Interview
 
17/10/2007

Florian Mantione : "La majorité des CV sont trompeurs"

Quelles sont les professions qui mentent le plus ? Quelles techniques de tromperie sont les plus répandues et comment les démasquer ? Un conseiller en recrutement dévoile les résultats d'une enquête singulière.
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Florian Mantione,
Florian Mantione Institut
Photo © DR

 

Au début des années 1980, un candidat est reçu en entretien d'embauche. Sur son CV, il déclare avoir fait Sup de Co Toulouse en 1972. Pas de chance... il s'agit précisément de l'année de promotion de son interlocuteur. En creusant, ce dernier s'aperçoit que le petit malin n'a en réalité fait qu'un stage dans les locaux de l'établissement. Le candidat se justifie : c'est bien la raison pour laquelle il a placé cette mention dans la catégorie "formation", sans jamais prétendre avoir reçu le diplôme correspondant. Face à lui, Florian Mantione admire la technique de ce parfait imposteur. Il se fera une spécialité de déceler les CV enjolivés... ou carrément trompeurs. Aujourd'hui, il publie les résultats d'une enquête consacrée au phénomène, basée sur les réponses de 353 entreprises et de 698 candidats.

 

Y a-t-il beaucoup de CV trompeurs ? Sur quoi ment-on le plus ?

Florian Mantione : Si l'on considère toute la palette des mensonges possibles, on peut estimer que la majorité des CV sont trompeurs. Mensonges… ou habiletés, car il existe une différence entre enjoliver et mentir. Si un commercial vous dit "les ordinateurs Toshiba sont mieux que les IBM", il enjolive. Mais s'il affirme que le processeur du Toshiba tourne à une vitesse qu'il n'atteint en réalité pas, alors il ment.

C'est sur leurs responsabilités que les candidats mentent le plus : 75% des employeurs pensent qu'ils les exagèrent. L'objectif est de se calquer à ce que demande le futur employeur, voire obtenir une équipe plus grande ou un salaire plus important. De plus, les employeurs, en en demandant toujours plus, par exemple sur le niveau de langue exigé, exaspèrent les candidats qui falsifient leur CV pour rééquilibrer le rapport de force. Mais si l'on ment sur le périmètre de ses responsabilités, c'est aussi parce qu'il est difficile à contrôler. Il faut donc être attentif aux CV qui jonglent entre le "je" et le "nous" : "on a augmenté le pourcentage des exportations dans le chiffre d'affaires" induit incontestablement une interrogation sur la part du candidat dans ces résultats. "Superviser", "participer", "coordonner" imposent donc un approfondissement. A l'inverse, "diriger" et "avoir la responsabilité de" ne souffrent pas de doute.

 

Quelles sont les professions qui trompent le plus ?

"Les commerciaux sont à 76% concernés par le phénomène"

Sans surprise, ce sont les commerciaux, qui sont à 76 % concernés par le phénomène. En même temps, un commercial trop franc ou trop naïf ne saurait sans doute pas s'adapter à tous les interlocuteurs et vanter au mieux son produit. Dans un recrutement, cela ne doit donc pas forcément jouer contre lui. Bien entendu, cela doit rester de l'enjolivement, sans tomber dans la tromperie. Par exemple, je trouve qu'allonger une période d'activité professionnelle sur un CV pour masquer un "trou" est, de la part d'un commercial, assez habile. Ensuite, loin derrière, viennent les techniciens et les administratifs, avec respectivement 35 % et 28 % de CV trompeurs.

 

Vous avez mené la même étude en 1989, 1996, 2001 et 2003. Comment ont évolué les comportements des candidats en matière de CV ?

La grande évolution, c'est que sur Internet, les candidats sont plus décomplexés pour "truander". Ils peuvent toujours invoquer l'erreur de saisie qui les a par exemple fait sélectionner "bon" au lieu de "moyen" comme niveau d'anglais. Par ailleurs, la compétition est sans doute plus rude aujourd'hui. Enfin, les entreprises non plus ne disent pas toujours la vérité. Les candidats se sentent donc en droit de s'éloigner de la vérité pure.

 

Comment contrôler la véracité des éléments d'un CV ?

Trop peu d'entreprises s'astreignent à ce contrôle. Pourtant, lorsqu'il est fait, il aboutit à l'élimination du candidat dans un tiers des cas ! Preuve qu'il faut réellement se montrer vigilant. Ma technique en tant que recruteur consiste à commencer par donner beaucoup d'informations sur l'entreprise, le poste et le profil recherché. Je me sens alors parfaitement en droit de requérir la même transparence de la part des candidats et de leur demander d'apporter en entretien d'embauche diplômes, contrats de travail et bulletins de salaire auxquels ils font référence dans leur CV. C'est de la prévention. Par ailleurs, il est important de contacter les précédents employeurs, voire les partenaires ou prestataires - SSII, comptables… - qui travaillaient avec le candidat. Ces derniers ont un avis assez objectif et donc tout à fait appréciable.

 

Quel risque encourt le candidat qui falsifie son CV ?

"Lorsqu'un contrôle du CV est réalisé, il aboutit à l'élimination du candidat dans un tiers des cas"

Dans la plupart des cas, aucun. La loi dit que c'est à l'employeur de vérifier le parcours de ses employés et qu'il ne peut les licencier s'il y découvre une anomalie par rapport à leur CV. En revanche, si le candidat s'est vanté à tort d'un diplôme pourtant fondamental à l'exercice de son poste - diplôme d'infirmière, de médecin, de kiné, de directeur d'école privée… - l'employeur peut licencier le menteur pour cause réelle et sérieuse. En bref, dès l'instant où le mensonge empêche d'exercer, il y a tromperie car le menteur ne peut pas assumer son poste.

 

Quelle est la technique de tromperie la plus répandue ?

Les candidats utilisent beaucoup l'inférence. Par exemple, ils pourront écrire "anglais : abonné à Newsweek". Si le recruteur creuse, ils pourront même répondre : "Je ne suis pas bon en anglais et c'est pour cela que je me suis abonné… voyez comme je suis honnête ! " C'est l'astuce de l'inférence. Ce que vous dites n'est pas faux et laisse penser bien davantage. Le candidat habile sait en user.

 

Encore plus difficile à déceler, donc ?

Il faut fonctionner par indices. Le candidat est en retard, ce n'est pas grave. Il a la main moite, ce n'est pas grave. Et cætera. Mais mis bout à bout, peut-être trouvera-t-on une cohérence dans les indices. Si le candidat se vante de ses fonctions de secrétaire de club de cyclotourisme de la même façon que, 15 minutes auparavant, il le faisait pour telle ou telle responsabilité professionnelle, peut-être y a-t-il quelque chose à creuser. En tout état de cause, un entretien sérieux durera toujours entre une heure et une heure et demie. Moins, c'est que l'on papillonne.

 

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