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Interview
 
11/03/2008

J-M. Théron ("Le pouvoir magique") : "Quand on doit obtenir des résultats rapides avec peu de moyens, on rêve du tapis volant"

Le directeur général d'Inéo, filiale de Suez est formel : la gestion d'entreprise est loin d'être rationnelle. Dans son livre, il décortique les "techniques du chamanisme managérial".
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Les managers, grands consommateurs de magie au quotidien ? Telle est en tous cas la thèse soutenue par Jean-Michel Théron dans son livre Le pouvoir magique où il décortique, à la lumière des mythes et des rituels des sociétés primitives, les "techniques du chamanisme managérial". Ces pratiques, le directeur général d'Ineo, grosse filiale de Suez, les connaît bien, pour s'en être imprégné pendant ses 20 années d'expérience comme dirigeant. Ses explications.

 

 

Votre livre repose sur l'idée que les managers ont besoin de la magie pour exercer leurs fonctions. La gestion d'entreprise est pourtant une discipline qui se veut rationnelle. Pourquoi un tel paradoxe ?

 
Jean-Michel Théron, DG d'Inéo et auteur de "Le Pouvoir magique"
 

Jean-Michel Théron. Les managers ont un métier de plus en plus compliqué. Ils évoluent sur des marchés fluctuants, très souvent mondiaux, et traitent des process complexes. Il reçoivent des demandes contradictoires : produire davantage, avec une meilleure qualité mais moins cher et en respectant l'environnement. A côté de cela, ils doivent aussi mobiliser les salariés pour faire en sorte qu'ils travaillent bien et avec enthousiasme. Face à la complexité de leur tâche, ils cherchent des recettes simples. La magie les leur offre.

 

En quoi la magie est-elle une aide pour eux ?

On a recours à la magie dans trois cas. Tout d'abord, si l'on se sent ignorant : c'est le cas du manager confronté à des marchés mondiaux, résultantes de phénomènes variés qu'il ne connaît pas. Si l'on se sent impuissant ensuite : le manager ne contrôle par exemple pas ce que font ses concurrents. Enfin, l'envie de tricher avec la réalité peut être un motif de recours à la magie : lorsque l'on doit obtenir des résultats rapides avec le moins de moyens possibles, on rêve du tapis volant. C'est une envie presque inconsciente qui fait que, si un manager trouve un livre miracle qui lui explique comment remobiliser ses équipes ou devenir un cador de la stratégie en deux jours, il ira l'acheter.

 

Quels sont les principaux pouvoirs magiques qu'utilisent les managers au quotidien ?

L'un des principaux outils est ce que l'on appelle la réitération de la cosmogonie. Que fait un manager qui réorganise un service dès qu'il arrive à sa tête ? Il ne fait pas cela dans un souci d'amélioration, sinon, il y aurait toutes les chances que son prédécesseur ait déjà effectué cette réorganisation. C'est plutôt un procédé magique qui consiste à répéter la création du monde. En réorganisant son service, il réaffirme son pouvoir, il crée un monde neuf et par là, profite de la béatitude des commencements.

"Un manager aura recours à la magie s'il se sent ignorant, impuissant ou qu'il veut tricher avec la réalité"

Il y a également une série d'outils que je regroupe sous le terme de chamanisme Microsoft. La présentation Powerpoint n'est autre qu'une incantation rituelle pour convaincre ses interlocuteurs. On y a recours au langage spécialisé du management, qui est sacré. Et si l'on utilise des mots anglais, le message prend encore plus de poids. De même, avec Excel, on peut parler de divination assistée par ordinateur : il est très facile d'arriver aux résultats que l'on souhaite en construisant bien ses modèles chiffrés avec le tableur de Microsoft...

 

Tous les métiers sont-ils concernés ?

Oui, du comptable au banquier d'affaires, en passant par les ressources humaines. Par exemple, ces dernières ont recours à la liturgie du dialogue social : c'est un rituel magique qui consiste à inverser les rôles pour un temps, en laissant les partenaires sociaux interpeller le management. Cela favorise la coopération et désamorce les tensions. C'est cette liturgie qui est à l'œuvre lors des négociations salariales annuelles obligatoires. Elle débouche sur de vrais résultats d'ailleurs puisque le recours à la grève se raréfie.

 

Et au niveau du management d'équipe ?

Dans un monde où leur emploi peut disparaître, les salariés sont demandeurs de magie. Ils veulent d'un manager qui puisse dire "avec moi, vous allez gagner". Le manager doit donc les convaincre que la force est avec eux. S'il en est doté, il peut utiliser son charisme. Mais il peut aussi être amené à raconter une histoire, à créer un rêve collectif. Il lui arrive aussi d'organiser des conventions et des séminaires qui ne sont rien d'autre que des rituels de mobilisation.

 

 
En savoir plus
 
 

176 pages, Editions Pearson Village Mondial

 

De quand date, selon vous, ce recours à la magie ?

Le management a toujours eu recours à la magie mais c'est un phénomène qui se renforce au fur et à mesure que les entreprises grossissent et se complexifient. Il ne faut pas oublier qu'un manager dans un grand groupe peut utiliser des démarches magiques sans que cela ait de réelles conséquences. C'est moins vrai dans une PME : face à son banquier, un entrepreneur se fiera bien moins aux procédés magiques que l'on vient de voir !

 

Tout cela n'est pas très rassurant pour les partenaires de ces managers, qu'ils soient actionnaires, salariés ou client...

Il faut savoir faire la différence entre le bon et le mauvais management magique. Il est dangereux lorsqu'il consiste à tricher avec la réalité ou à se regarder narcissiquement dans un miroir sans se soucier des clients ni des marchés. En revanche, on peut utiliser la magie pour se donner le courage d'agir, de prendre des décisions. Elle peut également être bénéfique pour convaincre ses interlocuteurs, ses collaborateurs notamment.

Il faut aussi garder à l'esprit que tout le monde demande de la magie aux managers : les arbres doivent monter jusqu'au ciel. C'est vrai des actionnaires qui attendent des profits et des cours d'action en constante progression, quelles que soient les circonstances. C'est vrai des salariés qui veulent être mobilisés et protégés contre le danger. C'est aussi vrai des clients qui attendent de toujours payer un produit moins cher que son prix.

 

C'est un cercle vicieux alors ?

La magie dure pour deux raisons : parce que les gens y croit d'une part et parce qu'elle est efficace dans certains cas d'autre part. En effet, il suffit parfois que l'on croie qu'une chose est réelle pour qu'elle le devienne. C'est le principe de l'autoréalisation.


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