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INTERVIEW
24/11/2004
Corinne
Maier ("Bonjour Paresse")
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© Louis Monier |
Pourquoi avez-vous écrit "Bonjour
paresse" ?
Corinne Maier. J'ai écrit ce livre pour m'amuser et pour
essayer de pointer à travers l'humour les aspects du système des grandes entreprises qui me paraissent absurdes.
Vous voulez dire de l'entreprise
publique
Non, mon livre concerne les grandes entreprises en général. Qu'elles
soient publiques ou privées, le fonctionnement et les buts restent
identiques.
Avez-vous été surprise par le succès
de votre livre ?
Oui, ce succès m'a étonné. Mon employeur m'a aidé en voulant me
sanctionner. Puis face à l'impact médiatique et syndical, il s'est rétracté.
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Comptiez-vous
sur la réaction d'EDF ?
Je ne m'attendais pas non plus à ce qu'EDF me menace. Je ne mentionne
pas l'entreprise dans mes propos. (Ndrl : EDF n'est cité dans l'ouvrage qu'en
quatrième de couverture)
Quelle tendance ce succès traduit-il
? Un désenchantement des cadres ?
Je me suis aperçue que je n'étais pas la seule à me poser des questions,
à me demander si le travail a un sens. Les ventes atteignent 200.000
exemplaires en France et le livre sera traduit en vingt-cinq langues.
Nous sommes donc nombreux à nous interroger. Cela traduit un malaise.
Probablement un désenchantement, un vague à l'âme. Est-ce que tout
cela vaut le coup ? Qu'est-ce que l'on attend du travail ?
Et comment expliquez-vous cette tendance ?
Dans les années 90, on a licencié et peu embauché. Pendant presque
sept ans, les cadres ont connu une ambiance morose. Ils ont pu constater
qu'ils n'étaient pas indispensables et que l'entreprise ne leur
devait rien. Une telle prise de conscience représente un grand choc.
Mais ils n'ont pas pu en tirer les conséquences car la bulle Internet
a masqué tout questionnement. Depuis l'explosion de la bulle, nous
tirons le bilan des années 90.
Je propose un comportement : faire semblant." |
Etait-ce mieux avant ?
C'était peut-être mieux avant. Avec moins de chômage, le rapport
de force tournait plus en faveur des salariés qui pouvaient démissionner
s'ils le souhaitaient.
La philosophie que vous prônez n'est-elle
pas luxueuse, réservée à une catégorie sociale ayant les moyens
matériels et financiers de se remettre en cause sur le plan professionnel ?
Cela concerne des millions de gens. Je propose un comportement :
faire semblant. Pour un ouvrier, ce n'est pas possible, il est surveillé
en permanence. Mais cela reste accessible à beaucoup de salariés,
dont les petits cadres et techniciens.
Quelles ont été les réactions de lecteurs
?
J'ai reçu beaucoup de courriers, surtout de lecteurs qui ont aimé
le livre. D'autres l'ont trouvé scandaleux. Pour eux, il ne faut
surtout pas critiquer le travail.
L'employeur réclame toujours plus" |
Le travail est-il un sujet tabou ?
Oui, c'est un tabou. La société et l'entreprise présentent le travail
comme une chance. L'employeur considère qu'il fait une fleur au
salarié en l'embauchant, qu'il fait preuve de gentillesse et de
bonté en lui donnant du travail. Dès qu'un salarié émet une critique,
l'employeur en déduit qu'elle est dirigée contre lui. Les salariés
hésitent donc à parler. Autre conséquence : l'employeur peut envisager
la relation au-delà du travail. Il demande ainsi adhésion, docilité,
obéissance et respect de la culture d'entreprise. Et cela ne suffit
jamais, il réclame toujours plus. Pourtant, la relation entre employeur
et employé reste malgré tout un échange, qui devrait être un minimum
équilibré.
Les courriers que vous avez reçus ont-ils fait
évoluer vos idées ? Aujourd'hui, écririez-vous le même livre ?
Ce serait un livre légèrement différent car j'ai eu de nouveaux
sons de cloches. Mais sur le fond, les mêmes idées seraient développées.
Les réactions m'ont confortée dans mon raisonnement.
