L'entreprise est un fantastique amas de forces, de personnes comme de capitaux. Le seul problème du patron est de faire en sorte que toute cette énergie soit coordonnée, qu'elle s'attaque bien aux vraies questions. A partir de là, vous disposez d'un potentiel infini.
Comment faites-vous pour vous assurer de cette coordination ? Il faut tout d'abord donner des objectifs clairs : si vos salariés les connaissent, ils sauront, même sans contact direct, dans quelle direction aller. Il faut aussi créer une culture d'entreprise car elle inspire les bons réflexes.
Y a-t-il parfois des dérapages ? Ce ne sont pas des dérapages. C'est ce que l'on appelle en physique l'entropie, c'est-à-dire la tendance naturelle d'un ensemble organisé à perdre ce qui fait son organisation. Tout ce qui est vivant est guetté par l'entropie. C'est donc le cas de l'entreprise. Si l'on ne remet pas de l'énergie dans le système, il se désagrège. Dans le fond, la notion d'équilibre n'existe pas : on passe en fait d'un déséquilibre à un autre.
Existe-t-il des personnalités que vous prenez comme exemples, qu'elles soient issues du monde de l'entreprise ou non ? Non, pas vraiment. Les générations de patrons que j'ai connues quand j'étais jeune avaient une conception du management beaucoup plus directive. Ce sont des gens qui pensaient que, parce qu'ils avaient des barrettes sur l'épaule, ils avaient nécessairement raison. Mais j'en ai connu trop qui avaient tort. J'ai donc pensé qu'il fallait que j'agisse différemment. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'aimais bien les postes difficiles. J'y avais, plus qu'ailleurs, les coudées franches. J'apprécie l'indépendance et j'aime en faire profiter les gens qui travaillent avec moi.
Quelles qualités recherchez-vous chez vos proches collaborateurs ? Je suis très sensible au fait qu'ils aient une attitude symétrique à l'égard de leurs supérieurs et de leurs subordonnés. Je crois d'ailleurs que c'est la caractéristique principale d'un bon patron. Les plus mauvais managers sont des personnes qui se comportent comme des tyrans avec leurs collaborateurs et tremblent devant leurs supérieurs. Le vrai patron a une attitude équilibrée, courtoise mais franche avec tout le monde.
Je recherche également des gens qui savent résister au stress. Un chef qui ne sait pas gérer son stress va s'en débarrasser sur ses collaborateurs, en étant généralement très désagréable, injuste, caricatural Mais ces collaborateurs, qui ont déjà leur propre stress à assumer, ne résisteront pas longtemps. Au final, ils se comporteront de la même manière avec leurs propres subordonnés. Pourtant, le premier rôle du manager est sans doute d'assumer le stress de ses collaborateurs.
L'un de vos proches collaborateurs, l'ancien directeur général de MMA, Martial Stambouli, vous a suivi tout au long de votre carrière. Est-il un cas isolé ou est-ce une pratique sur laquelle vous aimez vous appuyer dans votre recrutement ? Ce n'est pas un cas isolé mais ce n'est pas non plus une politique. Il s'agit plutôt un concours de circonstances. Les personnes concernées souhaitaient quitter leur entreprise alors que je cherchais à recruter. Je considère que se déplacer avec son entourage peut être perçu comme une faiblesse : cela tendrait à prouver que l'on n'est pas sûr de soi, que l'on a besoin d'une garde rapprochée.
Vous avez fait HEC et l'Insead. En quoi ces formations vous ont-elles été utiles dans votre fonction de manager ? Mes études m'ont servi mais pas comme je le croyais ni comme on le laisse penser, à tort ou à raison, aux étudiants. HEC était une source de savoirs utiles mais qui ne servaient à rien pour être manager. Cela m'a été très bénéfique pour gagner du temps et comprendre ce dont parlaient mes collaborateurs. C'est aussi une source de crédibilité très forte. Mais ces outils peuvent aussi se révéler nuisibles. Beaucoup pensent en effet que c'est dans la technique que réside la capacité du manager. Ils basent leur carrière de manager dessus et échouent.
A l'Insead, j'ai surtout appris à vivre en communauté avec des gens d'horizons très divers, tant du point de vue des nationalités que des formations initiales. Et il est très difficile de se comprendre dans ses conditions. Il existe des socles culturels dont on n'a pas conscience et ils agissent comme un filtre qui colore toutes les informations, tous les mots. Quand en plus il y a des conflits d'intérêts ou des problèmes d'ego, les comportements agressifs reviennent. Il faut donc faire en sorte que tout le monde se comprenne et dépasse cet état de nature. Il restera toujours les conflits d'intérêts mais quand on a résolu les faux problèmes, on a résolu 90 % des difficultés. En cela, l'Insead a beaucoup contribué à ma réflexion sur le management, l'organisation et la vie des groupes. Pour le reste, c'est l'expérience qui a compté.
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