Les nouveaux modèles gagnants de l'industrie de la mode

2021 aura-t-elle été l'année de la renaissance ?

Après deux années marquées par une crise majeure due à la pandémie de Covid-19, le tempo de la transformation digitale qui semble s’être considérablement accéléré a mis en évidence de nouveaux modèles gagnants dans l’industrie de la mode.

Si on a pu observer que l’année 2020 a été suivie d’une reprise progressive marquée par un pic de croissance pendant l’été 2021, les prévisions indiquent que 2022 pourrait en revanche être marquée par une perte de vitesse. Un ralentissement notamment causé par le retrait graduel des subventions qui avaient boosté l’économie ainsi que le rattrapage mécanique de la consommation lié au retour à la normal (taux d’épargne proche de son niveau d’avant la crise). L’économie devra également composer avec une hausse de prix des matières premières de 25% en moyenne, qui impacte déjà la production, le niveau des approvisionnements, les marges, les délais de production et provoque des annulations de commandes.

Si la dynamique soutenue de 2021 reste probable, bien que moins certaine en 2022, la crise a clairement mis en évidence parmi les acteurs de l’industrie de la mode, des gagnants et des perdants. Les entreprises qui ont su avant la crise entreprendre leur transformation digitale, investir dans la gestion de la supply chain et de la logistique, sont celles qui aujourd’hui tirent leur épingle du jeu. Au même titre que les pure players, ce sont elles qui sont en mesure de devancer des concurrents moins agiles qui n’ont pas pris le virage du digital au bon moment, et qui ne sont plus en mesure de proposer aux consommateurs une offre pertinente. 

Aujourd’hui, la transformation du retail, de l’offre et celle de la supply chain, qui inclut aussi bien le sourcing que la production, constituent trois chantiers majeurs que les acteurs de la mode doivent mener simultanément. Trois axes par ailleurs fortement connectés au contexte global, socio-politique et macro-économique qui a fait émerger de nouvelles habitudes de consommation et impacté le coût des matières premières, du sourcing ou du transport.

Les nouveaux challenges du retail 

Afin de répondre aux nouvelles habitudes de consommation qui ont émergé avec la pandémie, le retail a dû se transformer et s’adapter à de nouveaux standards. Avec des ventes en ligne en constante augmentation depuis quelques années, le e-commerce s’est imposé dans les pratiques d’achat des consommateurs. Cependant, si le e-commerce occupe désormais 40% du marché en Chine ou 34% aux États-Unis, les achats en ligne restent encore timides en Europe où ils ne représentent que 22 % du marché. Le e-commerce représente certes une opportunité dont les acteurs de la mode doivent se saisir mais également un challenge à relever. Dans cette industrie de la mode traditionnellement drivée par le retail physique, le passage au e-commerce requiert une agilité extrême afin d’être capable de s'adapter rapidement, de développer de nouvelles plateformes, de se repenser en omnicanalité et de revoir complètement ses process de création, de production et de vente. C’est le cas notamment de l’industrie du luxe qui a su entreprendre sa transformation digitale et relever le challenge du e-commerce avec succès. Le Luxe en ligne a doublé son poids en 2020, performance valant 5 années de croissance. En 2021, le Luxe en ligne a enregistré la croissance à 2 chiffres vs. 2020, en dépassant largement les niveaux d'avant crise du 2019.

Acteurs incontournables du e-commerce, les pure players sont devenus des exemples à suivre en matière de transformation digitale du retail. Avec plus de 60% de croissance au premier trimestre 2021 pour Alibaba, 70% pour Farfetch ou 24% pour Asos, les pure players affichent des croissances à double chiffre tout à fait exceptionnelles. Ces digital native qui ont tout compris en matière de logistique en ont fait un levier de performance, or savoir gérer la logistique, c’est savoir gérer le e-commerce et l’omnicanalité. Le pure player chinois Shein fait en cela figure de modèle. Inaugurant l’ère de la real time fashion, celui qu’on appelle le TikTok du e-commerce affiche une croissance de plus de 100% sur chacune des 8 dernières années. Shein a basé sa réussite sur des prix extrêmement abordables, une gestion efficace de la supply chain management, et une stratégie d'influence sur les réseaux sociaux auprès de la génération z et alpha. Capable d’ajouter plus de 3 000 articles par jour sur son site, le géant chinois maîtrise l’art de créer une certaine addiction auprès des jeunes qui ne freinent plus leurs compulsions shopping, encouragés par des petits prix.

A l’heure où la transformation retail implique de s’adapter à de nombreux nouveaux enjeux, les magasins physiques n’ont cependant pas dit leur dernier mot. Avec 90% d’acheteurs qui disent revenir dans un magasin si l’ambiance est agréable, si l’offre leur convient et si en plus ils ont une expérience personnalisée, le magasin physique se réinvente pour apporter une expérience en plus aux consommateurs. On assiste à un changement de paradigme, alors que le e-commerce était autrefois complémentaire du retail physique, c’est aujourd’hui le retail physique qui vient compléter le e-commerce. Grâce à cette omnicanalité, la marque peut créer une interaction avec le consommateur et instaurer un lien privilégié.