"99 Francs", "Les petits
soldats du journalisme"... De plus en plus de livres s'appuient
sur une mécanique d'auteur qui "crache dans la soupe", tout en ayant
été (ou en étant) un élément du système. Que faut-il voir dans cette
tendance ?
Nous vivons dans le monde du politiquement correct. On ne peut pas
tout dire. Dans ce contexte, ces ouvrages offrent un peu de poil
à gratter. Cela explique leur succès.
Pourquoi ne vous êtes-vous pas lancée
dans un combat syndical plutôt que d'écrire ce livre ?
Pendant dix ans, j'ai été syndiquée à la CFDT. C'est un autre type
d'action. Demain, je mènerai peut-être une action collective.
Mes droits d'auteur devraient représenter plusieurs millions de francs" |
Dans votre livre, vous critiquez l'action
des syndicats
C'est un livre très noir
Les syndicats ont un rôle important à
jouer. Par ailleurs, ils m'ont défendu lorsque EDF m'a menacée.
Je leur en suis reconnaissante.
Combien le livre vous a-t-il rapporté
? Suffisamment pour arrêter de travailler ?
A ce jour, je ne sais pas. Cela dépendra des ventes à l'étranger.
Mes droits d'auteur devraient représenter plusieurs millions de
francs. A court terme, je vais continuer à travailler pour donner
l'exemple. Cela peut être drôle d'embêter mon employeur.
Avez-vous de l'ambition ? Dans quel
domaine ?
Je n'ai pas d'ambition en terme d'argent. Je veux
juste disposer de ce qu'il faut pour vivre. De plus, je n'ai jamais
souhaité le pouvoir, ni cherché les responsabilités. Cela ne m'intéresse
pas d'encadrer. En revanche, je cherche à avoir de l'influence,
à faire réfléchir et à faire rire.
Comment expliquez-vous que certaines personnes aiment
leur métier ?
Je connais des gens qui aiment ce qu'ils font. Mais ils restent
très minoritaires. Ils travaillent souvent dans des métiers de réflexion
et de recherche ou mènent des projets. Certains syndicalistes sont
passionnés par leur activité.
Je suis une bobo à tendance intello" |
Quels grands patrons admirez-vous ?
J'ai récemment lu un papier dans Courrier international (*)
sur un chef d'entreprise brésilien (**) qui
a adopté un management révolutionnaire. Ses salariés font
ce qu'ils veulent et choisissent eux-même leur salaire. J'aimerais
enquêter sur le fonctionnement de cette entreprise.
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N'êtes-vous pas, finalement, la première
représentante médiatisée de l'espèce des "bobos professionnels",
c'est-à-dire de gens qui jouissent d'un confort social mais qui
se démarquent sur les valeurs ?
Avant le succès du livre, je ne profitais pas tant que ça du système.
Depuis quatre ans, je vivais d'un mi-temps chez EDF, c'est-à-dire
le salaire médian d'un fonctionnaire. Je ne renie pas l'étiquette
de bobo. On la considère souvent de manière négative, cela me fait
rire ! Aux Etats-Unis, ce sont des gens aisés. Ce n'est pas mon
cas, même si cela va changer. Je ne me reconnais pas dans la bourgeoisie
traditionnelle de la rive droite. Je suis une bobo à tendance intello.
Parcours
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Corinne Maier a 40 ans. Après des études à l'Institut d'études politiques de Paris (promo 86), elle commence à travailler en entreprise au début des années 90 et parallèlement commence une psychanalyse. L'exercice la passionnant, elle soutient une thèse de psychanalyse et champ freudien à l'université de Paris VIII, et s'installe comme analyste au début des années 2000. Ne gagnant pas suffisamment pour vivre avec son cabinet, elle conserve un gagne-pain à mi-temps chez EDF. Outre "Bonjour paresse", elle est l'auteur de six livres. Corinne Maier creuse trois sillons : d'abord celui des grands hommes, dont elle est une supporter fervente ; ensuite, elle essaie de dépoussiérer la psychanalyse lacanienne ; enfin, elle s'amuse à mélanger les domaines, les genres et les styles. |
(*) "Courrier
international" - supplément au n° 717-718-719 - 29 juillet
2004
(**) Il s'agit de Ricardo Semler, auteur de "A contre-courant
: vivre l'entreprise la plus extraordinaire au monde", et de
la société Semco S.A..
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