De nouveaux défis à relever : bipolarité de la mode 

Si au cours dernières décennies la fast fashion s’est imposée comme une référence, l’industrie de la mode voit également émerger un nouveau modèle de consommation plus responsable porté par la slow fashion. La slow fashion favorise l’achat raisonné, la quête de sens, la mode responsable, la déconsommation et le respect de l’environnement là où la fast fashion s’illustre par une consommation excessive, une addictivness et des achats compulsifs. Deux modèles que tout oppose mais qui peuvent séduire les mêmes consommateurs. Accro aux marques de fast fasion, la génération Z est paradoxalement la plus engagée en matière de développement durable. Pour les acteurs de la mode, il faut aujourd’hui savoir composer avec les contradictions de la Gen Z qui achète des vêtements de seconde main dans les friperies du Marais parce que le vintage est éco-responsable, donc tendance, et qui par ailleurs n’a aucun complexe à shopper sur l’appli Shein un jean à 7 euros. Des jeunes consommateurs qui assument parfaitement leur bipolarité, engagés et éco-responsables ils privilégient les achats durables tout en consommant de manière extrêmement addictive, encouragés par les réseaux sociaux de la fast fashion. 

Le marché de la seconde main fait incontestablement bouger les lignes de la mode. Poids lourds du e-commerce de la seconde main, l’américain The RealReal, Vestiaire Collective ou Vinted ne cessent d’enregistrer des pics de croissance depuis le début de la crise sanitaire. Avec en 2021, 68% des Français qui ont vendu des articles sur les plateformes de seconde main, ce marché est devenu un phénomène. Un essor spectaculaire qu’il doit à son positionnement éco-responsable qui satisfait des consommateurs de plus en plus exigeants en matière d’achats durables, comme aux petits prix affichés, facteur clé dans la décision d’achat. Révélateur d’une nouvelle manière de consommer, le vintage est appelé à s’inscrire de plus en plus dans nos habitudes d’achat. Selon les prévisions, les millennials et les enfants de la gen Z réaliseront 70% de leurs achats en seconde main en 2030. Alors que les marques étaient très réticences au développement de ce business de la revente, le marché de la seconde main est désormais considéré comme un levier de croissance que de nombreux acteurs de la mode saisissent comme une opportunité de business. Dans le sillage du succès de Vinted qui a démocratisé la seconde main, SMCP (Sandro, Maje, Claudie Pierlot & De Fursac), Ba&sh ou Petit Bateau multiplient les initiatives axées sur la revente.

La montée en puissance du marché de la seconde main s’accompagne également d’un intérêt grandissant pour une mode plus éco-responsable. Si cette notion de mode durable était déjà présente, la crise sanitaire a accéléré la prise de conscience des consommateurs sur l'impact environnemental et sociétal de l'industrie de la mode. En 2019, la mode durable qui représentait autour de 29% atteint 40% en 2021. Mais les marques sont encore trop nombreuses à ne pas avoir entendu ces nouvelles attentes des consommateurs. Ils sont 80% à estimer ne pas être suffisamment informés sur la durabilité de leurs vêtements, leur impact environnemental ou sur l’engagement RSE des enseignes de la mode. Aujourd’hui, face à des consommateurs en attente, communiquer sur ses engagements environnementaux et sociétaux devient une priorité stratégique. Le marketing de l’engagement et de la transparence s’impose comme un enjeu clé pour les années à venir.

Se centrer sur le consommateur et ses besoins 

S'adapter aux nouveaux modes de consommation, c’est aussi pour l’industrie de la mode être en mesure de proposer des collections toujours plus orientées client. Pour mieux connaître le consommateur et ses besoins, les marques intègrent de la data toujours plus en amont dans le processus de création afin d’ajuster leur offre à la demande réelle, au prix le plus juste et avec la bonne temporalité. Des collections data driven ainsi que des cycles de collections de plus en plus courts qui mixent petites séries en édition limitée et articles phares, les fameux never out of stock. Segmenter sa collection en obtenant le fameux mix produits et mix sourcing constitue un vrai facteur de réussite pour gérer le temps et la proximité, l’agilité et le time to market. Alors que la production en offshoring des articles never out of stock assure des marges maîtrisées, les réassorts sont produits en nearshoring au plus près des marchés de consommation pour gagner en réactivité et en agilité de sourcing. Trouver le bon équilibre entre produits et sourcing, bien connaître le marché, la concurrence, le consommateur, savoir quoi vendre, à qui, à quel moment et à quel prix, sont autant de données que les acteurs de la mode doivent maîtriser.